7.2 : HÉLIOPOLIS

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L'admiration dans la voix de l'ingénieur semblait si sincère que Max dû se faire violence pour ne pas lever les yeux au ciel. Si on croyait les héliopolitains, le Lumos aurait construit la moitié de l'arche à mains nues... Ils continuèrent la visite en suivant le parcours des tuyaux pleins de plasma. Parcourir ces quelques centaines de mètres leur prit un temps phénoménal, car leurs accompagnateurs prenaient le temps d'échanger un salut héliopolitain avec tous les ingénieurs et ouvriers qu'ils croisèrent en chemin. Enfin, ils débouchèrent au pied de la tour que Max avait repérée à l'entrée.

— Nous approchons du foudrodôme, où nous chargeons le plasma. Faites bien attention à ne pas vous éloigner du chemin balisé : cette tour porte bien son nom !

Ils grimpèrent les escaliers qui parsemaient la tour en file indienne. L'air se chargea d'électricité statique au fur et à mesure que les visiteurs approchaient de son sommet. Elle devint telle que lorsqu'ils arrivèrent enfin sous le dôme, les cheveux de l'ingénieur s'hérissèrent sur son crâne, révélant une discrète repousse brune sous sa couleur outremer. On aurait dit un drôle d'épouvantail... Max étouffa un rire avant de prêter attention à ce qui se trouvait sur la plateforme.



Les tuyaux de liquide sombre couraient jusqu'à des bobines métalliques disséminées un peu partout dans la pièce. Entièrement faites de cuivre, elles culminaient à plusieurs mètres de hauteur. Mais ce n'était pas ce qui les rendaient le plus impressionnantes : de longs arcs électriques jaillissaient des unes vers les autres, vers le sol, vers le ciel ! Des hommes en combinaisons de caoutchouc turquoise déambulaient entre elles comme si de rien n'était. Lunettes sombres sur le nez et casques sur les oreilles, ils surveillaient les bobines et vérifiaient que le plasma qui en ressortait était bien bleu fluorescent. Ils étaient si concentrés à la tâche que personne n'interrompit son activité pour saluer leur guide. Alors qu'ils traversaient la salle en se faisant discrets, un ouvrier posté à quelques mètres d'eux fut frappé de plein fouet pour un rayon électrique. Max poussa un cri horrifié. Augustus laissa échapper un grossier juron animiste. La victime tomba à genoux, sa combinaison fumant comme une locomotive. Ses cheveux s'étaient dressés sur sa tête et la peau de son visage avait noirci comme si un pétard lui avait explosé en pleine figure. Mais il brandit un pouce en l'air avec un grand sourire à destination des deux étrangers. Max l'observa se relever avec incrédulité. Il avait pourtant bien vu la scène. Cet homme s'était fait frapper par la foudre ! Leur guide posa une main sur son épaule avant de commenter sur le ton de la confidence :

— Pas d'inquiétude, cela leur arrive une dizaine de fois par jour. Leurs tenues spéciales ainsi que leur robustesse face aux chocs électriques suffisent à rendre ces bobines presque inoffensives pour eux. Mais ne vous y trompez pas ! Pour des personnes comme vous et moi, une décharge et c'est la mort assurée.

Max avala difficilement sa salive. L'Oncle Augustus devint très pâle. Posté un peu plus loin, même Hannes sembla brusquement nerveux. Ils se rangèrent tous les trois avec beaucoup de soin au centre du sentier tracé pour les visiteurs. Mais l'ingénieur continua de les guider à travers la plateforme avec enthousiasme. Il désigna une bobine avec une fierté non dissimulée :

— Voici nos transformateurs à noyau plasmique ! Ils furent conceptualisés par notre grand Lumos, secondé d'ingénieurs talentueux. Chacun d'entre eux est composé d'une bobine primaire, d'une bobine secondaire et d'un condensateur. Le tout fonctionne alors comme un filtre passe-bande...

Max se désintéressa des explications théoriques pour reproduire l'une de ces incroyables machines sur son carnet. S'il n'était pas vraiment convaincu par la philosophie de vie héliopolitainne, il ne pouvait que reconnaître que leurs pouvoirs familiaux couplés à leur savoir scientifique donnaient des résultats impressionnants.

— ... lorsque nous nous plaçons à la première résonnance électrique du système, il devient auto-suffisant. Le surplus d'énergie produite est alors directement injecté dans le plasma circulant dans son cœur.

— Vous voulez dire que votre plasma absorbe l'énergie électrique ? demanda l'Oncle Augustus, qui semblait vraiment vouloir suivre les explications de l'ingénieur.

— Parfaitement. Si vous souhaitez en avoir une démonstration...

L'héliopolitain demanda à l'un des employés de lui prélever une petite quantité de plasma non chargé. Il s'exécuta, laissant les deux animistes observer le semi-liquide aux reflets bleutés de tout leur soûl. Le responsable se tourna ensuite vers leurs trois gardes du corps.

— Messieurs ?

Sans se départir de son éternelle expression renfrognée, Boris saisit la fiole avant de poser un doigt sur le bord du récipient. Il fronça des sourcils. Un petit éclair jaillit de son index et se ficha dans le plasma, qui l'absorba en devenant fluorescent. Vraiment fascinant ! Hannes se manifesta, visiblement mal à l'aise à l'idée de rester plus longtemps que nécessaire sur cette plateforme parcourue d'éclairs.

— Et si nous poursuivions cette visite ?

— Votre collègue a raison, ne tentons pas la mauvaise fortune plus longtemps que nécessaire ! Descendons.



Max se sentit un peu soulagé de descendre de ce dôme. Ils retrouvèrent le plancher des vaches avant de se diriger vers un hangar semi-souterrain.

— Voici la salle de mise en terre, où le plasma chargé est envoyé vers nos canalisations.

Le hangar était curieusement calme. Les tuyaux pleins de plasma échouaient dans des cuves laissées à l'abandon. Elles débordaient. Des pelles jonchaient le sol. Les tonneaux posés juste à côté étaient prêts à être remplis. Quelque chose clochait, définitivement. Lugder fronça des sourcils en immobilisant le petit groupe. Il se tourna vers le responsable :

— Où sont les employés ?

— Je ne comprends pas. Nous sommes normalement en plein service...

Un homme sortit de la salle de repos. Seul. Il ne rendit pas le salut que lui envoyèrent leurs accompagnateurs.

— Que le Lumos éclaire ton chemin ! Où sont passés tes collègues, citoyen ?

L'inconnu s'immobilisa, visiblement fébrile. Il prit une grande inspiration avant de brandir un petit boitier noir d'une main tremblante :

— Pour la liberté du peuple héliopolitain. Nox !

— A terre ! hurla en même temps Lugder.

Tout sembla ralentir. Hannes se jeta sur l'Oncle Augustus en même temps Lugder sur Max. Il distingua dans sa chute Boris projeter un éclair vers leur assaillant. Trop tard. L'homme pressa la détente juste avant d'être atteint. La déflagration retentit, tellement violente que le sol en trembla pendant quelques secondes.

Max finit par rouvrir les yeux, les oreilles sifflantes. Ils étaient sains et saufs. L'explosion n'avait pas eu lieu ici. Le corps du terroriste, projeté quelques mètres plus loin par la frappe de Boris, gisait au sol. Il ne bougeait plus d'un pouce. Hannes le saisit sans ménagement avant de prendre son pouls. Après quelques secondes d'auscultation silencieuse, il releva les yeux vers Lugder, le visage sombre :

— Electrocuté : son cœur n'a pas tenu le coup. Nous ne pourrons rien en tirer.

— Par les burnes de Lucifer ! jura violemment l'héliopolitain.

Max détourna vivement le regard du corps sans vie. Si la bombe c'était trouvée dans le hangar, nul doute qu'ils seraient tout aussi morts à l'heure qu'il est... Mais où avait eu lieu l'explosion, alors ? L'Oncle Augustus s'était retourné vers l'ingénieur pour lui poser la même question :

— Qu'est-ce qui a explosé ?

— Je... Je...

Le pauvre homme était en état de choc. Les lumières de l'usine s'éteignirent alors sans lui laisser le temps de reprendre ses esprits. Ils venaient d'être plongés dans l'obscurité la plus totale.

Les voyages de Maximilien | LA PASSE-MIROIRWhere stories live. Discover now