2079 - Asphodèle

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Il ne fut jamais plus bel hiver que celui de 2079. 
Je n'en ai vu qu'un tiers après mon retour d'Afrique du Sud mais tu étais là pour m'en dire tant de bien que j'aurai presque eu l'impression d'avoir été présent. Tes dires et histoires à propos de cette saison m'avait fait regretté de ne pas avoir pris un vol retour lors du mois qui avait précédé le début de cette période ravissante. 

Les oiseaux mécaniques avaient cessés de voler dès la première tombée de neige, on pouvait en trouver sur les toits ou dans des niches de métal : endormis, comme le voulait leur programme à ce moment de l'année. Leurs piaillements rouillés ne manquaient à personne, quoique les rues silencieuses les jours de violentes neiges m'avaient semblées bien tristes.  

Il aurait fallu une journée entière pour déblayer la neige qui s'entassait sur la route. Fort heureusement celle à côté de laquelle je me trouvai n'était que très rarement emprunté et c'était sans doute pourquoi personne ne s'était donné la peine retirer toute cette neige. Sur le coup, l'idée que l'on laisserait cette colline de neige fondre d'elle même quand le temps se réchaufferait m'avait parue incongrue.  Ma montre indiquait onze heures et vingt-deux minutes, j'attendais désormais depuis une demi-heure et je ne pouvais pas encore entendre le son gracile de tes bottes de laines écrasant la neige. Ton retard, qui ne m'étonnait guère, m'avait permis de t'acheter un bijou. Sa forme était délicate, taillé en cœur le pendentif du bracelet était lié par une fine chaine d'or et orné d'une petite pierre bleue qu'un passant peu connaisseur aurait pu confondre avec un saphir. 

Quand la neige cessa de tomber et que passa ainsi l'heure d'attente mes mains étaient, malgré mes poches et mes gants, gelées. Mon écharpe ne suffisait plus à préserver le bout de mon nez du vent glacial et ce fut avec regret que je dus me résigner à aller t'attendre directement dans le bar ou nous étions habitués. Résigné, et donc en route pour rejoindre ce fameux endroit qui était mon favori, j'espérai secrètement que tu ferais miraculeusement ton apparition au bout d'une rue et que je pourrai ainsi prétendre marcher simplement pour me réchauffer. Malheureusement ce ne fut pas le cas et me voyant arriver la serveuse me pointa immédiatement avec un sourire la table ou nous avions toujours mangé. Je dus retirer mon manteau couvert de flocons, mon bonnet et mes gants trempées par la neige et je m'autorisai même comme d'autres client à ôter mes bottes. Gardant donc mon écharpe proche de mon visage je n'eus jusqu'à ton arrivée d'yeux plus que pour la porte d'entrée. 

Enfin, tu entras dans le restaurant et me cherchant du regard je compris que, si je n'avais que faire d'attendre, toi tu avais du te sentir mal de m'y obliger. Je craignais alors que tes premiers mots fussent des excuses mais joliment et simplement tu m'appelas par mon prénom et tendrement m'offrit un 'je t'aime'. Mon sourire dut être un de ces sourires qui n'aurait jamais pu prendre place sur mon visage avant que nous nous rencontrions. Pour exprimer à quel point cette expression sur mon visage pouvait être communicatif : dans tes yeux j'avais aperçu ton excuse et j'avis pu la voir aussitôt disparaître, tes joues rosies suggéraient désormais ta gêne mais, dans mon regard, tel un compliment, j'embaumai ton cœur et tes yeux criaient désormais au centuple les mots que tu m'avais déjà adressé.
Je m'empressai donc de répéter bêtement les mêmes mots, l'amour créait chez moi, pour tout ce qui te concernait, une urgence insoutenable : il était indispensable de t'assurer ma passion aussitôt que je désirai t'en faire part, ce n'étaient pas des mots que l'on faisait attendre. Pour toi je ne pouvais plus perdre ailleurs un instant, tu avais de la plus belle des manières retourné tout ce que j'avais pu imaginer de ma vie. Ton arrivée dans ce restaurant comme ton arrivée dans ma vie était un bond dans mon cœur qui ne toucherait jamais plus le sol. 

Omelette au fromage pour toi, salade Caesar pour moi, un verre de blanc tes lèvres rouges se posent sur son bord et tu prend une gorgée d'alcool avant d'inspirer profondément et commencer à me raconter ta journée. Tu me parles donc de cette cliente étrange qui a t'as fait courir dans le magasin pour des changements de taille incohérent, de ce robot livreur qui cesse de fonctionner en plein milieu d'une transaction et que tu as donc du charger, tu me laisses te raconter quelques unes de mes anecdotes et tu ris comme à chaque fois. Tes yeux se mettent à luire quand tu m'annonces que tu as enfin trouvé de quoi faire cette recette aux ingrédients introuvables et nous nous promettons de la faire ensemble.

La douceur d'un dessert suivi de celle d'un baiser et de nouveaux compliments nous voici dehors le cœur d'autant plus léger que nos porte-monnaie. Malgré le froid tu trouves le courage de sortir ta main nue de ta poche pour la glisser dans la mienne. Cette attention me saisit à nouveau d'amour et je ne résiste pas à l'enserrer affectueusement. Je te propose de rentrer pour finir notre journée autour d'une boisson chaude et d'un film, tu ne perds pas un instant pour accepter. Mettre la clé dans la serrure par un tel froid et parvenir à la tourner correctement fut une nouvelle épreuve pour mes pauvres mains mais une fois rentrés un sentiment d'extase s'empara de nos êtres sentant enfin courir l'air chaud sur nos peaux. 

Il était un temps ou nous aurions bégayés, rougis avant de peiner à aligner plus de deux mots sans ne fuir nos regards amoureux, aujourd'hui le simple fait de te savoir avec moi suffisait à me mettre à l'aise. Nous retirons nos manteaux je te prend dans mes bras et te porte dans les marches jusqu'à l'étage, tu ris, m'embrasses sur la joue et je te dépose sur le canapé avant de te promettre un thé et de redescendre précipitamment. 

L'amour nous fait faire des choses stupide, nous aveugle, nous rend tendre et plus naïf mais je n'avais jamais eu autant besoin d'une telle simplicité. Ressentir avec frisson, comme au premier jour, tes lèvres glacées sur ma joue était tout ce que je désirais, rester à tes côtés et continuer à t'aimer corps et âme. 

Ils auront beau dire que cette relation est passée, que je dois tourner la page et que mon cœur doit de nouveau s'ouvrir pour mon propre bien, je ferai la sourde oreille. Car même après ton départ soudain, même après tout le mal que ta disparition m'a causé, je reste le même homme. Je suis celui qui t'aime éperdument. Jamais je ne pourrai aimer comme je t'ai aimé. Notre amour était le trajet d'un cygne entre les courants glacés d'un lac gelé. Avec le temps les blessures seront lavées par les mêmes eaux qui emporteront nos souvenirs, les mots et ton visage mais l'amour et la chaleur au fond de mon être demeureront les mêmes. 

 Il ne fut jamais plus bel hiver que celui de 2079.
Tu étais là et je n'aurais jamais pu espérer mieux sinon que cet hiver soit éternel et nous fige dans le temps. Il aurait été doux et agréable de finir transi d'amour et de froid à tes côtés, même effacés par le gel cet amour nous aurait tenus bien au delà de nos vies. 

Laisse nous l'occasion de nous retrouver autour du baiser de la mort, nos âmes habitées de notre amour sincère se retrouveront dans les jardins d'asphodèles et nous seront perdus à deux pour l'éternité. 

Textes oubliés ~☆Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon