Fées et bâtons de sorcier

XIV - La mémoire de l'Œil (A)

On leur avait décerné une chambre sous les toits. Deux lits de chaque côté de la pièce tout en longueur se faisaient miroir l'un à l'autre en parfaite symétrie, par rapport à la ligne centrale qui conduisait d'un côté à la porte et de l'autre à une ouverture, ou plutôt un balcon, s'évasant au milieu des ardoises. Spiros était redescendu après avoir pris connaissance des lieux, laissant son ami seul, sans doute pour retrouver sa faëlle.

Allongé sur sa couche molle et grinçante avant l'heure du déjeuner pour se reposer les yeux, Jarl songea à tout ce qui venait de se passer. A tout ce que son ami avait pu vivre de difficile et de pénible jusqu'à présent, et à la jeune femme aussi, qui les avait guidés jusqu'ici. Oui surtout à elle à vrai dire. Il ne pouvait s'empêcher de se comporter différemment en sa présence, de devenir tantôt plus idiot, tantôt plus spirituel que d'habitude. Il avait perdu son calme et sa constance acquise difficilement par ses études, longues et laborieuses. En même temps, comment pouvait-il ne pas remarquer cette énergie et cette force de caractère... Magnétique, c'était ça le mot ! Et puis ce ton enjoué, ce visage, cette démarche, ce timbre de voix... Il ne savait pas ce qui ne lui plaisait pas chez elle. Oh si... peut être sa capacité à l'envouter, cette magie, cette aisance à le déstabiliser, si peu de choses finalement...

Il se morigéna, il ne devait pas perdre la raison, la situation était dangereuse, et pas que pour Spiros. Les décisions qu'il allait devoir prendre dans les prochains jours détermineraient très certainement son avenir.

Il savait qu'il n'était pas totalement lucide en présence d'Eren, c'est pourquoi il devait profiter de cet instant de solitude et de calme pour réfléchir. Elle les avait conduits jusqu'ici, soit ! Pourquoi ? Quelles étaient ses motivations profondes ? Quelle hypothèse était la bonne ?

Par nécessité, pour sauver la vie de la fée ? Hum non, trop altruiste...

Par curiosité, elle voulait en connaitre plus sur nous, ou sur moi ? Ne rêve pas Jarl !

Par besoin alors, pour nous mettre le grappin dessus au regard de la mission que lui avait confié sa tante... plausible...

Quelle était la véritable raison parmi toutes celles-ci ? Ou plutôt quelle était la plus importante, celle qui l'avait poussé à agir ? Quelle était, finalement, celle qui lui permettra de lui faire confiance à l'avenir ?

Jarl roula de gauche à droite dans son lit, les mains derrière l'oreiller en remontant les coudes, ce qui eut pour effet de déformer le cousin en forme de croissant de lune.

Il fixa de nouveau le plafond plongé dans l'ombre où il discernait pourtant nettement les poutres qui le zébraient.

Qui était-il pour elle ? Pourquoi l'intéressait-il ? Était-ce son métier ? Était-ce son étonnante capacité à supporter son touché ? Plus que tout cela ?

Soudain émotif, Jarl secoua sa caboche et entreprit de masser son cuir chevelu. Il hésita un instant à faire quelques pompes et abdos pour se changer les idées mais il oublia bien vite l'affaire, la fatigue l'en dissuada.

Un mot avait marqué son esprit pendant toute la discussion qu'avait eu la famille d'Eren. Ce mot était plus un groupe de mot d'ailleurs et désignait un objet insolite : l'artefact du subterfuge...

Il bien incapable de dire ce que c'était, ce que cela pouvait représenter pour eux. Quelle était son type, sa catégorie, sa fonction ou tout simplement son aspect. Il en était incapable alors même qu'il connaissait des milliers d'artefacts, ou du moins leur nom. Il fallait bien que ses longues heures à potasser les énormes volumes encyclopédiques de son maitre servent à quelque chose ! Et bien non, à rien finalement. Pour une chose néanmoins il était convaincu, ce nom avait quelque chose d'inquiétant. Subterfuge ? Subterfuge de quoi ? Un artefact rusé, un machin qui prend la fuite ? Qui permet de se dérober ?