II - Un apprentissage ardu (B)

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Jarl revint une heure après. Il marcha jusqu'à son étude d'un pas rapide. Il n'avait pas traîné, mais le temps passait vite et il lui restait plein de choses à finir. Le maître est sûrement rentré depuis longtemps. Et je n'ai même pas nettoyé son bureau ! Catastrophe ! Jarl se pinça les lèvres.

Il pénétra dans l'étude. Il ne s'était pas trompé, son maître était rentré et l'attendait. Il était penché sur la montre qu'il avait délaissée sur le bureau. Son entrée lui fit relever la tête. Sieur Maclire saisit alors entre ses doigts le ressort déformé, et leva un sourcil interrogateur. Se rappelant soudain sa saute d'humeur qui avait failli le pousser à jeter par terre son travail, et qui l'avait rendu suffisamment inattentif au point de casser une pièce du mécanisme, Jarl eu soudain le sentiment d'avoir été pris en faute. Son erreur était bénigne. Avoir cassé un minuscule ressort n'était pas grave, mais il avait échoué dans son exercice et il n'était pas fier. Ne trouvant pas les mots pour plaider sa cause, il haussa les épaules, paume orienté vers le plafond.

— Je vois. Fit Sieur Maclire.

Il reposa le ressort tordu, et se passa la main sur le visage d'un simple geste descendant. Il inhala profondément. C'était le signe que son maître était en train de prendre une rescision importante.

— C'est la première fois depuis le début de ton apprentissage que tu bâcles ainsi un travail, n'est-ce pas ?

Ce n'était pas une question mais une simple affirmation. Un constat froid et logique comme avait l'habitude d'en faire son maître. Jarl ne répondit pas, mais attendit.

— Combien de temps as-tu dormi la nuit dernière ?

— Cinq heures, maître.

— Et la précédente ?

— Cinq heures aussi, maître. (En fait, cela faisait plus d'une semaine que c'était le cas, mais Jarl n'osa pas le préciser.)

Sieur Maclire tourna son regard vers la table basse où se trouvait encore les verres légèrement teintés de vermeil en souvenir du liquide qu'ils avaient accueillis une heure plus tôt.

— Spiros est passé ? Interrogea-t-il en levant un sourcil.

— Oui maître.

— Il va bien ?

Jarl fut étonné de l'intérêt soudain que portait son maître pour son ami. Il n'avait par le passé jamais demandé de ses nouvelles, ni de celles d'Ésope d'ailleurs lorsque celui-ci était venu.

— Pas trop mal, il me semble. Répondit le jeune homme de manière laconique.

— Bien. (Il laissa s'installer un court silence.) Rentre chez toi, tu as assez travaillé pour aujourd'hui. Tu ne reviendras pas ici demain, tu iras voir directement le Maître Arold qui supervisera la suite de ton apprentissage.

Jarl cligna des yeux, soufflé par l'annonce de son maître. Quoi ? Avait-il bien entendu ? Aller voir le Maître Arold ! Le Maître des Coordinateurs ? Pourquoi maintenant ? Le chassait-il ? Être coordinateur était son rêve d'enfance, mais qu'est-ce que cela venait-il faire ici et maintenant ? Les paroles de son Maitre avaient le douloureux goût de la déception, celui du maître qui chasse son élève par dépit. Jarl ne comprenait pas. Il était quelqu'un de soigneux, de très appliqué. Son père lui disait même qu'il avait tendance à « pousser le bouchon un peu trop loin » comme tout perfectionniste qui se respecte. Il avait toujours exécuté les taches de son maître avec ardeur et avec la volonté tenace de les réaliser. Il avait souvent échoué, certes, mais sa persévérance lui avait valu de nombreux hochements de tête de satisfaction de son mentor. Et dans ce moment-là, il avait toujours su y puiser le courage nécessaire pour continuer, et cela même quand il avait les mains qui tremblaient de fatigue au-dessus de son ouvrage. Qu'il saturait tout simplement. Alors pourquoi ?

Sieur Maclire grimaça, ce que Jarl su interpréter comme un sourire qui se voulait rassurant. Restait-il de l'espoir ?

— Tu reviendras me voir le mois prochain, et tu me feras un compte rendu détaillé de ce que tu auras appris. Ce n'est pas une mise à pied, c'est un stage découverte. Je te fais confiance pour que ton rapport soit aussi détaillé que possible.

Jarl senti ses épaules se relâcher d'un coup. Il ne le chassait donc pas. Il restait apprenti artefacier. Étonnamment, cela le rassurait. Il y avait à peine une heure, il aurait préféré devenir boucher plutôt que de continuer à exercer un instant de plus ce dur métier, mais à présent, rien ne lui faisait plus plaisir que de savoir qu'il avait encore un avenir dans cette voie-là, que son Maitre voulait de lui. Il ne comprenait cependant pas la décision de son maître à son égard ; celle de l'envoyer étudier auprès du maître des coordinateurs.

— J'entends bien faire ce que vous me dites maître, mais la raison de ce travail m'échappe ? En quoi étudier sous la tutelle de maître Arold pourrait m'être utile ?

— Tu maîtrises bien le maniement des armes non ?

— Oui c'est exact, mais je l'ai appris par plaisir.

— Et ce fut une perte de temps. Ce qui est utile pour certain ne l'est pas forcément pour nous. Ne te fait pas d'illusions, tu n'iras rien apprendre sur ce terrain. Trancha le maître pour clore le bec à son élève qui voulait argumenter le contraire. Les coordinateurs ont bien mieux à t'apprendre. Ce sont les bases de la magie !

Rien que d'entendre ce mot suffisait à enflammer l'esprit de Jarl, mais il était bien en peine de comprendre l'intérêt de l'envoyer précisément là-bas.

— Mais dans ce cas pourquoi je n'irai pas étudier chez les Faëls ? Ils sont bien plus compétents dans ce domaine...

— On ne t'a jamais dit que tu posais trop de question garçon ! Fit Sieur Maclire en modulant sa voix pour la baisser d'une octave.

— Si, vous, deux fois par jour. Répondit le jeune homme vexé par la remarque de son maitre.

— C'est que ça ne doit pas être sans raisons ! Marmonna l'homme dans sa barbe. (Il reprit plus haut) Maître Arold est bien plus sévère et pourra te raccourcir la langue le cas échéant mon cher apprenti ! Voilà la raison ! (Il frappa d'coup sec l'établi près de lui) Maintenant débarrasse le plancher et va rejoindre tes amis, t'en a assez fait pour aujourd'hui !

Il marcha jusqu'à l'évier et attrapa une bouteille de son sirop alcoolisé entre ses mains usées mais finement musclé par des années de travail soigné et méticuleux.

— Tient ! Prend ça, tu le feras goûter à ta famille ! Maintenait déguerpis !

— Merci maître, je suivrai vos conseils à la lettre ! Lâcha Jarl le cœur gros mais satisfait de se voir libérer pour la soirée.

Il partit en courant, se rappelant un peu tard que lorsque son maître se montrait à la fois grognon et généreux de la sorte, c'était parce que ses sentiments faisaient bataille.

— C'est malin de dissimuler vos vrais sentiments derrière ce genre de grognements d'ours maitre ! Mais je vous connais ! Murmura-t-il un léger sourire en coin.

Fées et bâtons de sorcierWhere stories live. Discover now