I - Première rencontre (B)

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Les personnes présentes sur la place du Choix, c'est à dire presque une cinquantaine en comptant les parents des participants, applaudirent pour saluer les futurs coordinateurs. Jarl contempla ses mains frapper mécaniquement l'une contre l'autre. Le futur qu'il avait si longuement imaginé disparaissait comme les dernières notes d'une musique douce et mélancolique.

Mais en voyant ses deux meilleurs amis transpirer littéralement de joie, comment pouvait-il se renfrogner sans se sentir coupable ? Finalement, c'est un sourire franc qui se dessina sur son visage. Sa tristesse reviendrait plus tard, lorsque tout ceci serait fini.

Les cinq Faëls et leurs coordinateurs potentiels se mirent ensuite sur le côté. Les enfants restants regagnèrent la place qu'ils venaient de quitter, et attendirent la suite des événements.

— Maintenant ! Déclara La Première Faël d'une voix forte. C'est l'heure de confier aux maîtres la charge des enfants que nous leurs avons choisis, en concordance avec leurs aptitudes et selon le désir de leurs parents.

Des commentaires parcoururent encore la foule amassée derrière les maîtres des différentes disciplines.

— Sieur Gorge, Maître des plantes ! Appela la Première Faël. Nous vous confions la charge de Violette. Veuillez lui enseigner votre art et votre savoir, pour qu'elle puisse le transmettre plus tard à son tour, à ceux dont elle aura la charge.

— Je promets de lui enseigner ce que je sais, jusqu'à ce que ses connaissances surpassent les miennes ! Répondit l'homme taillé comme un bûcheron, ainsi que le voulait le rituel.

Après celui-ci, le Maître des Tisseurs, le Maître des Alchimistes et le Maître des Forgerons reçurent sous leurs ailes un garçon chacun. Ils n'étaient dès lors plus que trois à attendre leur tour, et Jarl avait de plus en plus de mal à rester en place.

— Sieur Maclire, Maître des Artefacts ! Appela alors La Première Faël. Nous vous confions la charge de Jarl. Veuillez lui enseigner votre art et votre savoir, pour qu'il puisse le transmettre plus tard à son tour, à ceux dont il aura la charge.

Les mains enfoncées profondément dans les poches d'une vieille redingote, un homme s'avança, aussi élancé qu'un échassier. Sa posture le maintenait courbé en avant comme un frêle roseau battu par le vent. Son regard brillant d'intelligence était froid. Il examina d'un œil critique Jarl qui se mit à transpirer. Pas un sourire ne vint éclaircir son visage taillé de marbre. Un long silence s'éternisa. Puis il acquiesça de la tête, comme vaguement satisfait de son examen.

— Je promets de lui enseigner ce que je sais, ensuite on verra bien... Dit-il d'un air bourru, soulevant quelques murmures choqués dans l'assistance.

Jarl sut qu'il devait avancer. Il se plaça à côté de son nouveau mentor aussi loin qu'il le pouvait. Celui-ci le terrifiait, sans qu'il sache pourquoi. Son regard n'était pas cruel, mais ce qu'il dégageait d'autorité était écrasant. Face à lui, il se sentait comme un nain devant un géant.

Le Maître Menuisier et le Maître Pâtissier se virent confier les deux derniers enfants, respectivement un garçon et une fille. Après cela, Jarl reçu la toge blanche à bandes violettes des artefaciers, qu'il enfila rapidement par-dessus ses habits. Ses parents vinrent le serrer dans leurs bras pour le féliciter. Il accepta avec une certaine gêne ces embrassades. Il ne méritait vraiment pas les applaudissements.

Il n'avait pas réussi à devenir coordinateur ; fonction la plus respectée dans le village après celle des druides. Il n'était qu'artefacier, un apprenti lambda dont le travail était connu pour être long et éprouvant. Qu'avait-il gagné aujourd'hui ? Rien, vraiment rien. Ses rêves futiles avaient fondus face à l'essence ardente et brute de la réalité.

La cérémonie se termina par un discours de La Première Faël, et quand celui-ci fut fini, Jarl su qu'une page venait d'être tournée. Le banquet et les festivités du solstice d'été quant à lui, allaient pouvoir commencer.

La place du village se vida lentement. Les habitants se dispersèrent dans différentes directions, mais la majorité se dirigea vers le champ en bordure du village où les préparatifs de la fête, débutés depuis déjà une semaine, venaient de s'achever. Jarl vit même plusieurs fées sylvestres, habillées de leur atours de cérémonie, de longues robes émeraudes à la couture délicate, les survoler. Tout le village, ou presque, c'est-à-dire cinq mille âmes au bas mot, allait se retrouver agglutiné dans un immense champ. De grands feux brûlaient déjà, attirant immanquablement par leurs colonnes de fumées les retardataires qui souhaitaient prendre part à la fête.

Jarl en faisait partie, et il devina au son du tapage lointain que l'effervescence devait déjà y régner.

Ésope et Spiros purent finalement échapper à leurs parents. Ils vinrent alors retrouver Jarl pour partager ce moment de liberté. Ils étaient désormais autorisés à faire ce qu'ils voulaient jusqu'au lendemain, car aujourd'hui était un jour de fête, et bien des bêtises pouvaient être tolérées.

— Tu as vu ? Crièrent en cœur les deux amis de Jarl. On est des coordinateurs !

— Dommage pour toi... Fit Ésope qui voyait bien que Jarl était vexé de ne pas avoir eu autant de chance que ses amis. Mais tu verras, je suis sûr que le métier d'artefacier te plaira. Tu es génial pour réparer des trucs ! Nous, on aidera nos Faëls à combattre les montres en leur fournissant notre magie. Et toi, tu lanceras sur eux tes plus puissants artefacts. On combattra tous ensembles, comme on en a l'habitude !

Jarl, qui n'avait pas vu les choses sous cet angle, apprécia ce que lui disait Ésope pour lui remonter le moral. Vu ainsi, les choses ne paraissaient pas aussi terribles.

— Mais ce n'est pas pareil... Fit-il tout de même remarquer, les artefaciers construisent des armes mais ne se battent pas vraiment, et... ils sont beaucoup moins « classes » !

Spiros haussa les épaules car il ne savait pas quoi répondre, mais Ésope, qui avait réponse à tout, lui dit :

— Quand tu seras le plus grand et le plus fort des Artefaciers, tu pourras toi-même choisir de te battre ! C'est toi qui décideras, et ensemble on sera le groupe le plus fort de la vallée. À nous trois, on chassera définitivement toutes les fées de la nuit de la montagne, tu verras !

— C'est vrai ! Et personne ne pourras m'empêcher d'aller tuer des fées dans leur grottes noires et puantes ! S'exclama Jarl.

— Exactement ! Cria Spiros, gagné par l'excitation de ses amis.

— Et si on jouait aux coordinateurs et aux artefaciers ? Proposa Jarl.

— Pourquoi jouer ? S'indigna faussement Ésope, le sourire étiré jusqu'aux oreilles. Puisqu'on est maintenant de vrais coordinateurs et de vrais artefaciers !

Le trio éclata alors de rires. Cherchant avec frénésie de solides bâtons pouvant faire office d'épées, ils coururent dans tous les sens au gré de leur imagination, étripant une fois armé, et avec une ferveur toute enfantine, leurs adversaires immatériels et toujours plus nombreux.

Fées et bâtons de sorcierWhere stories live. Discover now