I - Première rencontre (A)

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             Comme chaque année, tous les potentiels coordinateurs étaient rassemblés sur la place du Choix, à l'ombre du grand orme plusieurs fois centenaire. Jarl était assis au milieu d'une dizaine d'enfants de son âge. Il y avait sa place. Filles comme garçons, tous entraient dans leur dixième année.

Jarl était inquiet. L'atmosphère très solennelle du lieu en était la cause. Il tourna la tête pour s'assurer que ses parents étaient toujours présents quelques pas derrière lui, leur fit un signe discret, et ceux-ci lui sourirent en retour. Les savoir près de lui le rassura suffisamment pour l'empêcher de trembler. Les grands rassemblements avaient ce petit quelque chose d'oppressant qui ne lui permettait jamais de se détendre compétemment. Ainsi, lorsque la Première Faël, magnifique et sévère, se dressa devant eux, les fondations de sa belle assurance s'effritèrent.

— Mes enfants, savez-vous pourquoi vous êtes rassemblés ici ? Commença cette grande dame aux cheveux blancs, dont la voix forte couvrait sans effort tous les bruits de la grande place du village de Loriel.

Les enfants s'entre regardèrent mais ne pipèrent mot. Ils n'en avaient aucune idée. Ici, dans ce lieu reculé ou se déroulait l'affiliation aux métiers, l'ordre communautaire s'étaient progressivement établi autour d'une hiérarchie très stricte, alors, même si l'un d'eux avait ne serait-ce qu'un embryon d'idée, il aurait été fort malvenue de répondre. La cérémonie devait suivre son cours sans entraves, ainsi qu'elle le faisait depuis des siècles. Les exilés, ses habitants fiers et rustiques, avaient trouvé refuge dans ce havre de paix au cœur de la forêt pour y bâtir un avenir. Jarl connaissait son histoire, mais en cet instant de grande émotion, il ne se souvenait plus de quand cela avait commencé. Ses parents, ses grands-parents, et même ses arrières grands parents n'étaient pas encore nés au moment de la grande migration, mais le souvenir souvent ravivé de cet évènement était encore bien ancré dans la communauté. Des années auparavant, une femme les y avait conduits pour fuir la guerre et le sang. Personne dans le village ne pouvait ignorer son nom : Anivia, la toute première Faël. Depuis, les femmes les plus aptes à diriger lui succédèrent pour assumer sa charge de dirigeante. La Première Faël, ainsi qu'on la nommait, était la plus haute figure d'autorité. Pour cette simple raison, personne, lors son discours, n'aurait osé la couper.

N'attendant pas de réponse à sa question rhétorique, la plus puissante utilisatrice humaine de magie de la région continua son discours.

— Vous êtes rassemblés ici pour deux raisons, et la première concerne votre âge. Vous avez bien grandi mes enfants, et vous voici en passe d'entrer dans l'âge de raison ! L'âge de vous éveillez au savoir. Par conséquent, vous n'êtes désormais plus des enfants, mais des apprentis ! Vous allez entrer dans une phase de transition, dans une phase très importante de votre vie, car c'est durant cette période que vous allez être formés, instruits, et tout ce que vous apprendrez influencera l'adulte que vous serez plus tard. Cette cérémonie va donc marquer ce passage important. Comme vous le savez déjà surement, vous allez entrer en apprentissage dès demain, et c'est aujourd'hui que vous serez confiés aux bons soins d'un des maîtres ici présent.

La Première Faël se retourna alors pour désigner la quinzaine de personnes présentes derrière elle. Chacune d'entre elle maîtrisait une discipline qui lui était particulière. Certains parmi ces gens étaient des maîtres artisans, tandis que d'autres possédaient un savoir plus envié, car plus précieux et plus merveilleux. Mais chacun d'eux était venue spécialement pour accueillir un nouvel élève ; à moins que la Grâce des Faels ne ravisasse l'enfant pour ses propres desseins.

Parmi ceux-ci, le maître des coordinateurs était le plus impressionnant aux yeux de Jarl. Habillé de pied en cape d'un cuir brun sombre, il portait avec élégance une longue cape de couleur indéfinie, étrangement changeante. Cet homme avait tout de l'allure du guerrier. Même la partie inférieure de son visage était dissimulée aux yeux des autres par un pardessus dont le col remontait jusqu'au nez. Ce menu détail rajoutait du mystère à sa personne. Un tricorne usé par le temps recouvrait sa tête. Sa main droite gantée se refermait sur un bâton si finement travaillé sur toute sa surface, qu'il pouvait être considéré comme une relique à part entière. Collée contre son flanc, une fine épée bâtarde accentuait l'aura de dangerosité qui l'entourait. Tout en le regardant, Jarl dégluti d'appréhension et d'envie. Son rêve d'enfant avait toujours été d'être choisi par cet illustre personnage, même en sachant qu'un tel honneur avait son propre revers, celui d'un péril voisin.

Fées et bâtons de sorcierحيث تعيش القصص. اكتشف الآن