Chapitre 4

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Après le décès du premier nouveau-né, ses parents avaient pris la décision - difficile mais néanmoins nécessaire - d'être suivis par un psychothérapeute. Leena n'était bien sûr pas encore venue au monde lorsque ça s'était produit, mais ses parents s'en souvenaient comme si c'était hier. Après un certain temps, ils avaient tant bien que mal réussit à faire leur deuil, mais l'évènement avait représenté un traumatisme assez grand pour les accompagner tout au long de leur vie. Le genre de cicatrice qui ne part pas. Pas vraiment.

Après avoir eu Leena, ils avaient fait tout leur possible pour être bien préparés. Après s'être renseignés en long et en large sur les enfants nés après des fausses couches, la crainte que leur fille ne présente des troubles du comportement se mit à germer. Mais leur enfant, à défaut de présenter de manière visible une quelconque anomalie, avait rapidement développé en elle un fort sentiment de culpabilité accompagné d'une dépression chronique. Il fut alors rapidement convenu qu'elle serait prise en charge par un pédopsychiatre. Il s'agissait d'une femme assez jeune, âgée d'une trentaine d'année, qui ne se séparait jamais du petit carnet rouge dans lequel elle notait ses entretiens avec Leena. Elle venait rendre visite à sa jeune patiente une fois par semaine, et chaque séance durait environ une heure. Cette thérapie pouvait parfois se montrer très effective, mais certains jours Leena n'avait tout simplement pas envie de parler et se fermait comme une huître. Dans ces moment-là, elle avait plus l'impression de suivre cette thérapie pour ses parents que pour elle.

La cloche du dîner sonna soudain, arrachant la jeune fille hors de ses pensées.

- Le dîner est prêt ! s'écria sa mère en bas des escaliers.

Leena passa le reste de la soirée en compagnie de sa mère et de son père, tous les trois assis à une grande table en bois massif. Elle s'était toujours sentie très proche de ses parents, et tout particulièrement de son père. Elle tenait de lui ses yeux bleus et ses cheveux d'ébènes, mais ils se ressemblaient encore plus dans leur personnalité. Ils étaient tous les deux de nature introvertis, et l'on pouvait difficilement cerner le fond de leurs pensées. Leur intelligence et leur caractère se retrouvaient particulièrement dans leur manière de voir le monde, tout autant que l'amour qu'ils portaient aux livres. La bibliothèque constituait d'ailleurs la plus grande fierté de son père. Il y trouvait toujours refuge lorsqu'il avait besoin d'être seul ou de se vider l'esprit après le travail.

Benjamin Gray était un homme droit et honnête qui avait eu la chance de faire de sa passion un métier, et surtout de réussir mieux que quiconque dans le milieu. Il aimait sa femme et sa fille plus que tout au monde, et les épreuves qu'il avait dû traverser avec elles n'avaient fait que renforcer son affection. Pour le onzième anniversaire de Leena, il fit commander l'édition complète des romans d'Harry Potter, ainsi qu'une lettre d'admission à Poudlard que sa fille garda précieusement toutes ces années dans le tiroir de sa table de chevet. Il adorait la voir rire et s'extasier en déballant ses cadeaux. Elle constituait son monde, et voir ses yeux briller de joie n'avait pas de prix. Mais le temps passait et sa fille grandissait, si bien qu'il avait fini par comprendre que certains cadeaux ne pourraient pas combler le vide qui s'était installé dans son cœur.

Toute la durée du repas, Leena redoutait le moment où ses parents allaient lui annoncer ce qu'elle savait déjà. Les paroles de sa nourrice résonnèrent alors dans son esprit : « Essayez d'avoir l'air surprise ! » Mais contre toute attente, le dîner fut détendu. Chacun raconta la manière dont il avait passé sa journée, du cours de piano que Leena avait eu dans l'après-midi avec M. Jenkins, des fleurs que sa mère avait arrosées, et de la manière dont son père s'était renversé du café au travail. Ce ne fut que vers la fin du repas que Leena remarqua l'expression sérieuse qui venait de s'afficher sur le visage de son père. Il semblait réfléchir à la meilleure manière d'aborder le sujet.  Après avoir bu une gorgée de vin rouge, il regarda respectivement en direction de sa femme, puis de sa fille :

- Namei t'as parlé tout à l'heure, non ?

Leena hocha la tête en silence. Décidément, rien ne lui échappait. 

- Alors tu sais que nous n'abandonnons pas, ta mère et moi. Pas encore du moins, ajouta-t-il en se tournant à nouveau vers sa femme qui avait alors répondu par un sourire.

La jeune fille posa ses couverts sur la table et examina le visage fatigué de sa mère. Elle eut de plus en plus de mal à cacher son irritation.

- Je sais que je peux paraître égoïste, dit-elle. J'en ai conscience, même quand je vous dis que ça me pèse d'être fille unique, et même si je sais que je devrais vous suffire, j'en redemande toujours plus. Pour ça, je suis vraiment désolée. Seulement... »

Elle hésita un instant avant de terminer sa phrase puis prit une profonde inspiration et regarda droit dans les yeux de sa mère :

- J'en ai vraiment assez de ce faux espoir qui semble ne jamais vous quitter, papa et toi.

Son père s'apprêta à dire quelque chose, mais sa mère répondit la première :

- On s'attend au pire, mon cœur. Crois-moi. Il se trouve que je suis enceinte, oui, mais Dieu seul sait si cet enfant verra le jour. Et même si nous voulons garder espoir, je ne prétends pas que cette fois il y ait une quelconque certitude. Par contre, s'il y a bien une chose dont nous sommes certains, c'est que tu es le plus beau cadeau que le Ciel ait pu nous offrir. Tu ne dois pas t'en vouloir parce que nous avons choisi de continuer à essayer. Ce n'est pas seulement pour toi, mais aussi pour nous, tu comprends ?

Après avoir marqué une pause, sa mère serra la main de son mari dans la sienne et tous deux échangèrent un regard avant de se tourner à nouveau vers leur fille d'un air admiratif :

- Tu as supporté avec nous tant d'épreuves, à ta manière, dit son père. Nous voulions aussi que tu saches que ta mère et moi nous sommes mis d'accord pour que cette fois-ci soit la dernière.

La dernière ?

Ces paroles sonnaient faux à ses oreilles. Néanmoins, elle ne pouvait nier la sincérité de leurs propos.

- Pour être honnête, je suis assez soulagée de l'entendre. Je mentirais si je disais que ça ne me rend pas un peu triste aussi.

- Je ne te demanderai pas de garder espoir, ma grande, répondit doucement son père. Tu es notre enfant, et comme l'a dit ta mère, nous avons eu une chance inimaginable de t'avoir. Mais à nouveau, c'est un choix que nous avons fait, sur lequel tu n'as aucune prise. Ce n'est la faute de personne, et encore moins la tienne.

Un nouveau silence s'installa dans la pièce, traduisant la profonde réflexion dans laquelle leur fille venait de se plonger. Ce ne fut qu'après avoir pris le temps de mieux comprendre la situation que Leena fronça légèrement les sourcils et leur demanda finalement :

- Ça fait combien de temps que tu es enceinte ?

Le visage de ses parents s'illumina d'un grand sourire, empreint d'un soulagement qui lui serrait le cœur.

- Ça fera deux mois dans une semaine, déclara sa mère tout en caressant légèrement son ventre qui commençait à s'arrondir. Leena ne l'avait pas remarqué jusqu'à présent, mais il n'y avait pas de doute, son ventre était un peu plus rond que d'habitude.

Leena se résigna à penser que même si elle avait perdu tout espoir depuis longtemps, elle ne pourrait pas obliger ses parents à faire de même. Après tout, comme ils le lui avaient dit, c'était leur choix, et elle n'en était pas responsable. Cette pensée la libéra d'un poids, même si elle espérait secrètement que cette fois elle aurait vraiment une petite sœur.

A la fin de la soirée, elle embrassa ses parent, leur souhaita bonne nuit et remonta dans sa chambre après avoir avalé ses cachets habituels. Elle en prenait une poignée tous les jours, matin, midi et soir, chaque pilule étant associée aux maladies qui l'accompagnaient : troubles digestifs, asthme, pneumonie... Ses parents avaient toujours rechigné à ce qu'elle passe sa vie dans une chambre d'hôpital, mais au vu du nombre de médicaments et de traitements qu'elle devait suivre, elle n'en voyait plus la différence. Une fois dans son lit, elle ferma les yeux et ne tarda pas à plonger dans un sommeil profond.

Une Potterhead à Poudlard [PARTIE 1]Where stories live. Discover now