Imperia

Chapitre 36 - La sentence

La traînée de charbon noire s'étendait en une courbe élancée. Les pigments teintaient la tapisserie, traçant de longues silhouettes décharnées. Le noir, flouté au doigt, assombrissait un ciel dépourvu d'étoiles, où seule une lune pleine se distinguait. Je sortis mon couteau de son fourreau et entrepris de tailler la mine de mon crayon. Par habitude, je me piquai le doigt avec celle-ci pour juger de sa finesse. Je repris alors mon travail, détaillant avec aisance mais concentration l'écorce vieillie des arbres de cette forêt maudite. Au creux de ces hauts pins, comme entouré d'un écrin de verdure protecteur, un couple se tenait debout, se faisant face. Sans se toucher, ils se regardaient avec intensité, paisiblement. Pourtant ils n'auraient pas dû être si paisibles, autour d'eux, un rectangle de feu qui entourait la totalité du décor gagnait du terrain. Les flammes immenses, même immobiles sur le papier, semblaient danser autour d'eux.

Ils étaient pris au piège.

Je reposai le crayon sur le sol, mes mains étaient noires d'avoir estompé le charbon. J'avais recréé le tableau dans lequel Josh avait été enfermé, véritable pomme de discorde, mais cette fois-ci je m'y étais représentée également. Je m'y sentais enfermée encore à présent, alors que je l'avais détruit il y avait de cela des semaines, le poignardant de toutes mes forces à l'aide d'une lame de ciseaux.

Que ce serait-il passé si j'avais écouté ma tante ce jour-là ? Si je m'étais débarrassé de cette toile sans ajouter un mot ? Il valait mieux ne pas y penser, il était impossible de revenir en arrière, et pourtant une boule douloureuse se formait déjà dans ma gorge lorsque je pensais à ma tante, à Enzo et Lucie, à mes parents. Que se passaient-ils chez moi ? Je n'avais accès à aucun moyen de communication... Amanda continuait elle de jouer le jeu et de cacher ma disparition ? Peut-être que la France entière était à ma recherche en ce moment.

Personne ne pourrait jamais me retrouver.

La dernière trace que l'on pouvait trouver de moi était celle de mon enregistrement à l'aéroport de Paris, et faute de preuves suffisamment concluante on penserait surement à une fugue. L'affaire serait clause rapidement.

Je secouais la tête dans l'espoir vain de faire sortir ces pensées nostalgiques de mon esprit.

-Ce n'est pas terminé, murmurai-je en regardant le croquis mural. En effet, les corps des deux amants n'avait pas encore été réduit en cendre, et bien qu'ils semblaient encerclés par les hautes flammes menaçantes sans possibilité de s'en échapper, rien ne garantissait qu'une averse n'allait pas les délivrer à la dernière minute.

"Ce n'était pas terminé". Je m'étais répété cette phrase encore et encore. Sans m'arrêter, espérant naïvement que cela permettrait de m'en persuader. Il me restait encore un petit espoir, aussi minuscule que le grain de mon crayon. Cet espoir s'appelait Josh. J'espérais qu'il ne me trahirait pas. Mon cœur se serrait quand je pensais à lui, j'avais envie de le détester et c'était le cas d'une certaine façon, mais un autre sentiment prenait plus de place. Je n'osais pas poser de mots dessus.

Nous étions damnés de toute façon, nous avions tenté d'enfreindre trop de règles en étant ensemble, toute notre relation était contre nature, fondée sur des mensonges, des transgressions de règles en tout genre... Dans le meilleur des cas je sortirais d'ici vivante. Mais seule.

J'essuyais la lame de mon couteau sur mon pantalon en prenant garde à ne pas me blesser, j'étais déjà assez amochée. J'utilisai ensuite ma lame propre pour observer mon reflet. Les bleus à mon cou étaient désormais plus foncés, bien visibles, mais j'étais moins enflée. J'étais affreuse, sale, recouverte d'égratignures, mais ce fut mon regard qui retint mon attention. Il était déterminé, puissant. C'était comme si toute la force qui me restait s'était accumulée dans mes iris sombres. Je passai délicatement mon index sur mes paupières, l'une après l'autre, les recouvrant de pigments sombres, résultat des particules de charbons qui s'y étaient fixées. Cela avait suffi à transformer mon visage, j'avais désormais des allures de guerrières.