Mes mains sont croisées derrière moi, elles sont glacées, je tremble. J'ai peur de découvrir la mission. J'ai peur de ne pas pouvoir y arriver. Pourtant, j'entends des centaines de battements de cœur qui résonnent dans ma tête. Ce sont ceux des étudiants derrière moi. Nous sommes tous dans la même situation, je ne suis pas la seule à avoir peur. Et là, le signal. Vert. La porte s'ouvre.
Flame et moi la franchissons. Ce n'est pas un bureau mais un ascenseur. Les portes se referment.
― Ça va ? demande Flame.
Il a l'air calme et serein. Je ne crois pas qu'il soit effrayé par ce qui nous attend là-bas. Soudain, la cabine s'élève dans une vitesse incroyable. Mon cœur bondit.
― Le rouge, la puissance et le courage, j'aime bien la couleur que tu as choisie. L'aisance au combat aussi. Mais pas l'intellect ou la lucidité, dit Flame pour me détendre.
― Je me suis dit que comme le rouge était la couleur de ton élément alors je devais la choisir... Mais c'est aussi la couleur du sang... j'ai peur de... de la nature de la mission.
― Nous avons été entraînés alors normalement... nous ne devrions pas avoir de problèmes...
― Oui... pour toi peut-être... mais je suis un fardeau... ça sera peut-être moi ton plus gros problème. Et je n'ai pas envie d'être un problème.
L'ascenseur s'arrête, la portière s'ouvre derrière nous. Nous nous retournons et contemplons le bureau, un fauteuil est retourné vers un écran panoramique accroché sur le mur. Le fauteuil se tourne, le Commandor Eminent y est assis. À côté de son bureau, se tient une boudjelaihse élancée. Elle n'a pas de sourcils sur son visage, ses yeux sont plus globuleux et sombres que ses compères. Elle est vêtue d'une robe moulante blanche, fendue sur les deux côtés, et qui laisse ressortir ses formes généreuses. Un corps parfait, que toutes les filles, un peu maigrichonnes comme moi, aimeraient avoir.
― Entrez, dit-elle.
Nous prenons la position du soldat. Son Éminence me fixe et me dévisage. Mon cœur se met à battre plus fortement, non pas parce qu'il me dévisage ou que j'ai peur d'entendre quelle sera notre mission, mais parce qu'il me regarde comme s'il avait vu un fantôme. Il se lève de son siège.
― Votre nom jeune fille.
― Améthys... Améthys RISE.
Il s'approche de moi et me fixe droit dans les yeux. Je ne détourne pas mon regard.
― Papa, dit Flame, il y a un problème ?
Le Commandor sursaute, comme si le fait que Flame l'ai appelé comme cela, lui a donné des frissons. Il se tourne vers son fils et lui témoigne un regard sévère. Flame l'imite. Ils ont vraiment le même tic quand ils sont en colère.
― Cette jeune fille ressemble juste à... une ancienne connaissance... je voulais connaitre son nom de famille... Vérifier si elles avaient un lien de parenté.
― Comment s'appelait cette connaissance ? demandé-je.
Il m'observe de nouveau, je perçois une sorte de lueur dans ses yeux, j'ai l'impression, que je n'aurai pas dû poser cette question.
― RISE, est le nom de mon père, repris-je... mais pas le nom de ma mère... Et vu la façon dont vous me regardez... j'ai l'impression qu'il s'agissait d'une femme...
Il sourcille, comme si je lui avais fait un affront. Puis, il sourit avec narcissisme.
― En effet, c'était une femme d'une extrême maladresse, qui ne savait pas tenir sa langue, ce qui lui a valu une mort tragique.
J'avale ma salive, car j'ai l'impression qu'il s'adresse à moi. Mais ne connaissant pas mes parents, je ne peux pas être certaine qu'il parle de ma mère.
― Commandor, proteste Flame, nous sommes ici pour recevoir une mission.
― Tu as choisi un joli spécimen Flame. (Il s'approche de lui et le tape sur l'épaule droite.) J'espère qu'elle a vraiment un pouvoir d'adaptation...
Flame plisse les yeux. Je lis de la méfiance dans son regard. Il ne fait pas confiance à son père.
― Bien Palco, leur résultat ? reprend-t-il en s'adressant à la boudjelaihse.
Nos résultats, du test du choix, s'affichent.
― 47 monstres. (Il pouffe de rire sur mon score. Puis, reprend son calme en voyant mon score de survie.) 2 minutes. (Il reste un moment silencieux. À quoi peut-il penser ?) Bonne en survit mais mauvaise en attaque... Quelle est son arme ?
La boudjelaihse change d'écran et lui montre l'épée. Elle se dirige ensuite vers une sorte de console de navigation ou je ne sais quoi. Elle appuie sur quelque touche, et soudain un bruit strident. Au milieu du bureau un champ magnétique se forme et l'épée apparaît. Elle s'en empare pour me la donner. Le Commandor retourne s'asseoir derrière son bureau.
― Bien, passons aux choses sérieuses.
Palco change l'écran et nous montre un planisphère sur lequel sont représentés trois continents.
― Tétra et ses continents : Volga, Dagfirnn et Astrihir. Vous serez sur le continent le plus vaste : Dagfirnn. (Le planisphère se rétrécie et la carte de Dagfirnn apparaît.) Dagfirnn fait dix fois notre continent principal. Voici les quatre zones.
Des couleurs apparaissent sur l'écran. La zone rouge se trouve au nord-ouest du continent.
― On ne peut prévoir où vous allez atterrir. Vous pouvez atterrir n'importe où sur Dagfirnn. Mais, il vous faudra rejoindre la Space Gate 4 de la zone rouge pour revenir sur Cirth.
Palco nous montre une photo de la Space Gate 4, un building noir aussi gigantesque que celui du Célestial.
― Mais avant de rejoindre la Space Gate 4, il vous faudra vaincre le prototype G-416, la dernière génération de prototype que les boudjelaihs ont mis au point.
Une image apparaît. Une énorme machine dont la moitié de la tête a une apparence humaine, avec un œil couleur noisette. Mais l'autre moitié : un visage brûlé et un œil de cyborg rouge. Au-dessus de son crâne est tatoué G-416.
― Dès que vous arriverez sur Tétra, vous devrez le traquer. Ramenez sa tête à la Space Gate numéro 4 et le présenter au comité. Tant que vous ne la leur présenterez pas, vous ne rentrerez pas. Nous sommes le 02 Freiftuh, du mois d'HIAVAS de l'an 3516. Vous devrez donc être de retour avant le 03 Lorgtuh, du mois d'EIRA de l'an 3517, minuit. Après cette date, si votre mission n'est pas accomplie, vous serez considérés comme rebelles.
Palco s'approche. Elle nous donne des montres.
― Voici des micro-ordinateurs, dit-elle. Vous pourrez localiser les différents lieux de Dagfirnn, localiser les autres étudiants autour de vous, ils seront en vert. Votre ennemi, le prototype G-416 est en rouge. Vous serez représentés par les points bleus et la Space Gate un point jaune. Un chronomètre se déclenchera dès que vous atterrirez. Il vous indiquera l'heure, la date, et le temps restant. Vous pouvez aussi l'utiliser comme lampe de poche.
― Avez-vous compris votre mission ? demande le Commandor.
― Oui, craillons-nous.
― Bien, alors, je vous souhaite bonne chance. (Il se tourne vers moi.) Si vous rentrez tous les deux, j'espère que nous pourrions faire plus ample connaissance, Miss RISE.
Je remue la tête. Il se tourne vers Flame.
― Nous l'inviterons à dîner à la maison Flame. Qu'en dis-tu ?
Flame reste sceptique. Il n'est pas retourné chez lui depuis six ans. Va-t-il y repartir ? Quoi qu'il en soit, nous ne sommes pas sûrs de revenir. Ce prototype a l'air bien plus dangereux que les monstres.
― Certainement, répond-t-il. Au revoir.
― Vous pouvez sortir, dit Palco en nous dirigeant vers une autre porte. Il y a une armoire où se trouvent des sacs de survie. Vous en prendrez un chacun. Nous vous offrons aussi le casse-croûte du dîner de ce soir. Bonne chance à vous.
― N'y a-t-il pas un étui pour que je puisse ranger mon arme ? demandé-je.
Elle cligne des paupières puis serre ses mains, faisant apparaître un champ magnétique qui se matérialise en baudrier. Wow ! Une magicienne ! Je ne savais pas que les boudjelaihs avaient de tels pouvoirs !
― Merci, dis-je.
La porte s'ouvre, Flame s'y précipite comme s'il voulait fuir son père. J'observe une dernière fois le Commandor. Il regarde Flame avec fierté. Je ne sais pas quel genre de fierté c'est. Un père content de voir son fils devenir un soldat ou un père content de quitter son fils ? Quoi qu'il en soit je baisse la tête en signe de respect, il m'imite aussi, puis je sors.
J'attache le baudrier sur mon dos et j'y plante l'épée. Dans la nouvelle salle, nous sommes face à une immense armoire où se trouvent des sacs de survies comme dans la simulation. Petits et pas encombrants avec tout le nécessaire : les vaccins, la gourde d'eau, la seringue d'eau, le sac de couchage en aluminium, un canif et notre casse-croûte. Un soldat attend devant la porte.
― Prenez un sac et suivez-moi, dit-il.
Nous obtempérons. Nous traversons une passerelle vitrée. Sous mes pieds j'aperçois des techniciens en uniforme gris contrôler les vaisseaux spatiaux. Brusquement, le bruit d'une bombe retentit dans mes oreilles. Je sursaute. Le soldat en rit.
― Pas la peine d'avoir peur. C'est une capsule qui vient d'être éjectée par le canon propulseur. Vous êtes les suivants. Il nous ouvre une porte. Prenez l'escalator. Un technicien vous attend. Bon courage !
Nous descendons l'escalator. Flame n'est pas très bavard depuis que nous avons quitté son père.
― Ça va ? demandé-je.
― J'ai le mal de l'air. Je n'ai pas le vertige, mais dès que je ne sens pas mes pieds toucher le sol ça ne va pas.
Je pouffe, je n'aurais jamais imaginé ça.
― Ce n'est pas drôle, me crie-t-il. Je suis désolé pour mon père, reprend-t-il après quelques minutes de silence.
― C'est moi qui suis maladroite.
― Non, il n'aurait pas dû te dévisager comme il l'a fait. Il a réagi comme s'il avait vu un fantôme...
― Je ne me souviens plus de mes parents... alors je ne peux pas dire s'il a connu ma mère ou mon père.
― En tout cas, vu la façon dont il t'a regardé... Si un jour tu connais l'identité de tes parents... il vaudrait mieux ne pas lui en parler.
En bas, un technicien, avec un casque sur la tête, nous interpelle.
― Bonjour les enfants, suivez-moi !
Les enfants, pensé-je. Je croyais que nous étions de jeunes adultes ! Il nous amène devant une capsule, une boule blanche avec deux hublots ronds sur les côtés. Sur la capsule il est écrit « Army Spacecraft, C 41 ». Le technicien nous ouvre la portière.
― À qui l'honneur ? interroge-t-il.
Flame me fait signe d'entrer la première. La capsule est étroite, il y a deux sièges et un tableau de bord. J'enlève le baudrier de mon dos pour ne pas être gênée. Je le pose par terre avec mon sac. Ma tête frôle le plafond. Je m'assois sur le siège. Mes jambes sont légèrement fléchies. J'attache ma ceinture. Flame se cogne la tête. Il grogne et je ris.
― Prenez votre aise et bon voyage, lance le technicien avant de fermer la portière.
Aussitôt le tableau de bord s'allume, l'hologramme d'un écran panoramique apparaît nous projetant un boudjlaih virtuel.
― Bonjour, lance – t-il, bienvenue dans la capsule C 41. Veuillez attacher vos ceintures de sécurité.
― Déjà fait, dit Flame.
― Veuillez appuyer votre dos contre le dossier.
Une barre de sécurité s'abaisse sur moi et maintient mon corps. Je commence à avoir peur. Mon premier voyage spatial, je ne sais pas comment ça va se passer ni si on va bien atterrir ! Je sens le vaisseau bouger. Je tiens fermement la barre. Je tremble et j'ai l'impression que je ne vais plus pouvoir respirer. Je n'ai même pas envie de regarder par le hublot sur ma droite pour voir où l'on est. La peur me ronge.
― Bien, nous vous emmenons au point d'expulsion, reprend le boudjelaih. Départ dans 2 minutes.
― Améthys, me murmure Flame.
Je le regarde. Il me tend sa main. C'est vrai qu'il a le mal de l'air, alors, il doit avoir encore plus de frissons que moi. J'attrape alors la main, avec l'autre je continue de tenir la barrière.
Je me demande si Arwen et les autres sont déjà partis ou s'ils font encore la queue pour connaitre leur mission.
― Expulsion dans 20 secondes...
Le boudjelaih se met à décompter. J'entends ensuite le bruit semblable à l'explosion d'une bombe. Flame me serre la main fortement. Mon dos se presse contre le dossier. Soudain, j'ai l'impression que mon cœur monte jusqu'à mon cerveau et que tous les organes de mon corps quittent leur place pour se glisser ailleurs. C'est terrible, je ferme les yeux, j'hurle, et j'entends Flame hurler à son tour. Son cri me fait alors rire à en pleurer et ça me soulage.
Le vaisseau se stabilise. Quand j'ouvre les yeux, mes larmes sortent mais volent devant moi formant des bulles d'eau. Nos sacs et mon épée flottent. Je n'entends plus aucun son. Je tourne ma tête vers le hublot. Une grosse boule bleue, avec des couleurs blanches, violettes et marron, se dessine... c'est Cirth. Nous sommes dans l'espace.
Voilà, nous la quittons.
― Lancement dans la porte interdimensionnelle dans 30 secondes, 25 secondes...
Mon attention repart sur l'écran de l'ordinateur où le boudjelaih est toujours là. Il décompte à nouveau, soudain, une nouvelle explosion mais le bruit est moins cassant. Cette fois, mon cœur descend vers mon ventre, mes yeux essaient de quitter mon visage. Flame et moi crions de nouveaux jusqu'à ce qu'un gaz sorte du plafond. Je ne ressens plus aucune sensation et j'ai sommeil.