― QU'EST-CE QUE TU FAIS ? me demande Pan, certainement gêné par la lumière de l'hologramme de mon ordinateur.
― Désolé, si je te gêne avec cette lumière. J'ai juste besoin de faire une recherche.
― En pleine nuit ?
― J'ai dormi toute l'après-midi. Je n'ai pas vraiment sommeil.
Pan prend son oreiller et le met sur sa tête puis il se tourne face au mur. C'est mon colocataire. Dans le Majestueux, nous avons de la chance d'être soit à deux, soit à quatre par chambres. Et les chanceux ont leur propre chambre ! J'étais seul dans une chambre à l'époque où j'étais au primaire. Je n'arrivais pas à contrôler mes pouvoirs. Il suffisait que je m'énerve pour que n'importe qui soit foudroyé par mes flammes. La plupart des élèves m'énervaient ! Ils me voyaient comme le fils de mon père, alors qu'en vérité, il n'en était rien.
Je fronce les sourcils. Je ne trouve rien.
― C'est une recherche sur quoi ? Les cours de survies t'intéressent maintenant ? murmure Pan. Et c'est rare qu'on te voit fouiner sur l'ordi. Ça fait quelques jours que tu dors sur ton écran !
― Imagine que je sois capable de me soigner, de contrôler mon métabolisme, mes cellules, vaincre n'importe quoi...
Pan se retourne vers moi.
― Selon une histoire que me racontait ma grand-mère, il paraît que les premiers cirthians avaient ce genre de pouvoir. Ils arrivaient à se soigner eux-mêmes, ils contrôlaient leur métabolisme et ils vivaient bien plus longtemps que nous. (Il me regarde et rit.) Toi capable de contrôler tes cellules ? N'importe quoi.
C'est vrai si je contrôlais mes propres cellules je ne pense pas que je me transformerai en larve à chaque fois que je me blesse.
― Si un jour nous rencontrions un mastermind capable de se soigner, de contrôler ses cellules et son métabolisme alors je dirais que c'est un cirthian pur. Mais tu crois qu'il en existe encore ? Ça fait déjà un siècle qu'on existe. Le mélange de terriens et de cirthians, nous a créés et nous avons hérité de gènes humains et de gênes cirthians. C'est pour cela que nous sommes tous différents maintenant et que nous ne pouvons pas tout contrôler. Enfin, c'est ma théorie. Il faudrait aller voir les scientifiques pour comprendre tout ça et l'évolution de notre espèce.
― Il n'y a aucune donnée sur les anciens.
― Depuis quand l'histoire t'intéresse ?
À vrai dire, je n'ai jamais suivi les cours d'histoire.
― Au collège, on nous a dit que les données concernant nos ancêtres ont été détruites par les rebelles, lors de la dernière guérilla il y a 16 ans. Il fallait suivre en cours.
― Et alors ? Si elles ont été détruites il y a 16 ans alors, nos aînés doivent connaître notre histoire. Qu'est-ce que nous connaissons d'autres de nos ancêtres ? Qu'ils étaient nobles, altruistes et généreux ? Rien de plus. De quoi étaient-ils capables ? Pourquoi ils ne nous l'enseignent pas ?
― Certainement parce qu'ils ont peur que nous revendiquions leur politique. Parler des anciens c'est un sujet tabou. Tu devrais arrêter tes recherches. Tu ne trouveras rien de toute façon.
― Tu aimes cette vie Pan ? Nous sommes uniquement traités comme des soldats. Nous vivons dans une sorte de dictature. Notre destin nous est déjà tracé.
― Nous n'avons... pas le choix. C'est ça où être considéré comme un rebelle.
― Et bien parfois j'aimerais juste être un rebelle.
― Tu l'es déjà, rajoute Pan après un moment de silence. Je veux dire avec ton père.
J'éteins l'ordinateur et m'allonge, les bras croisés sous ma tête. Même s'il fait sombre, je vois le plafond grâce aux lumières des deux lunes.
― Je n'ai pas envie de diriger une armée. Je ne veux pas tirer sur des innocents et faire d'eux des esclaves. Mon père et moi sommes très différents. Je le déteste.
À chaque fois que je dis que je déteste mon père ça me fait du bien. Je connais des élèves qui sont jaloux de moi et auraient certainement aimé être le fils de cet homme. Dommage pour eux, j'aurais bien aimé échanger ma place avec eux, mais il y a des choses qu'on ne peut pas changer.
Je ferme les yeux, c'est le réveil de Pan avec ce chant atroce d'une femme qui hurle qui me réveille chaque matin.
― Tu ne peux pas changer de réveil ? marmonné-je.
― C'est ma mère... c'est le seul truc que je garde d'elle désolé, dit-il en se levant. Et comme d'habitude il fait quelques pompes en sortant de son lit. Il aura beau en faire malheureusement, il est maigrichon par nature. C'est vrai que chez les majestueux on doit muscler notre corps. Mais Pan, malgré les six dernières années d'exercices physiques n'a pas changé d'un poil. Il a juste grandi. Je lui lance mon oreiller.
― Wooh ! fulmine-t-il.
― Arrête avec tes exercices stupides, dis-je en mettant mon tee-shirt. Tu auras beau en faire, ça ne changera rien. C'est ton organisme qui ne veut pas prendre un gramme de muscles.
― Oui mais je dois faire des exercices pour rester en forme.
― Le fait de courir tous les matins les 1 500 mètres avant de déjeuner ça ne te suffit pas ?
― Si toi, ça te suffit, moi, non.
Pan enfile son pantalon. Et moi ma veste. Nous nous dirigeons aux vestiaires. Il y a une salle de bains commune pour une dizaine de personnes mais comme nous sommes une trentaine à cet étage. Pan et moi sommes rejoints par Mélik et Atlas qui partagent la même chambre. Nous nous levons toujours une vingtaine de minutes avant les autres pour profiter du calme. Une fois notre toilette matinale finie, nous gagnons le terrain pour la course à pied. Tous les majestueux sont obligés de passer par là. Au primaire on nous faisait déjà courir. Snow, l'instructeur responsable des Majestueux, attend à la sortie du hall de la bâtisse depuis 6 heures et 30 minutes. Il surveille à ce que tous les étudiants fassent leurs 1 500 mètres.
― Bonjour, dit-il en me dévisageant comme chaque matin.
Seul Pan lui répond. Après toutes les tentatives de fugues que j'ai faites. Je suis devenu le révolté du Majestueux. Je lui ai tenu tête, me suis battu contre lui. La cicatrice sur son front au milieu de son visage, c'est moi qui lui ai fait quand j'avais dix ans. Lors de ma première tentative de fugue.
Je me souviens encore de la punition qu'il m'a infligée après avoir obtenu l'accord de mon père. Cet homme doit me mépriser, tout comme je le méprise. Il a failli me tuer la dernière fois. Je serre mes points à l'idée que je ne suis toujours pas parvenu à le vaincre. Je m'étais pourtant entraîné durant toutes les vacances pour décupler mes pouvoirs.
― Flame, fais gaffe, me dit-il avec sa voix grave et peu enthousiaste.
Je ne réponds pas. Les autres et moi, nous nous en allons en trottinant.
― Tu devrais faire attention avec lui. Même si tu es le fils de... Même gradé, tu risques de te retrouver dans une division dans laquelle tu ne souhaiterais pas être, me lance Atlas.
― Je n'ai pas envie de me retrouver dans l'une de ces divisions de toute façon.
x xx
7 heures 15, nous sommes au réfectoire pour prendre le petit-déjeuner. Océane et sa petite sœur Kylie sont déjà là. (Les filles courent un peu moins que les garçons.) Pan, Mélik, Atlas et moi, nous nous installons à leur table.
― Je suis écœurée à force de manger ces œufs brouillés, avoue Océane.
― Tu ferais mieux d'apprécier ce qu'on te donne. Au Gouffre, ils n'ont pas tout ça. Juste des müeslis aux fruits dans un bol de lait, quelques tranches de pain et un jus énergisant, proclame sa sœur.
― Hi, hi, alors c'est normal qu'elles soient toutes plates là-bas, ajoute Mélik.
― Oui mais ici, nous sommes obligés de courir tous les matins pour maintenir notre ligne, dit Kylie.
― Si tu ne veux pas grossir, tu n'as qu'à arrêter de prendre tout ce que tu manges le matin. Même moi, je ne suis pas capable de manger tout ce que tu manges. Deux assiettes d'œufs brouillés, un gâteau au chocolat, un bol de flocon d'avoine, 3 pancakes, ton plateau est plus chargé que le mien, lui dit Atlas.
Kylie lui donne un léger coup sur la tête.
― Tu vois deux assiettes d'œufs brouillés dans mon plateau ? ! Tu ferais mieux d'aller voir un boudjelaih pour qu'il remette ta vue en place.
Atlas et Kylie aiment se chamailler. Et quelquefois, Atlas lui lance des regards et je me demande s'il ne serait pas amoureux d'elle.
― C'est quoi le programme aujourd'hui ? demandé-je.
― Serre de combat, nous devrons traverser 6 portes aujourd'hui, répond Océane. Pourquoi nous rajouter une nouvelle porte de plus chaque fois que nous y partons ? On devrait nous donner les 10 niveaux de suite.
― Tu n'as pas remarqué que les bêtes devenaient de plus en plus rapides ? Ils sont plus féroces, commente Pan.
― Tu trouves ? Pas moi.
― Et pourtant quand on voit ton temps... ça laisse à désirer Océane. Même cette fille à la queue-de-cheval arrive avant toi, annote Atlas.
Océane grimace.
― Cette fille n'a pas dépassé les cinq monstres tués. Soit elle n'a pas compris le but du jeu, soit elle ne sait pas se battre et se jette uniquement sur les petites créatures sans défense.
― Au fait vous ne m'avez pas dit quelle arme vous avez choisie, demande Kylie.
― Moi je n'ai rien pris, dit Mélik.
― Un bouclier, mais à vrai dire ça ne me sert à rien, ajoute Atlas.
― Un arc, j'avais toujours rêvé d'en tenir un, continue Pan.
Kylie me regarde.
― Rien, non plus.
― Eh bien, parmi vous cinq, il n'y a que Mélik et Flame qui ont du courage.
― Ah bon ? J'aimerais bien te voir l'année prochaine quand tu devras choisir une arme, glose Atlas.
J'observe un groupe de dernières années en avalant mes céréales. L'an dernier il n'y avait pas de clan. Mais depuis la rentrée, un petit groupe de quatre élèves s'est formé et est à part. Varda, Seregon, Rauros et Knut. Les autres upper class de dernière année nous ont interdit de les fréquenter. Mais je me demande bien pourquoi. J'étais présent lors de leur arrivée à l'école après leur épreuve du Fardeau. Ils sont tous les quatre arrivés en dernier. Mais je me souviens encore de la tristesse et de la terreur qui pouvaient se lire sur leur visage à ce moment-là. Ils ont perdu certains de leurs camarades. Même un majestueux n'est pas sûr de revenir vivant à Streitbar.
― Nous ne devons pas prendre ses entraînements à la légère, dis-je.
Océane me regarde épouvantablement surprise.
― Certains majestueux ne sont pas revenus, ajouté-je.
Atlas pose sa main sur mon dos.
― Alors on commence à s'intéresser à l'épreuve du Fardeau ?
― Je suis juste pressé de visiter Tétra, et de sortir de cette école.
― Tu ne pourras pas t'enfuir, tu sais. On va nous introduire une puce pour nous suivre partout, dit Pan.
― Qui a dit que j'allais m'enfuir ? J'ai bien l'intention d'accomplir ma quête.
― Avec un fardeau entre les jambes ? fulmine Océane.
― Oui, parce que pour moi, tuer son fardeau pour se libérer d'un poids, c'est de la lâcheté.
Océane fronce les sourcils, je la vois rougir de colère. Je plante ma fourchette dans mon plat et attaque mes œufs brouillés. C'est certainement la première fois depuis le primaire que je lui dis quelque chose qui la blesse. Mais c'est vrai. L'épreuve du Fardeau consiste à voir si nous sommes capables de survivre et d'accomplir une mission avec une chose pénible à supporter. Abandonner son fardeau serait un signe de lâcheté.
J'ai avalé la moitié de mon plat d'œuf quand je remarque Seregon que m'observe et me sourit. A-t-il entendu ce que j'ai dit ?
Vu son sourire, je pense qu'il doit partager mon point de vue.