Georges raccompagna Ereyne jusqu'à la porte comme deux vieux amis, elle sortit après une dernière embrassade et quitta le palais par une petite porte. La pluie tombait drue et la jeune femme n'avait pas de parapluie, par conséquent elle soupira et releva le col de son trenchcoat. Elle s'avança sur le trottoir pour héler un taxi mais un homme de l'autre côté de sa route attira son attention. Un complet noir, une rose rouge dans une main, un parapluie ouvert dans l'autre, Zelyan la regardait en souriant, en parfait amoureux. Ereyne soupira, amusée, charmée et dépitée à la fois, il n'avait pu s'empêcher de venir la protéger. Elle traversa la chaussée et vint le rejoindre sous son large parapluie noir. En parfait gentleman il lui offrit la rose dont elle huma le doux parfum puis embrassa tendrement son compagnon sur les lèvres. La scène était tellement romantique qu'un couple de touristes les prit en photo.
-Pourquoi es-tu venu ?
-J'ai trouvé que c'était l'occasion de faire une balade dans Londres, après tout nous n'aurons peut-être plus l'occasion d'y revenir avant le déluge.
Toujours le petit mot pour plomber l'ambiance. Ereyne préféra l'ignorer et passa une main autour de son bras et le suivit à travers les rues de la ville. Ils se promenèrent au hasard, admirant l'oeuvre des architectes, errant dans les boutiques branchées du centre. Tout se passait plutôt bien, ils riaient comme des adolescents en essayant des tenues toutes plus extravagantes les unes que les autres. Le premier point de friction vint lorsqu'Ereyne insista pour dévaliser une boutique de vêtements pour enfants. Elle appréciait globalement la mode, sans y être totalement soumise, ce n'était que des vêtements. Elle qui avait vécu sans chaussures, avec de grossières tenues de lin et des fourrures, ne pas avoir les dernières bottines sorties n'était pas le drame de sa vie. Mais elle avait un petit coup de foudre pour les vêtements de tout-petits. Ces minuscules ensembles dont le qualificatif était sans conteste "mignon" la poussaient toujours à la dépense. Et c'était une chose que Zelyan avait bien du mal à comprendre. En huit mille ans de vie commune leur couple était resté stérile, à sa grande frustration.
Il lui jeta un coup d'oeil, ne posant même plus la question tant la réponse restait invariablement la même. Elle lui sourit, sachant à quoi il songeait et lui montra un ravissant ensemble bleu marine.
-Si tu veux, soupira t-il en sortant la carte bancaire associée à leur compte commun puis l'aida à tout dévaliser, autant expédier ça. Elle sourit, il avait beau jouer les durs elle savait que cet exercice faisait à chaque fois ressortir une part de lui qu'il n'aimait pas, trop sensible. Comme toutes les créatures Zelyan voulait que ses gènes se perpétuent, il voulait une descendance, mais ça elle ne voulait pas lui donner. Et depuis huit mille ans les cieux répondaient à sa prière, elle n'était jamais tombée enceinte.
-On réglera ce problème après le déluge, c'est ma prochaine priorité. Lui glissa t-il à l'oreille avant de l'embrasser passionnément entre deux rayons.
Quelques heures plus tard, dans un autre quartier de Londres, ils s'arrêtèrent pour dîner.
-Rien de tel qu'un bon vieux pub avec un plat typiquement anglais pour bien terminer la journée !
Ereyne était souriante en face de lui, contente de son après-midi, Zelyan en revanche était préoccupé, pressé par ces plats qui n'arrivaient pas. Elle patientait en revoyant tout ce qu'ils avaient trouvé ensemble. Si bien que la serveuse qui apporta les plats les félicita pour l'heureux évènements, ajoutant qu'Ereyne cachait bien ses rondeurs.
-C'est un signe, annonça Zelyan.
-Un signe que la serveuse s'est trompée dans son jugement en effet.
-C'est ça d'étaler tous ces vêtements de bébé par terre. Ces trucs ne vont jamais sortir des placards en plus.
-Ces trucs comme tu dis, nous ont permis d'aider les orphelins pendant la guerre de 1455, tu te rappelles de cette épouvantable guerre civile ?
-J'avais parié sur Henri VI mais il n'a tenu que quelques mois. Fichus humains.
-Je pensais à la masse de réfugiés qui avait convergé vers GreyHall avec à peine la peau sur les os. Pourquoi les hommes se font ils tant de mal ?
Zelyan ricana, ayant une petite pensée pour le créateur de sa belle.
-Il est mauvais c'est tout.
-Lui il a un fils.
Il haussa les sourcils, n'en croyant pas ses oreilles.
-Tu n'as pas osé...
-Te rappeler que Dieu avait un fils alors que nous non ? Si j'ai osé.
L'ambiance s'était brusquement refroidie, encore une de leurs disputes légendaires se profilait à l'horizon.
Ils restèrent un moment silencieux, préparant leurs répliques tout en mangeant. Aucun des d'eux ne se décida à débuter la guerre, si bien que vint l'heure de partir et toujours rien. Le couple paya et sortit. Ereyne voulut appeler un taxi pour les mener dans un hôtel où ils pourraient passer la nuit avant de prendre l'avion le lendemain mais Zelyan fut d'un autre avis et l'entraîna jusqu'au British museum.
-Ils font une nocturne.
Il l'entraîna dans les salles et ils admirèrent ensemble toutes ces oeuvres, fragments de leur histoire. En le voyant ainsi envoûté par ces ouvrages humains, Ereyne oublia ses rancoeurs qui ressortiraient bien assez tôt et se laissa aller à voyager à travers leurs souvenirs. Elle se perdait dans une oeuvre de la renaissance représentant une scène aquatique lorsqu'un individu sur sa droite attira son regard. John était là. Elle ne crut pas à la coïncidence.
-Zelyan ? Murmura t-elle en se serrant contre lui, que fait John ici ?
-Il est en reconnaissance, répondit tranquillement l'interpellé. Une scène comme celle-ci serait pas mal dans la piscine non ? Nos murs sont trop unis à l'heure actuelle.
-Qu'est-ce qu'il fait là ? Et qu'est-ce que nous faisons là ?
-Je te l'ai dit, il est en reconnaissance, et nous on vérifie qu'il est bien en reconnaissance.
-En reconnaissance de quoi ?
-Que t'évoque cette scène ?
Il plaisantait ? Ereyne lui jeta un coup d'oeil furieux et insista mais il réitéra sa question. Elle lui répondit ce qu'elle voyait, rapidement pour qu'enfin il daigne lui donner une réelle explication. Voyant qu'elle ne jouerait pas le jeu, il lui donna sa propre interprétation.
-Je vois un tableau, je vois un instant imaginaire immortalisé, matérialisé, mais plus encore lorsque je vois cette toile je me rappelle ces étés à Venise, les bals et danses qui duraient toute la nuit. Les journées passées à te regarder nager dans les vagues, plus belle qu'une déesse.
-Crache le morceau.
Elle n'était pas dupe, mais tout de même flattée. Il lui jeta un regard signifiant "alors tu m'aimes hein?" et reprit.
-Ces oeuvres sont nos souvenirs, le château n'en contient qu'une trop petite fraction, je ne veux pas perdre nos souvenirs.
-Nom de dieu...
-Blasphème.
-Tu as prévu de cambrioler le musée ?
Elle avait chuchoté et à présent regardait partout à la recherche des gardiens, mais elle ne trouva personne. Zelyan lui sourit et fit un petit signe en direction de John qui détaillait toujours les lieux puis lui détailla ses plans, enfin relativement.
-Ce n'est pas du vol, c'est un transfert vers les cités sanctuaires. Ce sera fini peu avant la fin de l'année, de toute manière après ce ne sera plus possible, il y aura trop d'eau.
-Tu as prévu d'autres casses ?
Il acquiesça, il y en aurait partout à travers le monde, sous la responsabilité des chef de cités sanctuaires.
-Ne t'inquiète pas je supervise quand même, je leur fais confiance mais la confiance n'exclut pas le contrôle.
-Tu cites Lénine maintenant ? Tu voles des oeuvres humaines, tu cites des humains et tout à l'heure tu as esquivé le conflit, mais que t'arrive t-il ? Tu m'inquiètes.
Zelyan ne dit rien, prenant sur lui pour ne pas hurler en plein milieu du musée et l'entraîna au dehors.
-Tu m'inquiètes vraiment Zelyan.
-Pourquoi ? Parce que je m'assure qu'il ne t'arrive rien ? Parce que je fais en sorte que l'on conserve de souvenirs de notre vie ? Parce que je fais en sorte que tu passes une bonne journée ici ? Parce que je ne t'ai pas reproché de refuser de porter mon enfant ?
-Tu sais très bien pourquoi je refuse !
-Parce que tu ne m'aimes pas assez ! Tu restes fixée sur cette idée de monstre que je suis !
-C'est faux et tu le sais parfaitement !
Ils en étaient venus à crier au beau milieu de la rue, si bien qu'ils commençaient à attirer l'attention sur eux, dont celle de policiers patrouillant. Ni une ni deux, Zelyan prit Ereyne dans ses bras et déploya deux immenses ailes d'un noir mat avant de s'envoler dans un bond.
Ils volèrent ainsi jusqu'à Wood Castle, la route fut longue, et dangereuse car ils avaient été repérés et pris en chasse. Néanmoins les hélicoptères n'avaient pas la maniabilité de Zelyan qui fusait dans un vol entre les arbres. Il les sema après deux heures de poursuite, non sans soulagement. Il descendit et se posa dans la campagne anglaise.
-Je ne me ferai jamais à ces vols. Commenta Ereyne un peu troublée. L'homme n'est pas fait pour voler.
-Je ne suis pas un homme, toi non plus ! Lui fit remarquer Zelyan. Bon, si on veut y être avant la nuit il va falloir se bouger. Une petite course sauvage cela te tente ?
-Moi, sur ton dos ? Sous ta forme sauvage ? Tu rêves !
Le voir sous cette forme lui rappelait toujours les chasses à l'homme sanglantes qui allaient avec. S'il s'en délectait ce n'était pas le cas de la jeune femme. Elle décida donc de commencer à marcher vers ce qu'elle espérait être la route de GreyHall. Il la rattrapa et se mit à sa hauteur avant d'essayer de la convaincre. Elle n'était pas très réceptive à l'idée alors il tenta une autre approche, radicalement différente.
-Et si tu te transformais ?
Elle le regarda interloquée, cherchant la moquerie dans ses yeux sombres mais il semblait sérieux.
-Je ne peux pas, je ne suis pas comme toi.
-Je t'ai faite comme moi, cela devrait être possible, cela va être drôle, je suis sûre que tu vas aimer.
Il usa de nombreux arguments, de la douceur du vent sur le museau à la beauté certaine de sa compagne en louve mais la seule chose qui l'a fit accepter fut la perspective d'avoir la paix après.
-J'essaye, sérieusement, mais si cela ne marche pas tu n'insistes pas. D'accord ?
-Tu es bien la seule à passer des pactes avec moi avec autant d'assurance... D'accord.
Ils gagnèrent une forêt proche, cachèrent la multitude de paquets qu'ils portaient encore, marquant l'endroit pour Fitz qui passerait les récupérer le lendemain puis allèrent s'asseoir au pied d'un arbre.
-Cela fait mal ? S'enquit Ereyne un peu inquiète.
Zelyan la rassura en lui avouant que oui mais qu'elle avait vécu bien pire, ce qui ne la rassura pas en fait. Ensuite il la serra contre son torse pour qu'elle entende les battements de son coeur et lui demanda de fermer les yeux. Il lui parla dans sa langue maternelle, un vieux dialecte que les humains avaient oublié depuis longtemps, faisant appel à ses instincts bestiaux. Il lui parla des feuilles mortes qu'elle pouvait sentir sous ses mains, de l'air qui soufflait dans ses cheveux, de l'odeur de pluie et de tous les bruits qu'ils entendaient. Il la sentit à la fois partir et lutter pour rester elle-même alors il se transforma lui-même en cette énorme monstre noir qu'il était lorsque l'envie lui en prenait avant de se blottir un peu plus contre elle, lui transmettant sa bestialité. Fidèle à sa parole Ereyne laissa la transformation opérer et ouvrit les yeux sous sa forme sauvage pour la toute première fois. Son esprit restait le même mais ses sens avaient changé, elle entendait mieux, sentait mieux, trop. Elle paniqua et bougea un peu mais, pas habituée à marcher ainsi sur quatre pattes, tomba lourdement sur le sol. Zelyan, pas moqueur pour deux sous, rit, ou plutôt grogna, avant d'amoureusement frotter son museau contre celui de sa belle. Elle lui rendit la caresse puis passa de longues minutes à tester son corps. Ils purent finalement reprendre la route, une longue course sous la pluie à travers la campagne anglaise.
Zelyan n'avait pas toujours raison, rarement même, mais il avait raison sur un point, la course le museau à l'air avait ses avantages. Ereyne en viendrait presque à aimer cette forme. Ils arrivèrent aux abords de Wood Castle et elle s'arrêta, sur le qui-vive, Zelyan lui fit signe de la suivre mais elle ne bougea pas, il montrait la route principale avec entre la porte et eux, quelques centaines de soldats. Cela n'eut pas l'air de l'émouvoir, il insista et elle finit par lui faire confiance et le suivit. Il galopa rapidement si bien qu'elle eut du mal à le suivre. Si son pelage était sombre elle avait une fourrure d'un blanc éclatant. Néanmoins l'effet de surprise fut suffisant, ils réussirent à atteindre le pont et à bénéficier de la protection du bouclier avant que les soldats ne puissent réagir. Fitz fit ouvrir les portes et les deux amants purent entrer et prendre un repos bien mérité. Zelyan la mena au grand salon où brûlait un grand feu dans la cheminée. Trempés comme ils étaient ce ne serait pas du luxe, de plus Ereyne n'allait probablement pas réussir à redevenir humaine rapidement, il avait sciemment omis de lui préciser ce détail.
En arrivant dans la pièce et voyant son compagnon se coucher devant le feu au lieu de simplement redevenir humain, Ereyne comprit qu'elle n'allait pas simplement pouvoir redevenir elle-même comme elle le voulait. Il y avait décidément toujours une entourloupe avec Zelyan, enfin avec les siècles elle le savait. Elle s'allongea donc contre lui, passant pour la première fois depuis très longtemps une nuit sur le tapis, cela n'était pas arrivé depuis l'invention des lits en fait. Elle posa la tête sur ses pattes avant et ferma les yeux en priant pour être humaine lorsqu'elle les rouvrirait et s'endormit blottie contre Zelyan qui lui donnait d'amoureux coups de langues pour la débarrasser de l'eau sur sa fourrure et en même temps entretenir leurs liens sociaux.
Il était décidément bien attentionné, trop pour être honnête.