Isaac
Revenant du parc, on s'est jeté sur un bon repas qu'on a pris à emporter dans un restaurant indien, pas mauvais du tout. Betty est en train de dormir, Gabriel et moi sommes dehors, assis, en train de se partager une clope, tout en essayant de se remettre de ces derniers jours chaotiques.
- Elle nous a fait une belle frayeur, dit faiblement Gaby.
Mon pote n'est pas quelqu'un de sentimental, il ne sait montrer que la joie et la colère quand il a un peu trop bu, rien d'autre. Je sais qu'il a vécu un événement tragique il y a un an de ça, il ne m'en a jamais parlé. Il est rentré dans le mutisme sur ce sujet, sa sœur n'est pas mieux que lui. Mais là, j'ai pu voir la peur dans son regard quand sa sœur est tombée, pour finir à l'hôpital.
- Tu sais, c'est pas de ta faute, elle a juste mal soignée son rhume..
- Oui mais j'aurai pas dû me battre devant elle, j'aurai dû me contrôler.
Il me tend la cigarette, tirant dessus pour essayer de décompresser au max, la fumée s'envole dans l'air. Il fait nuit, le ciel est étoilé, une vue magnifique et la lune est presque pleine, le genre de vue qui ferait craquer plus d'un.
- Tu sais gros on t'a provoqué, tu reste un humain, tu t'es défendu c'est ok et ça n'a rien à voir avec la virée de ta sœur à l'hôpital.
- Oui mais ça lui laisse encore en plus des traces de ces mauvais jours. Je voulais que ce road-trip lui apporte que du positif, j'ai merdé.
- Ne dit pas ça, tu sais je connais pas Betty, mais quand je la vois le premier jour à maintenant, je la trouve plus.. forte, et indépendante. C'est grâce à ce voyage, à toi.
Je pose ma main sur son épaule, lui redonnant la cigarette presque terminée.
- Tu le pense vraiment ? Il me regarde.
Je vois de la peine dans ses yeux.
- Bien sûr, tu sais que je ne mens jamais.
Menteur, menteur. Il y a des choses que j'ai omis d'y dire ; j'ai presque embrassé ta sœur, elle me rend dingue, et je ne pense pas tenir sans la toucher. Tout ça je ne lui dis pas, je mens. La culpabilité me saisit la poitrine, j'essaye de la faire taire. Je le dois.
- Allez, on va dormir un peu, on en a bien besoin, je lui dis en me relevant.
Betty dort profondément, le dragon au creux de ses bras, ce qui me vole un sourire discret. Je masse ma nuque, allant me coucher dans mon lit, le regard rivé sur le plafond comme souvent. Ces derniers jours, j'ai beaucoup de mal à trouver le sommeil. Mon insomnie s'appelle Betty.
- Bonne nuit mec ! Balance Gaby sur le lit au-dessus de moi.
C'est une couchette superposée, il faut bien économiser la place dans un van.
- Bonne nuit mon pote.
Mes yeux ne sont pas près de se fermer, ma tête se tourne en direction de cette chevelure rousse. J'ai eu peur pour elle, et ça fait bien longtemps que je ne me suis pas inquiété comme ça pour une personne, ce qui me fout encore plus la trouille. Je suis bloquée avec elle dans ce voyage, je sais pertinemment que je vais droit dans le mur.
- Debout les loosers, sourit Betty en parlant fort.
Il lui manque plus qu'un mégaphone et elle finit sur le bord de la route ! Ça sent l'omelette et le bacon, mes narines en sont ravies. J'ai dû dormir 2h, mais l'odeur qui embaume le van me donne la motivation pour me lever. Je m'approche d'elle, Gaby est en train de s'étaler dans son lit, il n'est pas prêt d'en descendre, il lui en faut plus que ça, cette marmotte. Prenant place à table, elle tend une assiette devant mes yeux avec deux petits œufs et un bacon pour former un bonhomme sourire. C'est ce genre de fille. Betty vient de supporter une méningite, elle est encore sous traitement mais elle prend encore le temps de prendre soin de nous.
- Ne me remercie pas, je suis trop généreuse, sourit-elle en prenant place en face de moi.
Je ne peux pas être en date avec elle pour manger, j'ai envie de supplier mon pote de se réveiller mais il m'enverrait chier direct. Je dois assumer, mes yeux ne regardent que mon assiette qui me nargue avec ce foutu bonhomme sourire.
- Alors je ne te remercie pas, je souris.
On entame tous les deux notre petit déjeuner, entre temps je la vois textoter, me demandant bien à qui elle parle ; le coach de la salle de sport ? Non elle me le dirait. Enfin après tout, pourquoi elle me le dirait ? Tu ne demandes rien, tu te tais et tu manges. La boule me prend dans le ventre quand j'imagine ce mec lui tourner autour, elle va accepter de le revoir. C'est sûr et je suis qui pour l'empêcher ? Elle a le droit.
- Tu écris à ton petit coach ? Je la fixe, faussement amusée.
Bordel, je n'ai pas tenu !
- Pourquoi cette question monsieur le curieux ? Elle pose son téléphone pour reprendre sa fourchette.
- Je ne sais pas, simple curiosité. C'est lui ? Je donne un jeu de tête sur son téléphone.
Elle garde un moment de mystère, son regard est souriant autant que sa bouche. Moi, je commence à perdre patience, mes jambes bougent nerveusement.
- Non ce n'est pas lui, je t'ai dis je ne suis pas intéressée. Je parle avec Lya si tu veux tout savoir.
Je suis soulagée, je n'aime pas ressentir tout ça. Je m'étais promis ; plus de ça. Cependant ce lien est si différent, je n'ai jamais éprouvé ça. Je n'arrive même pas à mettre un mot sur tout ce que je ressens, tant mieux j'ai pas envie de savoir.
- Ok c'est cool, on sait jamais sur qui on tombe tu sais, mangeant avec mes mains.
- Je note ça dans ma tête, monsieur le protecteur.
Elle n'a pas l'air d'être une fille qui veut se mettre en danger, et qui traîne avec des inconnus, ce qui a de quoi me rassurer. Gabriel décide enfin de descendre de son lit, l'appel de la nourriture a été plus fort cette fois. Je l'en remercie, ça m'évite de rester en tête à tête avec sa sœur ; pas que je n'aime pas, mais c'est dangereux. Je lave mon assiette, enfile une tenue pour aller courir sur la plage. Les airpods dans les oreilles, la vue des vagues sur ma droite, je cours, je cours, je cours pour essayer de chasser de ma tête Betty, ses lèvres, son odeur, son rire.. Putain, je peux pas devenir ce genre de mec, encore moins avec elle. J'ai l'impression d'être un camé qui essaye de se sevrer. Mes pieds tapent contre le sable, mes muscles commencent à se faire sentir, ça me chauffe je ne suis pas un grand sportif, là c'était vital que j'aille me dépenser au vu de ma frustration grandissante.
Quand je reviens, je retrouve une Betty perchée sur le toit, dans sa bulle, rien de choquant. Gaby qui fait une séance de sport dehors en se filmant pour ses réseaux, rien d'anormal non plus. Je saute dans la douche, je me trompe en prenant les affaires de douche de la seule fille du van. Forcément, je sens la fleur, chier. Tant pis, quand j'en ai fini, Betty cette fois est sur son lit avec un bouquin.
- Tu sens la fleur, dit-elle surprise.
- Je me suis trompée de shampooing, je range ses affaires.
- Je suis partageuse, ça ne me pose pas souci, sourit-elle. Après tout, les hommes peuvent sentir la fleur, et cette odeur te va bien.
Je dois prendre ça pour un compliment ? Je la fixe un moment, elle aussi. MAIS NON. Tu recommences pas, tu gardes tes distances. Je monte à l'avant du van, hier j'ai acheté une carte postale d'Houston, écrivant toujours à la même destinataire, comme pour lui dire ; « hé regarde je t'évite mais je pense à toi quand même » pathétique. Je suis toujours en manque d'inspiration quand je dois lui écrire, je m'y force. Betty prend place à côté de moi sur le siège passager, je ne prends pas la peine de la regarder.
- Tu écris à qui ?
- Tu es flic ?
- Tu me le dois, ce matin tu m'as demandé si j'écrivais au coach, rétorque-t-elle.
Un point dans son camp. Je souffle un coup, et je range la carte dans le vide poche elle m'a couper l'envie de lui écrire.
- J'écris à ma famille, mademoiselle. Satisfaite ?
- Tu n'avais pas l'air heureux de lui écrire.
Pourquoi il faut qu'elle analyse tout ?
- Ce n'est pas ton souci ça non ?
- Hé ok, j'ai peut être été trop loin, ne te fâche pas.
- Je ne m'énerve pas Bet', je te dis juste une vérité.
Elle est déçue je le sens dans son regard, pourquoi faut-il que je me comporte toujours comme un con. J'ai envie de m'excuser, cependant ma fierté prend le dessus. J'étouffe dans ce véhicule avec elle, je crois qu'une partie de moi veut la dégoûter, l'éloigner de moi.
- Tu sais, tu te fâches quand je te pose une simple question mais tu te permets de me demander à qui j'écris. C'est un peu petit de ta part, dit-elle sans une once de colère.
- Oui c'était mal placé, tu as raison. Je ne te poserai plus ce genre de questions à l'avenir.
- Ok, on ne se pose plus de questions. Chacun sa vie privée, affirme-t-elle en me tendant sa main.
Je la serre en regrettant amèrement, car j'aurai toujours le questionnement à qui elle écrit.
- On a beaucoup de marchés tous les deux, je lui rappelle.
- Deux en tout. Pas de question sur la vie de l'autre, et juste de l'amitié. C'est simple, sourit-elle.
Je pense que ça l'arrange, car elle n'a pas envie non plus de parler de son passé, de sa vie. C'est une pierre sur ça, on est beaucoup plus similaires qu'on ne le pense.
- On s'en sort plutôt bien pour le moment non ? Elle me demande.
- Je ne sais pas. On a failli s'embrasser à l'hôpital, si tu l'as oublié je serai vexé. Et on s'est posé trop de questions aujourd'hui.
- Touché ! Mais on peut dire que les marchés commencent aujourd'hui ?
Ça peut être faisable, après tout c'est à nous de choisir quand est-ce que ça commence.
- Après tout, c'est nous qui faisons les règles, j'affirme.
Gabriel intervient, comme souvent pendant nos échanges. Il est trempé de sueur, épongeant les gouttes avec une serviette.
- Une petite douche, et ce soir il y a une fête sur la plage on y va ? Sourit-il.
- Oui mais pas d'alcool, pas de bagarre, affirme Betty.
- Marché conclu, un seul verre ?
- Non rien du tout. Je veux te voir sobre ce soir, et du calme. S'il vous plaît les gars.
On confirme tous les deux, au vu de la dernière soirée au bar, j'ai pas envie que ça se répète. Je préfère que ça reste derrière nous.