« Chacun se croit seul en enfer et c'est cela l'enfer. »
René Girard.
Un peu mal à l'aise, je scrute les environs, ne sachant comment affronter le reste de ce dîner inopiné, quand Seth reprend la parole :
– Tu es la seule personne qui me fait cet effet... étrange quand je te regarde. Encore plus quand je ne te vois pas.
– Qu'est-ce que tu veux dire ?
– Mon père m'a élevé d'une façon telle que je lui ressemble presque trait pour trait. Nous sommes quasiment semblable. Seulement, à cause de toi, je sors de mes sentiers battus malgré-moi, c'est pour ça que tu me déstabilises. Je te l'ai dit, tu es spéciale...
– Parle-moi un peu de toi, Seth, coupé-je, embarrassée par le sujet, j'ai besoin de te connaître plus, de savoir qui est le vrai Seth Liam et non pas Seth le cachottier. Qui sont tes amis ? Est-ce qu'ils sont comme toi ?
– Comme moi ? rétorque-t-il, soudainement tendu.
Je l'ai fait exprès et cela fonctionne. Sa réaction est sans appel, il a été pris au dépourvu et c'est comme ça que je dois procéder.
– Je veux dire, est-ce qu'ils ont les mêmes délires que toi, est-ce qu'ils sont aussi louches que toi ? Ils te ressemblent ?
Il sourit puis baisse la tête, passant sa main gauche dans ses cheveux, mais ne dit pas un mot. Après de longues secondes, il répond enfin :
– Il n'y a rien de spécial à savoir, commence-t-il, alors qu'on nous sert le dessert, un bon petit crumble végan comme je les aime, je suis juste celui que tu connais. Concernant ma famille... c'est un peu plus complexe que ça en a l'air. Mon père est rarement présent, mais comme je te l'ai dit, il est un peu sévère et entre nous, c'est un peu froid en ce moment. Ma mère... a disparu, il y a longtemps. Je ne m'en souviens que vaguement, j'étais encore trop jeune. Sinon, j'ai deux frères, des cousins, des cousines. Une famille banale en somme.
– Deux frères ? Ils vivent avec ton vous ?
– Non, l'un vit en France, l'autre est un vagabond qui adore les pays slaves. Avec mon grand frère, c'est assez complexe. Nous sommes chien et chat, on peut s'aimer comme se détester à la seconde d'après. Tu vois, tout n'est pas si rose dans une famille, même entre nous, les Liam, c'est compliqué.
– Je vois ça, effectivement.
Un frère qui vit en France ? Est-ce que cela aurait un lien avec sa veste en jean semblable à Louis ? Sans oublier que ce dernier semble déjà connaître Canaân. J'ai l'impression que certains points se rejoignent d'un coup et que Louis ne m'a pas réellement tout avoué.
– Ton père est souvent absent à cause de son boulot ? tenté-je de lui demander.
– Non, enfin si. Disons qu'il voyage beaucoup, mais pas vraiment pour son boulot. Il dirige sa propre entreprise si je puis dire, alors c'est un peu plus simple pour lui de travailler quand il le désire ou non.
– Dans quoi travaille-t-il ?
Il entrouvre la bouche, mais la referme. Seth s'empare alors de son verre d'eau et le boit cul sec. Je n'aurais peut-être pas dû lui poser la question, mais je veux absolument tout savoir et je sens que c'est le bon moment d'en apprendre davantage.
– Il était mythologue, mais il en avait marre des élèves récalcitrant.
Il sourit lorsque je lève les yeux au ciel, se rappelant sûrement du vacarme qu'il faisait pendant les cours de Coril.
– Il a décidé de changer de job, tout en restant dans son domaine.
– Dans son domaine ?
– C'est ça, dit-il, sans m'en révéler plus.
– D'où les connaissances que tu as dans ce domaine, ça doit pas mal aider en théologie.
– Si on veut. Mon père n'est pas très partageur, il garde ses connaissances pour lui seul. Alors si tu crois que je suis avantagé, pas du tout ! rit-il, sans joie apparente.
Tout en buvant une gorgée de menthe à l'eau, je l'observe vraisemblablement plongé dans ses pensées.
– Tu vas croire que mon père n'a aucune qualité vue comment je le décris, mais en cherchant bien... il ne me les montre pas. Je ne pourrais même pas te dire s'il en a vraiment. Quoique je dois bien admettre qui est sacrément ambitieux et persévérant.
– Tu l'aimes ?
– Bien sûr que je l'aime, c'est mon père malgré tout. Je lui dois le respect, d'être à ses côtés coûte que coûte, peu importe les circonstances, je me dois de le soutenir. C'est mon rôle de fils. Ce n'est pas parce qu'il y a des désaccords entre nous que je dois être malsain envers lui. Comme tout le monde, on peut être amené à se quereller, des fois violemment, verbalement parlant, mais c'est la vie. On ne refait pas le monde et encore moins ses parents. Mais c'est grâce à lui que je suis ici en ce moment-même.
– C'est vrai, approuvé-je, attentive à ce qu'il dit.
– On y va ?
– Je te suis.
Après avoir mangé un bon menu au restaurant et être passé entre temps chez Seth pour qu'il puisse se changer en deux temps trois mouvements, nous prenons la route durant une bonne demi-heure.
Je me demande où il m'emmène à une heure pareille, car l'aube ne va pas tarder à se lever et pour cause, je distingue déjà les premières lueurs pointer le bout de leurs nez.