Chapitre 23 : Au commencement

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« Graham Greene a écrit : « On peut douter de la valeur d'une vie vertueuse qui se termine dans le vice autant qu'une vie de péché qui se termine bien. » Ce qui permet d'évaluer la vertu ou le vice de cette vie sont les souvenirs qu'on en possède. Qu'en est-il si ces souvenirs disparaissent ou son modifiés ? Dès lors, ne devrions-nous pas douter de la valeur de chaque vie ? »

Il se souvenait... « Nous ne sommes que la somme de nos expériences. Mais ce que l'on devient ne dépend pas de celles-ci mais de ce que l'on en fait.» Il est un survivant, un exemple parfait de ce que l'évolution a fait de mieux. Il s'adapte, réfléchit et agit plus vite que la moyenne de ses contemporains. Attention, ce n'est pas de l'arrogance, c'est un fait. Il ne tire nulle fierté de cela, il le constate voilà tout. Et ce constat d'autres l'avaient fait également. C'est ainsi qu'il avait intégré Academi. C'était bien avant que tout ce merdier ne commence. Bien avant qu'il ne s'exile. Bien avant que ne débute son histoire. Bien avant elle...

Elle, c'est Mary Watson. Sa Mary comme il l'appelle. Ses années de service au sein d'Academi l'avaient déjà passablement esquinté. Pas de blessures physiques, cela n'aurait pas compté ; mais bel et bien des blessures de l'âme. Lorsque l'on travaille pour la plus grande armée privée que la Terre ait portée, il faut s'attendre à remplacer une partie de ce que l'on estime chez soi par une part... plus sombre.

Il se souvenait... Mary, est une artiste. Elle joue du piano. Si beaucoup s'accordent à dire que Debussy était un génie de son époque, elle parvient à le sublimer, à transcender son œuvre. La première fois qu'il l'avait entendue jouer « Clair de Lune », c'était dans un piano bar de la Nouvelle Orléans.

Son service vient de s'achever et il profite à présent d'un repos bien mérité après un long séjour en Afrique du Sud. Il est assis à une table, seul, appréciant son verre lorsque les premières notes cristallines résonnent dans la pièce. Son regard se porte immédiatement sur la jeune femme. Les yeux fermés, au centre de la petite scène, elle se laisse bercer par sa propre musique, oscillant doucement sur la chaise de son piano. Il reste de longues secondes à la contempler. Il sait, au fond de lui, que ce à quoi il assiste, est un privilège. Ce souvenir marquera à jamais son esprit. Alors que ses mains délicates courent sur les touches, produisant ni plus ni moins que la perfection à chaque sonorité, il se perd un instant. Les dernières notes mourantes du piano le ramènent doucement à la réalité, comme émergeant d'un songe.

Elle ouvre les yeux, et, sans qu'il ne sache pourquoi, leurs deux regards se croisent. Elle finit par rompre le contact et sort de l'établissement. Le temps qu'il se fraie un chemin vers la sortie, elle a disparu. Seul sous la pluie battante, il reprend ses esprits. Rien au monde n'avait suscité en lui un tel émoi, une telle émotion.

Il se souvenait... Des jours durant, il était revenu à ce piano-bar. Le St-Germain était ouvert quotidiennement entre midi et 01h00 du matin. Sa permission il l'a passée ainsi : 13 heures par jour, durant 2 semaines, le séant planté sur le canapé d'angle en cuir rouge face à une scène où les artistes aux talents variés se succédaient. Non pas qu'il n'apprécie pas la musique ni même les consommations du St-Germain, mais il n'est clairement pas là pour ça. A chaque fois que la porte s'ouvre, qu'un client entre ou que les premières notes d'une composition de Debussy résonnent, il se surprend à espérer. Mais le temps, même pour eux, n'attend pas. Il devait rejoindre Moyok en Caroline du Nord le lendemain à 08h00 pour prendre sa nouvelle fonction. L'heure de la fermeture approche et il se surprend à penser que ce qu'il a vécu n'était peut-être qu'un rêve.

Alors qu'il rassemble ses affaires pour quitter l'établissement, les premières notes d'Arabesques N°1 emplissent la salle comme une brise chaude d'été. Il lève les yeux vers la petite scène. Elle a changé. De couleur de cheveux peut-être... Mais qu'importe, c'est elle. Ne la quittant pas du regard, comme pour s'assurer que ce n'était pas là un tour de son esprit sans doute confus après tout ce temps passé à attendre, il approche d'un pas calme. Toujours bercée par sa propre mélodie, les yeux clos, elle ne prête guère attention à sa venue. Il s'assied au bord de la scène et tandis que les dernières notes plus aigües annoncent la venue de la conclusion, il redoute un court instant celle-ci.

CAEE : Le Cycle de John 5 (Tome 1)Where stories live. Discover now