Chapitre 15

691 63 49
                                    

" Un bonheur que rien n'a entamé succombe à la moindre atteinte ; mais quand on doit se battre contre les difficultés incessantes, on s'aguerrit dans l'épreuve, on résiste à n'importe quels maux, et même si l'on trébuche, on lutte encore à genoux." Sénèque

Beautiful pain - Eminem

Alex, réveille-toi ! Alex !

Je me réveille en sursaut alors que Thibault m'arrache de mon rêve et commence à me secouer dans tous les sens. Mon frère est penché sur mon lit et m'agrippe fortement l'épaule. Tout de suite, je sens une étrange odeur et je m'assoie brusquement sur mon lit.

C'est quoi cette odeur ? je demande d'une petite voix encore endormie.

Je ne suis pas sûr. Viens, on va voir.

Mon grand frère et moi enjambons à toute vitesse les innombrables jouets qui tapissent le sol de notre chambre. En ouvrant la porte, Thibault a un mouvement de recul et pose naturellement ses mains sur mon visage, m'empêchant presque de respirer. À travers ses doigts, j'aperçois un épais nuage de fumée qui est en train d'envahir le couloir. La panique s'empare de nous. Immédiatement, il m'attrape le bras et nous déboulons en trombe dans la chambre de nos parents. Je suis peut-être jeune, mais je comprends tout de suite ce qui est en train de se passer.

Papa ! Maman ! crie Thibault tout en s'approchant de leur lit pour les secouer vivement. Réveillez-vous !

Qu'est-ce qui se passe ? demande mon père avec un air inquiet.

Le feu ! Il y a le feu ! répond Thibault, qui me tient toujours fermement par le bras.

Mes parents se lèvent du lit à la seconde où ils entendent ces mots. Ma mère vient tout de suite nous entourer de ses bras mon frère et moi. Elle ne dit rien mais sa peur est aussi intense que la mienne. Ses mains tremblantes nous tiennent fermement, si fort qu'elle me fait presque mal. Mon père sort de la chambre et nous le suivons vers les escaliers. Nous commençons à les descendre, mais plus nous avançons et plus je sens la température grimper. Les flammes qui se reflètent dans les murs donnent à l'escalier une couleur orangée. Mon père se risque à descendre encore un peu, puis nous fait signe de remonter, tant le feu a déjà pris de l'ampleur.

Nous retournons en courant dans la chambre de mes parents et des larmes sont en train de ravager mon visage :

J'ai peur... je murmure.

Ma mère se met alors à ma hauteur et pose ses mains de chaque côté de mon visage. Elle adopte une posture réconfortante et apaisée. D'une voix à la fois douce et directe, elle me répond :

Tu ne vas pas mourir Alex. Tu m'entends ? Tu ne vas pas mourir.

Elle fait signe à Thibaut qui vient prendre le relais et m'attrape dans ses bras, essayant en vain de me rassurer. Je tousse et ma gorge commence à m'irriter. Perdu dans ses bras, je regarde ma mère tenter d'empêcher la fumée de passer par la porte en y plaçant les draps du lit, sans grand succès. Quant à mon père, il ouvre les fenêtres et nous fait signe d'approcher. J'ai une petite idée de ce qu'il a dans la tête et ça ne me plaît pas du tout.

Lily, passe d'abord, crie mon père en l'attrapant par la main.

Non, hors de question ! Je ne saute pas sans vous, lui répond ma mère avec un léger sanglot dans la voix.

Il n'a pas le temps de répliquer. À cet instant, notre bouclier anti-feu nous abandonne et les flammes inondent la pièce, dévorant tout sur leur passage.

La chaleur est insoutenable : un aperçu de l'enfer sans doute. À mesure que les flammes gagnent du terrain, le crépitement de ces dernières s'attaquant aux meubles de la chambre devient de plus en plus intense. La fumée continue de s'insinuer dans ma gorge ainsi que dans mon nez et une quinte de toux s'empare de moi, bien plus longue que les précédentes. Mes yeux me piquent au point que je peine à les garder ouverts et ma respiration commence à être difficile. Mon frère vient se placer devant moi, comme pour me protéger, avant d'être victime d'une grosse quinte de toux lui aussi. Le feu commence à embraser le lit, il n'est plus qu'à quelques centimètres. Il se referme sur nous à une vitesse folle, nous laissant que très peu de chances de survie, comme si Satan lui-même venait nous chercher.

Je tousse toujours et commence à suffoquer. La fumée a totalement envahie la pièce, et je peine à distinguer ma famille, m'apercevant que Thibault ne se trouve plus devant moi. Par réflexe, je ferme mes yeux, tant elle les agresse.

MAMAN ! je crie à m'en arracher la voix, paniqué à l'idée de ne plus voir ma famille.

Elle a déjà sauté ! À toi Alex ! Approche ! me répond mon père, sa voix perdue dans le crépitement du brasier.

Je cherche mon frère du regard. Je le trouve retranché dans un coin de la pièce, luttant de toutes ses forces contre les flammes qui l'attaquent de chaque côté. Plus tard, ses hurlements hanteront mes nuits.

Je m'approche tant bien que mal de mon père mais une inqualifiable douleur m'assaille de tout le côté droit. Je tourne la tête et découvre mon bras et ma jambe droite en feu. Je crie à m'en arracher les poumons, me débats, mais rien n'y fait, je suis en train de brûler. Littéralement. Il dévore ma peau et me consume. À la seconde où mon père s'en aperçoit, il s'empresse de retirer son t-shirt, et dans un grand élan, en couvre mon corps dans l'espoir d'éteindre cette torche vivante que je suis devenu.

C'est à ce moment que mon père décide de m'attraper par la taille. Je pousse un atroce cri de douleur. Le contact de ses mains sur mes brûlures est presque pire que la souffrance que m'a infligé le feu. Mes nerfs sont à vif et le feu continue de brûler à l'intérieur de moi. Son regard sur moi change radicalement et il comprend qu'il n'a pas le choix s'il veut m'offrir une chance de survivre. Je n'ai pas le temps de réaliser que je suis en train de sauter de la fenêtre, que mon corps se retrouve déjà étalé sur le trottoir de notre rue.

J'ouvre légèrement les paupières et découvre le visage de ma mère penché vers moi, rempli de larmes. Ses lèvres bougent. Elle me parle, mais je n'entends rien. Je tente de jeter un œil autour de moi, sans y parvenir, et j'ai la désagréable impression que le monde tourne maintenant au ralenti. Elle lève les yeux vers ce qu'il reste de notre maison et vers la fenêtre du premier étage. Je suis son regard, attendant avec impatience de voir mon père et mon frère sauter à leur tour.

Comme depuis le début, le feu continue de gagner du terrain et les flammes sortent maintenant de la fenêtre par laquelle nous avons sauté. Mais ils vont y arriver, j'en suis certain.

Les yeux toujours braqués sur la chambre de mes parents, j'aperçois des lumières bleues et rouges s'intensifier et se rapprocher de nous. Ma mère tourne le visage sur sa gauche et je remarque qu'elle a la tête en sang, ce que je n'avais pas vu jusqu'à présent. Une tonne de pompiers débarquent de tous les côtés. Quelques-uns viennent vers nous pendant que les autres s'affairent à côté de leurs camions. Le son commence à revenir petit à petit en même temps que la douleur refait surface. Ma mère hurle et pleure en même temps tandis qu'un médecin se tenant au-dessus de moi tente de me parler, sans succès.

J'ai envie de lui hurler que mon père et mon frère sont toujours à l'intérieur, mais je n'arrive même pas à ouvrir la bouche. Je sens mes yeux se fermer lentement. Avant que je ne m'évanouisse, j'ai le temps d'apercevoir un groupe de pompiers entrer dans ma maison. Oui, ils vont les sauver. J'en suis sûr, ils vont y arriver.


VinceOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz