Prologue

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Personne ne se doute du jour où sa vie partira en vrille.

C'est une décision individuelle. Ou alors elle vous est imposée, et ces dans ces cas-là que vous comprenez que votre avis ne vaut rien.

Et, à l'instant précis où vous réalisez que vous devenez un objet, malléable aux grés du destin, l'espoir a des difficultés à se dresser un chemin. Tout semble perdu et détruit.

Pourtant, la condition humaine a la faculté de laisser ancrer cette notion d'espoir, sans que personne ne puisse la déraciner.

Même dans la tempête la plus violente, vous espérez voir un rayon de soleil se dessiner à travers les nuages. Et si tout est perdu, le mot échec devient une vulgaire étiquette, masquant la réalité de ce que vous avez vécu.

L'essentiel est de se battre, de foncer tête baissée dans cette illusion où, si un jour, votre liberté est volée, vos kidnappeurs ne pourront jamais vous dérober votre force d'esprit.

C'est comme cela qu'on se convainc lorsqu'on est une femme victime d'enlèvement.

***

Après avoir expiré une dernière fumée, j'écrabouillais la fin de ma cigarette contre ce mur délabré. Sans me soucier de l'endroit où mon mégot pouvait atterrir, je le jetai par terre. La ville était sale, les poubelles étaient déchirées et vomissaient leur contenu sur le trottoir gris et terne. Tout n'était que déchets alimentaires ou humains, dans cette ville où croiser des toxicomanes devant une école primaire était devenu monnaie courante.

Telle une colombe survolant le chaos, j'avançais à pas rapide, mes chaussures de fête aux talons dorés se frayant un chemin à travers le désordre et la débâcle du trottoir. La ville était plongée dans un profond sommeil. Je rentrais d'une fête étudiante. Les examens venaient de prendre fin et j'avais fêté en bonne et due forme l'arrêt définitif de semaines de révisions.

Le trajet du bar jusqu'à ma petite chambre d'étudiante n'était pas d'une longueur tortueuse. Et même si ma ville était réputée dangereuse, les ruelles sombres que mon chemin me forçait à emprunter ne m'avaient jamais paru redoutables.

Alors c'est pourquoi, ce samedi 27 octobre, à trois heure et quart du matin, j'avais emprunté une de ces dernières, sans avoir conscience que la seule chose que je reverrai de ma ville natale serait ce coin de rue sombre où les poubelles s'entassaient.


Ma cigarette était déjà consumée, mais sa lumière rosacée était la seule source de couleur dans le paysage sombre qui m'entourait. Seul le bruit de mes talons résonnaient dans le calme ambiant de la ville. J'étais habituée à rentrer seule de soirée, ma vie étudiante comprenait moult activités la nuit.

Mais j'avoue avoir ressenti une légère inquiétude lorsque je commençai à entendre des bruits de pas provenant de plusieurs personnes qui se pressaient derrière moi. J'essayais de les ignorer et pour me rassurer, j'imaginais que ces derniers étaient une bande d'étudiants, comme moi un peu alcoolisés, qui se dirigeaient vers le chemin de leurs maisons.

Et puis, si c'était une bande d'hommes grisés par l'effet de groupe, leurs allocutions à mon égard n'auraient guère de conséquences. Il ne me restait plus que quelques minutes avant d'arriver devant la porte de mon immeuble. Je pouvais bien supporter quelques idiots.

C'est lorsque je n'entendis aucun son de ceux qui marchaient derrière moi que je ressenti une piqure d'inquiétude. Ils semblaient avancer en rythme, comme si chacun de leurs gestes étaient calculés. Ce comportement anormal était plus que suspect. C'en était fini. La peur prenait progressivement possession de moi, laissant tomber aux oubliettes toute illusion de calme en moi.

Je risquais une oeillade rapide dans le reflet de la vitre d'un magasin. Mon cœur failli défaillir lorsque j'aperçus plusieurs hommes à, à peine, quelques mètres de moi.

Ce n'était pas un hasard s'ils étaient aussi proches. Ils avaient tout l'air de vouloir quelque chose de moi et j'ignorais quoi pour l'instant. Quelque chose me disait que j'allais bientôt le savoir.

« Mademoiselle ! » cria l'un d'entre-eux, provoquant par la même occasion une vague déferlante de stress en moi.

Je me retournais avec effroi vers celui qui venait de briser le silence. Avant même que je ne réponde, ce dernier enchaîna :

« Vous étiez bien au Barullo ce soir ? »

Je fronçais les sourcils. J'avais été à ce bar au tout début de la soirée, soit exactement il y a plus de cinq heures.

Je sentais que quelque chose clochait. Cet homme venait de m'accoster alors que lui et ses amis me suivaient depuis plusieurs minutes. Plus, s'il mentionnait un bar dans lequel j'avais été quelques heures plus tôt, il y avait de fortes chances que ces derniers m'aient suivi le reste de la soirée.

« Oui et ? » répondis-je sèchement pour tenter de masquer ma peur.

Tandis que mon interlocuteur me répondait une phrase insensée, ses amis profitèrent de la distraction pour s'approcher de moi avec rapidité.

Concentrée sur sa réponse, je n'aperçus pas directement les deux hommes qui se dirigeaient vers moi. Il allait de dire que l'alcool que j'avais ingurgité toute la soirée biaisait mes capacités de réaction. Lorsque je me rendis compte de leurs présences, ils étaient déjà à moins de cinquante centimètres de ma personne.

Je me reculais avec vitesse mais mon dos heurta une poubelle renversée sur la moitié du trottoir. Je grimaçai tandis que je vis les affaires de mon sac à main s'éparpiller par terre.

Un des hommes ramassa un objet que je venais de faire tomber mais dont je ne réussisais pas à déterminer la nature. Il me le tendit et, à l'aide de la lumière du faible réverbère, j'observais l'objet.

« Vous avez fait tomber ça. » me dit l'homme avec une drôle d'intonation dans la voix.

Cela ressemblait à de l'ironie. Et je ne le compris pas pourquoi au départ. Et puis, c'est lorsque je discernais enfin l'objet qu'il avait en main que je réalisai qu'il était en train de se moquer de moi.

C'était un stupide traceur Bluetooth qui ne m'appartenait pas. Un objet incroyablement facile à trouver en commerce pour ceux qui perdent régulièrement leurs clés ou que sais-je autre objet du quotidien. Et visiblement, ces hommes avaient mis ce traceur dans mon sac pour me suivre toute la nuit.

Ils avaient attendu le moment où je serais seule pour sortir de leur ombre. Et désormais, j'ignorais ce qu'ils allaient faire.

La panique avait totalement pris possession de moi. Avant même que je ne tente de m'échapper, un des hommes, qui s'était rapproché sans que je ne m'en rende compte, m'attrapa par la taille pour m'immobiliser.

Je me démenai violemment laissant échapper autant de cri possible pour que quelqu'un sur terre m'entende. Et tandis que je me battais avec rage contre cette issue terrifiante, une main colla un mouchoir puant sous mon nez.

Il me fallut peu de temps pour comprendre que cette odeur provenait du chloroforme et que j'étais en train d'assister à mon propre enlèvement. Alors que cette idée me suivait, se calquant de près avec ma panique intérieure, mon corps commença à faiblir et je ne tardai pas à fermer les yeux pour m'écraser lourdement dans les bras de mes assailleurs. 

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