Le monde d'à côté

Dilemme. Dernière partie - Peter

— C'est l'idée la plus étrange qui risquait de venir de toi, Amy. J'aurais plutôt imaginé que ce soit Peter qui le dise.

Je fis une grimace à Xilena. Elle pouvait bien rire de moi, ce n'était pas elle qui avait dû faire ce vœu stupide. Maintenant, j'étais accoutré comme un sorcier suprême, avec la grosse cape qui bouge par elle-même et la barbe parfaitement trimée. Et bien sûr, il ne fallait pas oublier la pierre du Temps qui pendait autour de mon cou.

— Je suis ridicule. Dr Strange n'est même pas à proprement parler un Avenger. Je peux pas être Spiderman, à la place ? Allez, il s'appelle déjà Peter.

— Arrête de te plaindre, je sais que tu aimes ça, dit Amy. Allez, fais ce truc qu'il a fait dans Infinity War... Il a regardé toutes les possibilités du futur pour savoir comment gagner à la fin.

Je soupirai en levant les yeux au ciel. Ce n'était qu'un film ! C'était amusant de prétendre être quelqu'un d'autre pour quelques instants, mais un peu moins quand il fallait être sérieusement cette personne. Mais comment expliquer à Amy que Dr Strange n'avait pas apprit à utiliser ses pouvoirs en vingt minutes, et que je pourrais encore moins ? Elle mettait tellement d'espoir en moi...

Je baissai la tête vers la pierre verte qui pendait sur ma poitrine, enroulant mes doigts autour de son enveloppe de métal. Est-ce que je vais mourir dans d'atroce souffrance si je la touche directement ?

— Pourquoi c'est pas toi qui le fais ? dis-je en me tournant vers Amy. C'était ton idée.

— C'est toi le nerd de référence, alors forcément que tu t'y connais plus que moi.

— Justement, je sais qu'il y a peu de chance que ça fonctionne ! Et pourquoi pas plutôt Branda ? dis-je en levant un bras vers elle, toujours assise dans le fauteuil. Elle sait déjà comment regarder le futur.

— Je ne peux pas profiter de mes propres vœux.

Je grimaçai en me tournant dans sa direction. Elle était sérieuse.

— Alors ça sert à quoi d'être un djinn ?

— J'ai plein d'autres attributs !

Je haussai les épaules en soupirant, résigné. Visiblement, personne ne le fera à ma place.

— Très bien ! Mais je veux être tranquille. Venez pas me déranger.

Je tournai les talons, ma grosse cape claquant derrière moi, puis sorti du salon pour grimper l'escalier qui me mena au premier. C'était l'étage consacré aux chambres à coucher. Il y en avait quatre, mais seul deux d'entre elles avaient une certaine personnalité. Je m'avançai dans le long couloir et m'arrêtai pour observer par la première porte. Tout était décoré de rose et violet, et des bibliothèques étaient pleines de livres. C'était la chambre de Xilena. Je regardai celle d'en face et trouvai cette fois des meubles tout en noir et des affiches de groupe de rock métal placardé un peu partout.

La chambre de Théo.

J'hésitai pendant une fraction de seconde, puis franchi le seuil, verrouillant la porte derrière moi. Je savais que ce n'était pas vraiment lui qui avait décoré la pièce, ça s'était fait magiquement pendant son sommeil. Il suffisait de passer un certain temps ici pour que la déco s'adapte, et il y avait dormi toute une nuit.

Je soupirai platement un m'installant dans le lit aux couvertures noires, puis fermai les yeux.

— Allez, pierre d'infini. Montre-moi le futur de Théo... celui où il meurt de cause naturelle.

J'avais imaginé que je me serais mis à flotter et que ma tête partirait dans tous les sens. Au contraire, à peine ma demande formulée, je sentis la fatigue m'assaillir. Le temps que je m'installe plus confortablement, je dormais déjà à poing fermé. Oui, je dormais, ronflais et bavais. Mais j'étais toujours conscient, à l'intérieur de mon propre esprit. Et comme dans un rêve lucide, je n'eus qu'à orienter mes pensées où j'avais envie qu'elle aille.

Je revis les mêmes images que Branda nous avait montrées un peu plus tôt, mais sans le style dessin animé, et avec tous les détails possibles. Ce n'était plus les trois bouts de scène qui allait droit à l'essentiel, mais bel et bien la journée entière en accéléré. Je le vis tourner en rond dans sa chambre comme un lion en cage, se tordre les doigts et marmonner pour lui-même des mots incompréhensibles. Je le vis craquer, tenter de s'arracher les cheveux, puis sortir de chez lui. Là, j'eus l'impression que les images se transformaient en deux tunnels distincts, et que je pouvais prendre l'un ou l'autre pour connaitre la suite. C'était deux futurs possibles et, sans trop savoir lequel était lequel, j'empruntais celui de droite, qui me permit de suivre Théo jusque dans le bus, où il entra dans le monde d'à côté, fit le vœu qui fit apparaître la vraie ville qui se cachait derrière, aller dans la grande tour aux portes de marbre noir, d'y trouver Krishen et d'essayer de la tuer... sans succès.

Premier échec. D'un clignement d'yeux, je fus de retour dans sa chambre, où il se remit à tourner en rond, à se tirer les cheveux, à marmonner comme un fou. Les images de divisèrent à nouveau. Je pris le chemin de gauche. Il se dirigea vers l'école, grimpa jusqu'au sommet, puis se laissa tomber dans le vide.

Deuxième échec. OK, et si j'optais pour la première version, mais qu'il lui était impossible d'aller dans le monde d'à côté ? De retour à cette scène, un nouveau tunnel s'ouvrit, et je l'empruntais. Théo parcourut le bus de long en large, mais il ne le mena nulle part. Il s'énerva contre Jack le chauffeur, qui le fit sortir en menaçant d'appeler la police... une fois dehors, toujours en colère et incapables de penser correctement, il traversa la rue sans regarder et une voiture le percuta de plein fouet.

Troisième échec.

Mon Dieu... Il va encore en avoir beaucoup ?

OK, ok... on va vers l'école, cette fois, mais un concierge l'aperçoit et l'empêche de monter sur le toit. Il s'énerve encore, fond en larme, le concierge l'envoi chez le directeur qui se fout visiblement de lui, sans comprendre la gravité de la situation, et le renvoie chez lui. Sur sa route, il se fait frapper par une voiture. La même.

Quatrième échec.

J'avais un respect tout nouveau pour Dr Strange qui avait fait ce petit manège plus de quatorze millions de fois ! J'étais sur le point de commencer le cinquième et je me sentais déjà sur le point d'abandonner !

Pourtant, c'est en pensant à Amy que j'eus la force de continuer, de regarder Théo périr en toutes sortes de circonstances. J'allais surement en sortir avec un traumatisme, mais, quand ce sera mission accomplie, je pourrais peut-être demander à Branda d'effacer cet événement de ma tête.

Allez, on persévère...

Septième échec.

Quinzième échec.

Trente-deuxième échec.

Le destin est vraiment décidé à ce qu'il meure demain, mon Dieu !

Demain... J'ouvris les yeux. Je fus étonné, pendant une seconde, de me retrouver étendu dans un lit aux couvertures noires, dans une chambre où pratiquement tout était noir, voir gris foncé. J'en avais complètement oublié à quoi ressemblait la réalité.

Demain... Un détail m'échappe, mais quoi ? Que va-t-il arrivé demain ? Vendredi ? C'est l'anniversaire de quelqu'un ? Un festival ? Un jour férié ?

J'effleurai la pierre du bout des doigts, la question passant toujours en boucle dans ma tête. Et enfin, la réponse me vint, pourtant simple ; demain, l'école organisait un bal. Je ne me souvenais même plus de la raison et c'était sans importance, mais je me rappelais bien avoir entendu Amy en parler une ou deux fois.

Je fermai les yeux. Trente-troisième tentative...

Réussi.

Je sais ce qu'il faut faire.

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Mention spécial pour jeannefostergoriot Je sais que t'as rien comprit à la référence. Désolé.