Quelques explications confuses pour un peu de suspense. Troisième partie - Amy

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J'avais passé une journée étrange. Je veux dire, je suis quelqu'un d'unique et fantastique, alors forcément que mes journées le sont aussi. Mais cette fois, elle l'avait été à un tout autre niveau.

En soi, elle n'était pas si différente que d'habitude. Ma mère avait cogné à la porte de ma chambre pour me réveiller, comme elle le faisait toujours, tout en m'avisant que le petit déjeuné était prêt. Ensuite, je me suis coulé un bain. Avant je prenais plutôt des douches, c'est plus rapide, mais vous vous doutez pourquoi j'ai changé ma routine ? Je ne m'expliquerais pas, de peur de me répéter un peu trop souvent. Après, je me suis maquillée, mis mes meilleures fringues, vidé une boite de papier mouchoir dans mon soutif, et j'ai pris le bus jusqu'à l'école. Pas le bus, juste un gros truc jaune qui pue la sueur. Avant de partir, j'avais emporté l'un de mes biscuits préférés pour le grignoter en chemin. Pas que j'avais déjà faim alors que j'avais mangé une heure plus tôt, mais c'était surtout pour vérifier le gout. Il était délicieux, si vous êtes curieux de la réponse.

Ensuite, à l'école, je devais faire comme si tout était normal, alors que je savais bien que ce n'était pas le cas. Les évènements d'hier me tournaient dans le crâne, mais je m'efforçais de rester gentille avec mes amies, d'être à l'écoute. De rire quand elles disaient une blague, ajouter mon grain de sel quand elles se moquaient de quelqu'un. Et quand elle m'avait demandé ce qui s'était passé avec mon oncle, j'avais répondu la première chose qui m'était venue en tête : « il était tombé d'une échelle pendant qu'il nettoyait la gouttière de sa maison. Mais ça va, il s'est seulement fait une entorse à la cheville. » Elles m'y ont vu que du feu. Il faut croire que je devenais une plutôt bonne menteuse.

Malgré tout, la journée ne fut pas si mal. J'avais fini par oublier cette histoire de bus et de rosier, me convainquant que j'avais rêvé. Mais ça n'avait pas duré, puisqu'en arrivant à mon dernier cours de l'après-midi, Peter était entré dans la pièce en même temps que moi. Il était gros, le bouboule, et il n'était pas possible de passer un chemin si petit à deux. Peut-être sans le vouloir - il était gentil, malgré tout le monde qui se moquait de lui -, il m'avait coincée contre la bordure. Mais quand il fût enfin dans la salle, je me rendis compte du subterfuge ; il avait glissé quelque chose dans ma main.

Je baissai les yeux, souhaitant que ce ne soit pas ce à quoi je pensais. Mais oui ; c'était le livre.

Je croisai le regard de Peter, qui était déjà à son pupitre, puis allai m'assoir à ma place, tout au fond. Mon tour était venu de lire ce stupide carnet puant et gorgé d'humidité.

Une feuille était coincée à l'intérieur. Je l'ouvris à cette page pour y voir : « Ceci est un signet. J'ai pas eu le temps de tout lire, mais je te donne tout de même la possibilité d'en apprendre un peu par toi-même avant qu'on en discute tous ensemble. Dix-sept heures au rosier, OK ? Xilena est déjà au courant, mais j'ai pas eu le courage d'avertir Théo. Tu peux t'en charger ? »

Je levai les yeux vers Peter pour hocher la tête, puis replongeait dans le carnet. J'étais, malgré moi, bien curieuse. Et encore plus malgré moi, je voyais dans cette histoire un petit quelque chose d'étrange... comme si un livre ne faisait que confirmer ma théorie de l'existence. Une autrice nous contrôle peut-être vraiment, dans le fond.

(Mais tu ne le sauras jamais, Amy. Hehehe.)

҉

Une heure plus tard, les cours étaient terminés pour la journée. Je n'avais pas eu le temps de lire beaucoup, à peine un sixième du livre, mais j'en avais vu assez pour avoir hâte de tout mettre en pratique. Vraiment hâte.

D'abord, comme me l'avait demandé Peter, je devais trouver Théo. J'allai devant les portes de l'école et m'appuyai contre un mur de brique, guettant sa venue. C'était son premier jour de classe depuis une semaine, mais c'était comme s'il n'était jamais parti. Il était toujours le même, habillé en noir, en chaines et en piercings, la démarche bien droite comme un prince dans son palais. Les plus petits s'enfuyaient quand ils le croisaient dans les corridors, les plus grands s'efforçaient d'éviter son regard. Personne ne voulait que Théo s'intéresse à eux. Et moi non plus, d'ailleurs. Mais aujourd'hui ; pas le choix.

Il était là. Il avait enfin passé les portes, entouré de ses trois amis qui semblaient l'encercler comme des gardes du corps. Il se donnait des airs importants, et je devais avouer que c'était plutôt intimidant.

- Théo ! dis-je en levant le bras bien haut.

Théo m'observa sans même tourner la tête. Je lui fis des signes de main, mais il continuait d'avancer tout droit.

- Viens ici, bon sang ! Faut que je te parle !

Théo soupira, comme si c'était toute une épreuve de m'approcher, mais vint enfin pour se poster devant moi. Il lança un regard noir à ses amis, qui renoncèrent à le rejoindre.

- Quoi ? fit-il d'un ton rude.

Étions-nous vraiment obligées de le trainer là-dedans ? J'aurais voulu dire « laisse tomber » et qu'on reprenne cette aventure à trois, sans lui. Mais malgré les apparences, j'avais un bon fond et je voulais lui donner une chance.

- On se donne rendez-vous au rosier à dix-sept heures et t'es invité.

- Pas envie.

Théo haussa les épaules d'un air blasé, puis se retourna pour continuer son chemin. La colère me monta au nez et sans réfléchir, je l'attrapai par le coude pour l'empêcher de partir. Théo releva les sourcils bien hauts, lui autant étonné que moi. Je risquais sérieusement ma vie à jouer sur la patience d'un type comme lui.

- Crois-moi, Théo, tu as envie de voir ça. Je te jure que tu ne t'ennuieras pas.

Théo ne répondit rien immédiatement. Il baissa les yeux vers le livre que j'avais toujours dans ma main gauche, avant de le remonter vers moi.

- Il y a quoi, dans ce carnet, de si intéressant ?

- Tu n'as qu'à le lire.

- Non, fit-il dans une grimace. Résume-moi.

- Non, répondis-je sur le même ton. Viens au rosier et on pourra en parler. Ici, si des gens nous entendent, ils vont nous prendre pour des cinglés.

Je me mordis la lèvre pour m'empêcher d'ajouter « mais pour toi, ça ne changerait rien ». Heureusement pour moi, Théo ne remarqua pas mon trouble.

- OK, dit-il enfin. Je vais venir. Mais c'est pas pour autant que je veux faire partie de votre délire.

- Mais c'est ton délire aussi ! Tu étais présent dans ce... cette...

- Dimension ?

- Monde différent...

- Monde sous le rosier, continua Théo avec un petit sourire amusé.

- Le monde d'à côté.

Nous échangeâmes une œillade, sans plus rien dire. Puis nous pouffèrent de rire en même temps.

- Ça sonne bien, avoua Théo. Ouais, compte sur moi, je viendrai.

Je joignis mes mains en prière et m'inclinai légèrement, à la mode japonaise.

- Merci.

Théo hocha la tête en guise d'au revoir et retourna auprès de ses amis, qui le regardaient tous d'un air bizarre et un sourire en coin. Eh merde, ils s'imaginent quoi, maintenant ?

Le monde d'à côtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant