Ce qu'on n'aurait pas dû savoir. Deuxième partie - Amy

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Décidément, l'autrice avait des plans bizarres pour nous. Moi qui croyais naïvement que le monde d'à côté était une preuve de son infinie gentillesse... eh bien, apparemment, il y avait un petit plus. Comme une déchirure sur un billet de cinquante dollars. Impossible d'avoir l'un sans l'autre...

Branda à la peau bleue nous fîmes sortir du dôme par l'ouverture ronde. Aussitôt dehors, je levai les yeux pour regarder le décor. Nous étions dans une ville, avec de grands immeubles, des véhicules et un bruit constant. Tout aurait pu sembler parfaitement normal s'il n'y avait pas eu les piétons, ces gens à l'apparence étrange qui aurait pu être des trolls, des fées ou des elfes, et ces genres de petites navettes dans le ciel, peut-être des voitures volantes pour ce que j'en savais. Elles passaient entre les immeubles, où étaient accrochés, à une dizaine d'étages de haut, des feux de circulation.

— Où est-ce qu'on est, exactement ? demanda Xilena.

Elle s'était postée derrière Théo, comme si elle s'imaginait que nous étions dans un endroit dangereux et qu'il faudrait se défendre à tout moment. Il était clair, au moins, que Théo était un excellent choix comme garde du corps.

— Nous sommes toujours dans le monde d'à côté — tel que vous l'avez-vous-même baptisé —, si c'est ce que tu veux savoir, dit Branda qui s'était arrêté sur le trottoir pour nous faire face. Mais en réalité, c'est un peu plus complexe. Le « monde d'à côté », dit-elle en faisant les guillemets, n'est qu'une minuscule partie de mon monde. Pour être plus précis, il se limite à ce dôme.

Nous nous retournâmes pour voir, derrière nous, le dôme en question. On aurait dit la moitié d'un œuf dépassant de terre... un œuf de dix mètres de haut à la coquille transparente. À notre sortie, l'apparence en avait légèrement été modifiée à l'intérieur. Maintenant, on pouvait y voir notre maison. Les voisins de gauche et de droite étaient coupés en deux à la limite du dôme. En revanche, d'autres dômes s'alignaient un peu plus loin. L'un sembla être la continuité du nôtre, avec le même quartier. Un autre montrait une plage paradisiaque et, dans l'eau, plusieurs silhouettes étaient visibles malgré la distance. L'un se faisait griller au soleil, d'autres nageaient avec les poissons tropicaux.

— Ce monde n'est pas magique comme vous le croyez surement, expliqua Branda. Mais ses habitants le sont. Au départ, ses dômes avaient été créés pour nous-mêmes. C'était un moyen de voyager, ou de faire tout ce que nous voulions. Nous nous en servions un peu comme téléréalité. Les heureux gagnants d'un tirage avaient droit à un séjour là-dessous pour réaliser leurs souhaits. Un jour, cependant, quelqu'un a fait un vœu étrange qui a créé un passage entre notre monde et le vôtre... Et plutôt de le refermer, nous avions décidé que vous aussi, vous pouviez participer au tirage.

Branda s'arrêta pour nous faire un petit sourire, comme si tout avait été dit. Pour ma part, je comprenais encore moins qu'au début.

— Comment c'est possible ? demanda Peter. D'où elle vient, la magie qui a créé ses trucs ?

— Oh, vous n'avez pas deviné ? fit Branda d'un air déçu. Ma peau bleue ne vous a pas mis la puce à l'oreille ? Il y a pourtant des films sur mon espèce, chez vous, non ?

— Je le savais ! s'écria Théo. T'es une extraterrestre de Pandora, comme dans le film de James Cameron !

Je donnai une claque sur le bras de Théo et il sursauta en se retournant vers moi. Vraiment, il fallait être idiot pour ne pas comprendre. Même si j'avais compris il y a tout juste une seconde, mais il n'avait pas à le savoir.

— C'est un génie. Comme dans Aladdin.

— Exact, Amy. Mais je préfère le terme « Djinn », ça fait plus classe. Ce sont mes semblables qui ont créé les dômes. Et moi, je suis chargée de m'occuper du bon déroulement du vôtre.

— Alors il va se passer quoi, ensuite ? demanda Théo. Après trois vœux, on sera coincé dedans à tout jamais, et toi, tu auras la belle vie sur Terre ?

— Qu'est-ce que j'irais foutre sur Terre ?! s'exclama Branda, perdant d'un seul coup ses airs professionnels. Je suis bien mieux ici. Vous ne pouvez pas accepter que je fasse ça par bonté de cœur ?

— C'est un peu gros à avaler, dit cette fois Xilena.

— Ouais, dans les films, les génies — ou les djinns — sont toujours des créatures diaboliques, fit Peter en croisant les bras. L'un a déjà presque tué Dean Winchester.

— Euh, qui ?

Peter se tourna vers Xilena pour lui lancer un regard scandalisé.

— C'est pas le moment d'étaler ta science, Peter, dit Théo dans un grognement.

Peter referma aussitôt la bouche, prenant l'avertissement au sérieux. Branda, amusé par leur petit jeu, pouffa d'un rire discret.

— Je vous assure que vous ne courrez aucun danger. Vous le savez, pourtant ; vous n'êtes pas les premiers et encore moins les derniers. Pourquoi ne pas profiter de votre chance, plutôt que de pleurnicher ?

Moi, je n'avais pas pris part à ses pleurnicheries. J'étais convaincue depuis le début. Où est le mal à être coincé dans un monde où certaines créatures fantastiques existent ? Contrairement à un monde ennuyant où je suis destinée à passer mes jours prochains en fauteuil roulant ? Tout ce que je voulais, c'étaient mes souhaits. Le reste m'importait peu.

— Ça ne va rien changer, dis-je. On sait où nous sommes, et puis c'est tout. Moi, je veux retourner sous le dôme et faire toutes sortes de vœux.

— Mais vous avez dit tout à l'heure que c'était comme un genre de téléréalité, intervint Xilena. Alors on est observé, là-dedans ?

Branda prit Xilena par les épaules et la fit pivoter, la mettant face au dôme. À l'intérieur, on apercevait toujours la petite maison brune.

— Il n'y a pas de caméra, si c'est ce que tu veux savoir. C'est comme n'importe où ailleurs ; si quelqu'un se colle le nez à la fenêtre, bien sûr qu'il vous verra. Mais qui le ferait ? Tirez les rideaux, c'est simple.

— Et quand on est dehors ? dit Théo en pointant un autre dôme, celui à la plage paradisiaque.

— Cette fois, oui, n'importe qui risquerait de vous apercevoir. Rien ne vous empêche de souhaiter qu'on ne vous voie pas. D'être invisible, par exemple. Mais dans ce cas, ne soyez pas surpris de ma visite régulière. Il faut toujours que je m'assure que tout se passe bien, là-dedans.

Nous hochâmes tous la tête de concert. C'était parfaitement logique. Même Xilena, en apparence plutôt timide, ne semblait plus réticente à retourner à l'intérieur.

— Si vous tenez absolument à avoir une preuve qu'il n'y a aucun danger, demandez à Jack. Le chauffeur, spécifia-t-elle devant nos mines interrogatives. Il y est allé, à votre âge. Et maintenant, ouste ! Je ne veux plus vous voir trainer dans cette ville, dit Branda d'un air faussement sévère. Pour nous, des humains qui se promène en liberté, c'est autant choquant que, pour vous, des trolls qui envahissent vos rues !

— Tu viens de nous comparer à des trolls ? dit Théo en plissant les yeux.

— Ouais, j'ai osé. Retournez dans le dôme, les jeunes, ou je serais obligée de vous punir.

À quoi bon insister ? Je fus la première à obéir, sans même un regard en arrière.

Le monde d'à côtéWhere stories live. Discover now