Back to the future. Dernière partie - Xilena

62 18 50
                                    

On marchait lentement sur le trottoir, en direction de l'école. Peter était à mes côtés alors qu'Amy trainait derrière, la tête basse. Nous avions tous les idées embrouillées par ce que nous venions d'apprendre ; Théo était définitivement hors-jeu. Est-ce qu'il fallait laisser les choses telles qu'elles vont et continuer à profiter des vœux, dans le temps qu'il nous restait ? Où est-ce qu'on devrait faire quelque chose pour l'aider ?

C'était la question que tout le monde se posait. Même sans entendre leurs points de vue, j'avais l'impression que Peter penchait pour la première option, et Amy pour la deuxième. Et dès que l'un ouvrira la bouche, se sera le débat pour me convaincre. Étant la troisième voix, la décision reviendra inévitablement à moi, et pourtant, je n'avais pas la moindre idée de ce que je devais faire.

— Nous sommes mercredi, dis-je avant de laisser les deux autres démarrer l'argumentaire. Nous avons encore jusqu'à dimanche pour profiter des vœux, donc je suggère qu'on prenne la journée pour réfléchir et qu'on en reparle demain. Ça vous va ?

— Samedi.

Je me tournai vers Peter, sans comprendre. Il avait les yeux braqués droit devant lui, visiblement perdus dans ses pensées.

— Si nous avons une semaine et qu'on a découvert le monde d'à côté dimanche, alors, samedi sera le dernier jour. Ça donne l'impression que ça a commencé lundi, parce que c'est là qu'on a eu la maison, les règles, Branda... mais dimanche, tout sera terminé.

Je haussai les épaules. Tant mieux. Un jour de plus ou de moins... Le monde d'à côté avait autant de points positifs que négatifs, il était difficile de dire si c'était mieux maintenant ou avant.

Je baissai les yeux sur ma main, mes doigts enflés et douloureux. Avant, mon père me frappait sans retenue. Et maintenant, il utilise des rouleaux à pâte pour venir à ses fins.

J'ai pas prononcé le bon vœu, mais je ne ferais pas la même erreur deux fois.

Mais je n'avais plus le courage d'aller seule dans l'autre monde.

҉

La journée continua son cours, imperturbable. Tous les trois, nous nous séparâmes pour reprendre, l'espace de quelques heures, une vie normale. Peter avec son seul ami bizarre dont j'avais oublié le nom, Amy avec sa bande de poufs populaires, et moi avec Maya. Après l'école, j'étais allée directement chez elle. Je préférai de loin passer la soirée en lieu sûr que de retourner à la maison.

Ma mère m'avait appelée pour me demander où j'étais, rien que pour la forme. Elle ne semblait pas réellement intriguée, ni inquiète. Bien sûr, papa ne lui aurait jamais raconté ce qu'il avait fait. Et même s'il le faisait, j'avais des doutes qu'elle se pencherait de mon côté. Elle dirait probablement que c'était à moi de rester gentille et de ne pas lever le ton.

Évidemment, c'était toujours moi qui étais en faute. Toujours.

Maya termina de mettre de l'onguent sur ma main. Ce n'était pas réellement nécessaire, mais elle voulait se rendre utile dans la situation. J'avais maintenant les doigts si englués que ça faisait un petit bruit dégueu dès qu'ils frottaient l'un contre l'autre. Elle posa ensuite un sparadrap, puis se laissa retomber assise sur son lit.

Je l'enviais, Maya. Elle avait de quoi rivaliser contre Amy, en matière de beauté, et était naturellement intelligente. Des parents gentils, aucun ennemi, deux chats super mignons et aucun problème d'argent. Moi, bien sûr, je ne pouvais pas en dire autant.

— Est-ce que tu crois en la magie ?

La question m'avait échappé, mais je ne fis rien pour me rattraper. Après tous, rien n'était dit dans le livre que nous n'avions pas le droit d'en parler, et Branda ne l'avait encore moins mentionné. C'était surement un sujet évident, comme les fantômes et les extraterrestres. Il existe des gens qui y croient, et d'autres qui en rient. Peu importe les preuves, la majorité dira toujours que non, et ça arrêtait là. Changer l'opinion d'une personne ne causera pas l'apocalypse, contrairement à ce que laissent supposer certains films.

Maya pouffa et secoua la tête, balançant ses cheveux blonds d'un sens et de l'autre. Elle était au bord de son lit, les bras croisés sur les genoux et penché en avant, alors que j'étais assise sur le fauteuil de son bureau. C'était ma place assignée chaque fois que je venais dans sa chambre, parce que je bossais tout le temps sur mes devoirs ou mes révisions. Aujourd'hui, je me contentais de tourner la chaise sur ses roulettes d'une pression du pied. Je n'avais apporté aucun livre avec moi, et ça, c'était une grande première, même en été.

— La magie ? répéta Maya. Pas tellement, non. Du moins, pas tant que j'aurais eu une preuve. Moi, je suis une scientifique.

— Ma parole, c'est une preuve suffisante ? dis-je en faisant les yeux doux.

— Ah, je sais pas, va falloir être convaincante, dit-elle en riant à nouveau.

Je hochai la tête, prenant le défi au sérieux, et me lançai dans un récit regroupant nos aventures depuis dimanche soir jusqu'à tout à l'heure, au pied de la maison de Théo. Une petite histoire qui dura, au bas mot, une bonne demi-heure sans interruption. J'avais l'impression de pratiquer un exposé oral.

— Alors, le dilemme est de savoir si on doit aider Théo d'une manière ou d'une autre, ou laisser les choses couler comme elles vont, dis-je finalement. Tu en penses quoi ?

Maya était bouche bée.

Elle était figée comme une statue, les yeux écarquillés. Je savais, en un sens, que ça voulait dire qu'elle me croyait. Sinon, elle se serait contentée de se foutre de ma gueule. Mais je n'avais pas prévu qu'elle prenne autant de temps à s'en remettre !

Je croisai les bras et continuai de tourner sur sa chaise à roulette, attendant qu'elle ait une quelconque réaction. Je perdis patience au bout de deux minutes.

— Je sais que c'est bizarre, mais je te jure que je dis vrai, j'ai rien inventé. Et non, mon père ne m'a pas frappée à la tête... du moins, pas dernièrement. Si t'as besoin de preuve, on peut essayer de rejoindre Peter et Amy.

— Non, ça va... je te crois. T'as jamais eu l'habitude de raconter des conneries, et en plus, ça explique tout un tas de choses depuis lundi...

Maya hocha la tête, comme pour se convaincre elle-même. Puis elle pouffa à nouveau de rire, mais c'était un rire nerveux et presque psychotique. Elle continua ainsi pendant plusieurs longues minutes, avant de se ressaisir et de dire, le plus sérieusement du monde :

— Moi, si j'étais Théo, je t'en voudrais à mort de ne pas m'aider à me souvenir de tout ça. Et pour finir, je te tuerais. Enfin, on parle de Théo, c'est une possibilité à prendre en considération ! Il a l'allure d'un futur meurtrier, avoue.

— Théo n'est pas un meurtrier ! Il est un peu extrême, mais pas à ce point-là, dis-je dans un soupir. En plus, depuis que ça a commencé, je le trouve beaucoup plus gentil. Attention, il n'est pas réellement gentil, mais si tu compares à il y a deux semaines, c'est un ange tombé du ciel.

— Donc... s'il est plus gentil qu'avant, ce serait nul d'abandonner tous les progrès qu'il a faits et de le laisser oublier ces trois derniers jours.

Je gardai le silence, réfléchissant à la question. En réalité, je n'étais pas sure que le monde d'à côté ait vraiment à voir avec son changement de comportement. En fait, il avait pour seul but de l'aider à surmonter la mort de sa mère. Tout le reste était, en quelque sorte, des effets secondaires.

En plus, il fallait prendre Branda en considération. Elle ne voulait pas que Théo retrouve la mémoire — c'était quand même elle qui l'avait effacée, à la base. Est-ce qu'elle était en mesure de nous surveiller ici, dans notre monde ? Forcément. Comment nous aurait-elle choisies, sinon ? Et elle sera encore en colère si on lui désobéit. Qu'est-ce qu'elle fera, la prochaine fois ?

Théo d'un côté, Branda de l'autre... C'était difficile.

— Je prendrais ma décision demain, avec Amy et Peter. Nous verrons bien ce qu'on peut faire...

— Perso, je te conseille d'aider Théo, même si c'est dangereux. (Maya haussa les épaules et me fit un grand sourire, avant d'ajouter sur une note mystérieuse :) C'est le genre d'aventure qui n'arrive qu'une seule fois dans une vie. Ce serait nul de prendre le chemin facile pour se débarrasser des problèmes. Ça, ma chère, c'est le côté obscur de la Force.

Le monde d'à côtéWhere stories live. Discover now