Le gros souhait. Première partie - Théo

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Le vieux chauffeur m'avait mené directement devant chez moi. C'était, selon lui, le privilège des tickets VIP.

Pratique, en un sens. Mais dans l'autre, pas tellement. J'avais hâte de retourner à la maison pour m'allonger, reprendre un peu de normalité pour mieux replonger dans la bizarrerie demain. Mais croiser mon père... un peu moins. Je me doutais qu'il ressemblerait à une loque, étendu quelque pars dans un coin sombre à ressasser ses meilleurs souvenirs dont je ne faisais pas partie. Je voulais me faufiler sur la pointe des pieds jusqu'à ma chambre en souhaitant ne pas me faire remarquer — même si je savais que je ne pouvais pas prononcer de vœux ici, c'était toujours beau de rêver — mais je me trahis en me cognant l'épaule contre l'encadrement de la porte. Presque aussitôt, j'entendis des bruits de pas précipités, semblable à un zombie qui me foncerait dessus. Je m'engouffrai dans ma chambre, mais mon père entra dans la pièce en un coup de vent et s'élança pour me prendre dans ses bras. Je flanchai sous son poids, mes genoux me faisant défaut. Je tombai assis sur mon lit, entrainant mon père avec moi, qui pleurait à chaude larme dans le creux de mon cou.

— Papa ! m'exclamai-je par réflexe.

Il me fit taire d'un « shh » avant de se mettre à se balancer de gauche à droite, comme s'il me berçait. Il a perdu une case. Je battis des cils pour chasser l'émotion qui me montait à la gorge.

— Théo... dit-il après un long moment de silence angoissant. Tu sais que je t'aime, pas vrai ? Tu le sais ?

Oui, je le sais. Puisque je l'ai souhaité. Je pinçai les lèvres et hochai la tête. Non, mon père ne m'aimait pas. Il en était contraint.

— Je sais, papa... dis-je d'une voix rauque. On en reparlera demain, OK ?

Il s'éloigna légèrement pour me regarder bien en face. Il n'avait plus sa barbe de deux jours lui donnant un look étrangement sexy, c'était maintenant plutôt une barbe de quatre jours ébouriffés et mal entretenus. Je ne l'avais jamais vue aussi longue et j'avais l'impression d'avoir un inconnu devant moi.

— C'est maintenant que j'ai envie de le dire. Je ne sais pas comment je me sentirais demain... (Il prit une grande inspiration, essayant en vint de se calmer. Je réalisais alors qu'il tremblait comme une feuille.) Théo, tu es la seule famille qu'il me reste. Je ne veux pas que tu t'éloignes de moi. Si je devais te perdre aussi... je sais pas ce que je deviendrais.

— Mais... c'est moi qui...

Papa resserra sa poigne sur mes épaules au point de me faire mal. Je grimaçai, mais n'osai pas me dégager.

— Tu n'es pas responsable de ce qui est arrivé. C'était un accident.

— Non...

— Est-ce que c'est toi qui conduisais le camion ? dit-il d'un air soudainement sévère. Alors non, ce n'était pas ta faute.

— Bien sûr que c'était ma faute ! m'énervai-je.

— Écoute-moi bien, Théodore. Tu as été l'enfant le plus difficile à gérer que ce monde n'ait jamais connu. Si quelqu'un était mort à chacune de tes crises, ce serait l'apocalypse.

Ce n'était pas encourageant. J'avais même plutôt envie de m'enterrer dans un trou et d'y rester pour un long moment. Mais à la mine décomposée que j'avais surement au visage, papa resserra encore un peu plus sa poigne, me faisant grogner de douleur. Ne pouvant plus le supporter, je le pris par les poignets et l'éloignai de moi. Papa me lança un regard insulté, avant de me faire un sourire désolé.

— Malgré tout, j'ai appris à t'aimer comme tu es. Je m'y suis habitué. Et j'ai pas envie de tu m'évites comme tu le fais.

Petit message subliminal signifiant « ne va pas dans le monde d'à côté ! ». Je t'aime aussi, papa, mais j'ai besoin de décompresser.

Le monde d'à côtéWhere stories live. Discover now