Chapitre 15

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Point de vue de Jayden Fields
Commissariat
12 Octobre 2015, soir

Dessiner calma mes nerfs un temps. Mon chef avait mis ma patience à rude épreuve alors même qu'il ne m'avait adressé aucun mot de tout l'après-midi. Son acharnement était bien plus fort que les mots. Thomas Omos vivait de façon malsaine et avait tenté de s'offrir un nouveau départ dans le mensonge. Mais cette nouvelle vie prenait fin maintenant, il allait comprendre que j'avais tout découvert. Ce n'était qu'une question de temps.

J'achevai mon croquis et reposai le crayon doucement sur le bureau. J'aimais cette représentation calme du commissariat qui reposait sur la première page du carnet. Celle que je venais de dessiner dans ce carnet à dessin que mon amie Lux avait personnalisé pour moi. Un cadeau pour mes trente ans. Un carnet à la couverture décorée des lettres de mon prénom.

Un bruit de chaise sur le sol me fit lever la tête dans la direction du coupable. Mon collègue et ami Noah grimaça et s'avança prudemment vers moi.

— C'est la joie de partir loin d'Omos, tu comprends. Tout le stress qui se dissipe d'un coup, soupira-t-il en réajustant sa veste.

— Wilson, vous oubliez assez souvent que vous me devez le respect.

Noah leva les yeux au ciel et se retourna pour faire face à son interlocuteur. Notre chef se déplaçait telle une fourmi et apparaissait toujours au moment propice. Il avait passé les trois quarts de l'après-midi à l'extérieur.

— Vous êtes vexé parce que j'ai eu tout bon à votre questionnaire, c'est ça ? Ne vous inquiétez pas, je suis toujours sous votre autorité, je le sais. Mais j'ai quand même fini mon service. Je m'en vais. On se rejoint à l'anniversaire de Lucas, Jay, me lança-t-il en se retenant de toute ses forces pour ne pas insulter notre chef dans sa langue maternelle.

Par exaspération plus que par provocation, Noah jurait en espagnol lorsqu'il était dépassé par les événements. Mon ami quitta le commissariat et notre chef s'éclipsa dans son bureau dans une synchronisation parfaite. Je rouvris mon carnet à dessins pour me calmer. Les choses allaient prendre une drôle de tournure, mais je ne regrettais rien pour autant. Deux minuscules secondes. Il avait fallu deux petites secondes à mon chef pour sortir de son bureau et venir agresser le mien.

— Vous vous croyez drôle ? Dans mon bureau. Tout de suite.

Il avait lutté pour garder un minium de diplomatie, mais la véhémence pourtant silencieuse dont je faisais preuve le rendait incapable de rester sans ne rien faire. L'unique cadre posé sur mon bureau avait rencontré le sol et s'était brisé. Sa colère avait attiré l'attention des quelques collègues présents, alors il avait repris bonne figure en réitérant sa demande. Je le suivis en ravalant ma propre haine à son égard. Il prit soin de refermer la porte derrière moi.

La pièce parlait d'elle-même, aucune explication n'était nécessaire.

— Qui d'autre que vous pour montrer autant d'insolence ?

— Je me demandais pourquoi, dernièrement, vous fermiez systématiquement à clef la porte de votre bureau. Même lorsque vous vous déplaciez de votre bureau au mien pour quelques secondes. Seulement, avant de partir tout à l'heure, vous avez oublié. J'ai pris cela pour une invitation à trouver une réponse à ma question. Ce que j'y ai découvert m'a dégoûté, alors j'ai laissé ma colère guider mes actions. Mais ma colère, n'est-elle pas rien à côté de votre beau mensonge, chef ? le défiai-je dans le plus grand des calmes.

— Vous n'auriez pas dû faire cela, Fields.

Ses yeux devinrent aussi noirs que les miens au moment de la découverte, et son regard me quitta pour s'installer sur le mur maintenant décoré d'une phrase que mon ami Dimitri m'avait dite lors de mon anniversaire « User de son autorité avec excès, c'est lâche ».

— Cette phrase écrite ici n'est que le fruit de votre bêtise, chef. Elle vous colle à la peau, et vous ne faites rien pour l'effacer. Bien sûr, vous allez l'enlever de votre mur, mais vous ne pourrez jamais l'extraire de la mémoire des gens. Vous n'avez rien arrêté, rien du tout, alors même que Lucas vous offrait une nouvelle chance. Cette chance n'était pas destinée aux mensonges.

Il m'observa en silence, et attendit une suite d'explication. J'attrapai la source du conflit pour la faire immédiatement s'échouer sur le sol. Mon chef regarda les feuilles voler une à une, et comprit.

— « Je me suis débarrassé de tout, Lucas ». C'est facile à dire lorsque l'on comprend que vous avez transféré le dossier de votre domicile au bureau.

— Je n'ai pas eu la force nécessaire de le jeter. Guérir demande du temps, bafouilla-t-il en s'agenouillant pour regrouper les feuilles.

— Peut-être, mais mentir n'aide pas à le faire.

— Tout ça, c'est vieux, s'entêta-t-il comme pour avoir le dernier mot. C'est promis, je vais m'en débarrasser.

— Vraiment ? Ces photos datent d'hier, chef, fulminai-je en ramassant les clichés en question. Vous n'avez rien arrêté, vous avez même continué !

— Je n'ai pas à me justifier auprès de vous, Jayden, répondit-il en m'arrachant les photos des mains.

Il ajouta qu'il perdait patience, et cela était perceptible rien que dans la manière dont il m'appelait. Il ne prononçait que très rarement mon prénom.

— Alors non seulement je vais prévenir Lucas, mais je vais également m'entretenir avec le procureur. Il faut bien que quelqu'un se charge de lui expliquer quel genre de personne vous êtes.

— Et moi je vous suspends de vos fonctions, Fields. Et cela prend effet dès maintenant.

Mon absence de réaction l'amena à penser que je n'avais pas entendu sa décision. Il la répéta en haussant légèrement le ton. Il eut comme première réponse de ma part un rire nerveux avant d'entendre un bruit sourd. Celui de mon arme déposée violemment sur son bureau, accompagnée de mon insigne.

— De toute façon, je ne supporte plus de travailler sous vos ordres. Il fallait peut-être que cela cesse. Vous me rendez service. Et dîtes-vous bien que ça ne m'empêchera pas d'aller voir le procureur demain quand même.

— Vous croyez ? N'avez-vous donc pas encore compris que je sortais vainqueur de toutes les situations ? Même lorsque je crois échouer, je gagne. C'est comme ça. Vous ne direz rien à personne, que ce soit au procureur ou à Lucas parce que je vous l'interdis formellement.

— Bah voyons. Je ne suis plus sous vos ordres. Vous venez de me renvoyer. Je ne serai peut-être plus le seul à l'être demain. Maintenant si vous voulez bien m'excuser, je suis invité à la fête d'anniversaire de Lucas.

La conversation était terminée de mon point de vue, et inachevée du sien. Insatisfait de mon comportement qu'il jugeait comme insolent, il referma la porte du bureau que je venais d'ouvrir, et me bloqua contre cette dernière. Il menait le combat en m'attaquant par surprise. Il contra le moment où je cherchai à me dégager de son emprise en plaçant ses mains autour de mon cou. Cet homme était prêt à tout pour obtenir ce qu'il voulait. Trois petites choses nécessaires à sa survie. Le pouvoir, l'autorité, et Lucas. Oui prêt à tout, y compris à m'attaquer dans son bureau, au sein même du commissariat.

— C'est curieux, vous êtes moins bavard tout d'un coup. Ne soyez pas timide, parlez ! déclara-il en resserrant ses mains un peu plus à chaque nouveau mot qu'il prononçait. Vous n'auriez pas dû vous comporter avec moi de cette manière. Je vous appréciais, vous savez. D'après vous, qui de nous d'eux gagne ? Je sais que c'est l'anniversaire de Lucas aujourd'hui, seulement vous n'irez pas. Je vous souffle la réponse à ma question. C'est terminé. Game over, Fields.

Oh My Worst Nightmare ☆ TOME 2 : L'homme aux deux visagesTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon