Chapitre 13

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Rien. Aucun effet. Ma décision n'avait suscité aucune réaction chez Thomas qui se complaisait dans son mutisme. Il me donnait l'impression de maîtriser le silence. Les jouets de son fils l'entouraient et l'enfermaient dans une époque qui le détruisait chaque jour un petit peu plus. Aujourd'hui, Thomas suffoquait. Il avait encaissé la souffrance de son fils disparu beaucoup trop tôt en lui trouvant un substitut.

— La vérité, Lucas, c'est que j'ai cru pendant des années et des années que tu me guérirais. Je me rends compte que tu produis l'inverse. T'aimer me détruit, souffla-t-il avant de marquer une pause nécessaire à son esprit embrouillé. Mais ne pas le faire me tue.

— Je n'ai pas de solution miracle, Thomas. Je suis prêt à combler ce vide laissé par votre fils, mais pas à n'importe quel prix. Je veux une garantie. Plus de remarque déplacée, d'abus de pouvoir, de violence et de traque. Plus rien de tout cela.

À ma proposition, Thomas lâcha le petit camion de pompier qu'il tenait fermement dans les mains pour songer réellement à l'offre que je lui proposais. Je vis dans son regard qu'elle était tentante. Je ne pouvais rien faire de mieux. Il voulait quelque chose. J'étais d'accord pour le lui donner. Fin du problème. Mais... pas pour lui. Il occupa son temps de réflexion à se masser les tempes, comme pour se donner le courage de m'adresser une réponse convenable.

— J'apprécie. J'apprécie vraiment tous ces efforts que tu fournis, mais... je reste incapable d'agir normalement avec toi, Lucas.

Là où il voyait un échec, j'apercevais un effort de sa part. Un effort malgré lui. Pas de mon trésor, mais un Lucas en bonne et due forme.

Alors que je m'efforçais de trouver des solutions, Thomas se leva précipitamment pour tourner en rond dans la pièce. Il s'arrêta brutalement pour envoyer valser les bibelots posés sur le grand meuble laqué blanc du salon. Aucun autre bruit que celui des objets cassés. Brisés comme son cœur. Il retrouva ses esprits peu à peu en s'arrêtant dans l'embrasure de la cuisine.

— Je... Je n'arrive pas à me contrôler parfois, bafouilla-t-il, semblant chercher ses mots. Pardon, je ne voulais pas être violent, mais d'un autre côté j'en avais besoin. Il valait mieux que je m'en prenne à des objets qu'à toi, n'est-ce pas ?

— Me frapper ? pris-je peur en regardant dans sa direction. Vous voulez vraiment marcher dans les pas de James ? Je ne vous conseille pas de faire cette erreur-là, je ne m'en remettrais pas.

— Jamais. Jamais je ne te frapperai. Comment OSES-TU penser le contraire ?

— Peut-être parce que vous l'avez déjà fait ?

— Oh, je t'en prie, cela ne compte pas. J'ai laissé les événements me dépasser. Je n'aurais pas dû te séquestrer chez moi non plus, mais je me suis excusé et tu m'as pardonné, pas vrai ?

Son ton désinvolte m'assassinait.

— Oui, Thomas. Je vous ai pardonné, et je vois que vous prenez tout très vite pour acquis. Vous me décevez, encore. Je commence à me dire que vous ne savez faire que cela.

— C'est de la provocation ?

— Non, un simple constat.

L'arrivée de Vanessa me libéra soudainement de l'emprise de son père. Elle fronça les sourcils en apercevant les morceaux de verres brisés sur le sol, mais ne souleva aucune question. Les yeux de son père s'illuminèrent à mesure qu'elle franchissait un pas vers lui.

— Ma chérie, tu sais que je n'aime pas nous savoir fâchés, hein ?

Ne pas la brusquer. Telle était sa mission à l'heure actuelle. Il savait que leur relation ne tenait plus qu'à un fil. Ma fiancée chercha au plus profond d'elle-même le courage de lui avouer ce qu'elle avait sur le cœur.

— Toutes ces fois où je suis venu te souhaiter ton anniversaire, où tu as fait croire que tu étais content alors qu'en vrai, tu hais cette journée de toutes tes forces. Je suis désolée, j'aurais dû voir que ça n'allait pas.

Thomas n'avait pas menti. Il avait bien avoué toute la vérité à sa fille, qui elle, se sentait maintenant coupable de tout ce qu'il lui était arrivé. La disparition de Ryan l'avait détruit et elle n'en avait jamais rien su. Mais comment imaginer un tel scénario ?

— Ce n'est rien, se décida-t-il à répondre en lui caressant tout doucement les cheveux. Je n'ai jamais fait semblant, ta présence infaillible lors de chacun de mes anniversaires me rendait un peu moins triste, ma chérie.

— Pourquoi ne m'avoir jamais rien dit ?

— Parce que ton père adore compliquer les choses, répondis-je à sa place. Je crois que je vais vous laisser, je suis attendu chez mes parents pour dîner.

— Attends !

Il ne lui avait fallu que quelques secondes pour me rattraper avant que je n'ouvre la porte.

— Je me suis débarrassé de tout. Absolument tout ce qui te concernait. Je n'ai plus rien hormis une photo de toi et Vanessa. Une seule photo sur laquelle ma fille apparait avec son fiancé, j'ai le droit à cela quand même ? Et ta lettre aussi. Mais tu me l'as adressée. J'ai le droit de la garder. Tu peux venir vérifier à n'importe quel moment, enchaîna-t-il sans attendre une réponse à la question. Tu as très bien trouvé le double des clefs que possède Vanessa lorsque tu as jugé en avoir besoin.

Il ne s'en était même pas rendu compte, mais en même temps qu'il avait prononcé son discours, il avait humé l'air, tout près de moi.

— Cette odeur de vanille, je ne m'en lasserai jamais. Tu sens si bon.

Un retour à la réalité. Le constat de sa propre rechute. Thomas m'ouvrit la porte sans rien ajouter d'autre, ne voulant pas empirer la situation. Je n'avais qu'à oublier ce léger incident. Oublier, puisqu'il pensait que cela m'était si facile. Une seule seconde s'échappa avant qu'il ne change d'avis. La porte claqua. Quelque chose l'avait perturbé et amené à agripper mon poignet droit. 23 décembre 2010. L'inscription lui arracha le cœur.

— Je ne savais pas que tu étais tatoué...

Il prit cette nouvelle comme une trahison alors même que c'était mon corps, mon choix, ma propre décision. Ce 23 décembre 2010 m'avait apporté un père digne de ce nom. Ce jour-là, j'avais ouvert la lettre qui comportait les résultats du test de paternité effectué avec Vincent.

— Il est partout, je dois apprendre à vivre avec l'homme qui bousille ma vie, et maintenant, je dois accepter qu'il soit sur ta peau ?

— Oui, Thomas.

— Sais-tu que je suis tatoué, moi aussi ?

Je devinai qu'il cherchait à capter la moindre chose qui pourrait nous rapprocher. Un point commun. Un tout petit point commun capable de réchauffer son cœur blessé.

— Comment le saurais-je ?

Je n'avais pas tort, bien sûr, il le savait ; mais une infime partie de lui continuait à penser que je savais des choses secrètes sur lui. Il attendait un signe d'intérêt de ma part.

— Où donc et quoi ?

Son visage s'illumina d'un coup, comme si mes questions étaient venues avec une lumière pure. Je les regrettai bien vite. Je n'avais pas envie de voir son tatouage. J'étais même terrifié à cette idée. Il ne me laissa pas le temps de revenir sur ma décision, et souleva la manche courte de son T-shirt. Quatre lettres en haut de son épaule. Quatre lettres lui collaient à la peau. Ryan.

— Le prénom de votre fils.

Une vague de soulagement s'était emparée de moi à la vue du tatouage.

— Bien sûr, tu t'attendais à quoi ? Ton prénom ? Remarque, cela pourrait arriver.

Il rouvrit la porte, me donnant à nouveau l'occasion de m'échapper d'ici.

— Je plaisante, ajouta-t-il en me voyant pâlir. Ou peut-être pas. Sors avant que je ne change d'avis.

J'évitai son regard et sortis en laissant ma fiancée avec son père.

Oh My Worst Nightmare ☆ TOME 2 : L'homme aux deux visagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant