Dans ce monde... première partie - Théo

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— Nous sommes réunis ici en ce jour... pour honorer une femme, une amie, une épouse et une mère de famille exemplaire, qui portait et portera toujours une place importante dans nos cœurs.

Je n'écoutai pas le reste, tentant de me concentrer sur autre chose. Les hautes poutres en bois rond qui soutenaient le plafond de l'église ; les portraits présentant des anges ou autres scènes bibliques ; les vitraux projetant des ombres discrètes, mais colorées, un peu partout dans la salle.

Malgré mon besoin d'échapper à la réalité, apercevoir tous ces visages tordus par la peine me rappelait ma propre douleur. Et ma propre culpabilité.

Une main lourde se posa sur mon épaule et je tournai automatiquement la tête vers mon père, mais je le regrettai aussitôt. Voir mon père pleurer, cet homme fort que j'avais vu comme un héros pendant les plus belles années de mon enfance, ça faisait mal. Il tremblait, de grosses larmes coulaient et disparaissaient dans sa barbe de deux jours.

Quel était le plus douloureux ? Perdre sa femme, l'amour de sa vie, avec qui et pour qui on avait tout construit ? Ou perdre sa mère, celle qui aurait tout fait pour notre bonheur et notre succès ; la déesse qui nous avait littéralement tout donné ?

Je compatissais pour mon père, mais personnellement, je penchais pour la deuxième option. Après tout, c'était bien ma mère qui était allongée dans ce cercueil, à quelques mètres devant nous, vêtu d'une robe blanche et les mains croisées sur son ventre, ses cheveux roux parfaitement ondulés tombant sur ses épaules avec souplesse. C'était bien une déesse qui avait quitté ce monde, à peine une semaine plus tôt, et qui s'apprêtait à rejoindre le paradis.

Un endroit où je n'y serais pas, pour son plus grand bien.

҉

J'étais un enfant à problème. Plus jeune, je piquais des crises monstres pour des sujets vraiment stupides. Parce que mon émission préférée ne passait pas à la télé ; parce que mes amis avaient des jouets plus cools que les miens ; parce que le chien de la famille - une Poméranienne - refusait d'aller chercher la balle. Aucune gardienne n'avait su m'endurer pendant plus d'une semaine et ma mère avait dû abandonner son emploi pour s'occuper de moi. Je lui avais fait des cheveux gris avant le temps, mais en gamin capricieux, ce détail passait loin au-dessus de mon mètre vingt. Mais ce que je sais, c'est que, malgré mes crises, elle était toujours douce avec moi. Peut-être que j'étais trop gâté, peut-être que c'est justement pour ça que j'étais si dur à satisfaire. Elle aurait dû être plus ferme, dire non un peu plus souvent. Elle n'aurait pas dû attendre à la dernière minute.

J'étais aussi un ado à problème. Un petit voyou. Je n'étais plus le démon de la maison, mais celui de toute la ville. Je volais dans les magasins pour la première fois à douze ans, une barre de chocolat aéro caché dans le fond de mes poches. Plus tard, ce fut plusieurs barres en même temps, puis des paquets de batteries. Ensuite des iPod et des iPhone. Je retirais la carte Sim et le revendais au premier venu. Je m'étais acheté une Xbox avec l'argent, et c'était là que mes parents avaient découvert mon petit jeu. Ils m'avaient hurlé dessus, j'avais balancé une ou deux assiettes qui avaient explosé dans la cuisine. Maman voulait que je retourne la Xbox et que je rende l'argent à son - ou ses - propriétaire, avec toutes les excuses de mon répertoire.

Sérieusement ? Elle peut toujours courir ! À bout de patience, le ton atteignant des sommets, j'avais aussitôt quitté la maison dans l'idée de ne jamais revenir. Ma mère avait essayé de me suivre, sans y parvenir.

Elle avait à peine traversé la rue qu'un camion l'avait frappée. Tout s'était passé sous mes yeux.

Et c'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, je suis assis sur la première rangée de bancs d'une église, à contempler son cercueil.

Le monde d'à côtéWhere stories live. Discover now