Chapitre 38

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Je cillai bêtement. Sans comprendre de quoi il parlait. Pourquoi me disait-il ça ? Ma mort n'avait rien à voir avec lui. Alors pour quelle obscure raison se blâmait-il ?

- Tu racontes n'importe quoi, dis-je, perdu.

- Non. C'est de ma faute, assena-t-il avec un sérieux qui me fit taire. Je suis mort avant toi. J'ai commencé mon entraînement et je suis descendu sur Terre une première fois avec mon mentor. Pour toi. Il s'occupait de toi. Pour que tu continues à te battre pour rester en vie. Du moins, c'est ce que je croyais. Comme toi, je pensais que les anges étaient les gentils. Sauf qu'ils sont prêts à tout pour ce qu'ils croient être le bien parce que c'est ce qui est écrit dans leur dossier.

Je voyais exactement à quoi il faisait référence. Ils avaient oublié ce que c'était que d'être humain. Je ne pouvais pas dire qu'ils l'ignoraient puisque la majeure partie des gardiens étaient des âmes humaines. Je ne me souvenais pas à quel moment ils avaient fermé les portes de l'Enfer – je devais encore m'être endormi. Toujours était-il qu'il n'y avait plus de gardiens créés en tant que tels. En tout cas, si c'était le cas, ils se cachaient bien.

Il n'en restait pas moins que les plus anciens des gardiens agissaient plus comme des anges originels que comme d'anciens humains. Ils ne voyaient leurs charges que comme des brebis à guider vers une fin prédestinées par leurs supérieurs. Ils avaient oublié ce qu'était le libre-arbitre. Qu'ils avaient le droit de faire ce qui leur semblait être le mieux. Que, parfois, même les anges pouvaient avoir tort.

- La vérité, c'est qu'il devait te mener dans cette auberge. Il savait que tu n'avais aucune chance d'en sortir vivant. Et moi, je pensais que c'était pour le mieux. Comme un crétin, je lui ai fait confiance. Juste parce que c'était un ange.

- Comment ça, il le savait ? questionnai-je, abasourdi à l'idée qu'un gardien ait volontairement amené sa charge vers la mort.

- J'ai volé le dossier avant qu'il ne soit détruit, après ce qu'il s'est passé. Les Principautés ont reçu l'ordre de... t'éliminer, basiquement. Parce qu'ils savaient que ton âme deviendrait puissante. Suffisamment puissante pour remplir la mission qu'ils t'ont attribué. Utiliser ta charge comme appât pour les démons et récolter des preuves de leur retour.

J'avais beau savoir tout ça... J'avais du mal à avaler le fait qu'ils m'avaient tué pour ça. Pour que je fasse le sale boulot à leur place.

Meriel m'empêcha d'y réfléchir plus longtemps en reprenant la parole.

- Je te jure que j'ignorais ce qui allait se passer. Quand mon mentor m'a dit de ne pas intervenir, de ne pas te prévenir quand nous avons vu l'aubergiste approcher... Je... Je regrette de ne rien avoir fait. De ne pas avoir suivi mon instinct. J'aurais pu te sauver et je n'ai rien fait.

Sa voix craqua sur la fin. Sa culpabilité était étouffante. Irrationnelle.

Jamais je n'aurais pensé que Meriel pouvait ressentir autant d'émotions. Violentes, puissantes, ravageuses. Il était si froid et désagréable que j'aurais plutôt eu tendance à penser qu'il n'aurait rien ressenti de plus qu'un sentiment d'échec, une culpabilité temporaire.

Au lieu de ça, il se détruisait de l'intérieur. Seul son instinct de survie était assez fort pour étouffer sa pudeur et le laisser admettre ce qu'il ressentait à chaque fois qu'il me voyait.

- Ce n'est pas de ta faute, murmurai-je.

J'avais peur de sa réaction à mes paroles. Il était à fleur de peau. Je ne connaissais pas ce Meriel. Je ne savais pas comment l'anticiper. Quelles réactions il allait avoir. Mon envie d'apaiser son sentiment de responsabilité allait éventuellement faire pire que mieux.

- Tu ne devrais pas te blâmer pour ce qu'il s'est passé. Tu n'y es pour rien.

- J'aurais pu intervenir ! explosa-t-il.

Ses yeux étaient humides. Il bondit sur ses pieds et commença à arpenter la pièce de long en large. Pas assez vite pour que je ne vois pas les effets de mes mots sur son visage.

- Toute notre vie, on nous a répété que les anges sont du côté du bien. Qu'ils sont lumière et amour. Connaissance et guidance. Comment aurais-tu pu savoir que la dichotomie entre ange et démon que l'on nous inculque dès l'enfance n'est qu'une vaste fumisterie ? Tu ne pouvais pas. Parce que, franchement, quand on arrive ici, on nous vend la même histoire. On n'y voit que du feu jusqu'à ce qu'on soit trahi par l'un d'entre eux. J'ai toujours vu le monde en nuances de gris et pourtant, je me suis fait avoir tout de même.

- J'aurais dû le savoir, rétorqua-t-il sèchement. J'aurais dû le voir venir ! Au lieu de ça, je me suis fait avoir comme un bleu !

- Et ce n'est pas de ta faute ! Ils sont doués pour berner les gens.

- J'aurais dû le voir ! Je suis né là-dedans ! Dans les intrigues et les demi-vérités et les manipulations. Je suis né là-dedans. J'aurais dû me rendre compte que quelque chose ne tournait pas rond !

Je me levai et allai le saisir par les épaules pour le secouer un bon coup. Métaphoriquement aussi bien que littéralement. Il avait besoin d'entendre ce que je m'évertuais à lui dire.

- Tu vas m'écouter. C'est moi qui suis mort. Alors si je dis que ce n'est pas de ta faute, tu l'acceptes et tu te pardonnes ! Compris ? Je suis mort. Et tu n'as pas t'en vouloir pour ça. Ce. N'est. Pas. Ta. Faute.

Il ouvrit la bouche dans le but évident de protester.

- Je ne veux rien entendre. Tu as peut-être été élevé parmi les magouilles de toutes sortes. Ça ne change rien au fait que, face à des anges, tu auras toujours tendance à croire qu'ils ne font que le bien jusqu'à ce qu'ils te poignardent dans le dos en clamant que c'est pour le grand bien.

Il lutta contre son envie de rouler des yeux face à mon essoufflement. C'était un progrès. S'il pensait à railler le fait que j'ai quelque peu oublier de respirer pour terminer ma phrase avant qu'il ne m'interrompe, c'est que j'étais en bonne voie.

- Pourquoi ne saisis-tu pas cette occasion pour me détester un peu plus ? J'aurais pu te sauver. J'aurais pu t'éviter... ce qu'il s'est passé.

- Parce que tu t'es suffisamment puni pour que je n'ai pas à en rajouter. J'ai souffert durant une heure au maximum. Ça fait plus d'un siècle que tu te fais souffrir. Il est plus que temps que tu arrêtes.

Je lui donnai une tape dans l'épaule. Je regardai l'heure.

- Et il est plus que temps que je descende jouer les amnésiques.

Meriel passa à côté de moi, son bras venant percuter le mien.

- Merci.

Il avait disparu dans la foule avant que je ne réalise ce qu'il venait de se passer. Un sourire désabusé étira mes lèvres. Pourquoi fallait-il que ce type ait autant de facettes qu'une boule disco ? J'allais finir par croire qu'il n'était pas si mal, au fond. Tout au fond.

Me perdre une énième fois dans les couloirs ne me perturba pas. Le regard blasé de Rikbiel n'éveilla aucun embarras, aucune réaction. Mon esprit se noyait dans l'amas d'informations qu'il venait de recevoir. Entre les révélations sur les circonstances de ma mort, celles sur Baskiel et celles sur Cassiel...

Je m'en foutais.

Je me fichais de ce que l'on attendait de moi. De ce que les anges étaient capables de faire pour arriver à leurs fins. Tout ce qui comptait, c'était de garder Beahan en vie.

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NdlA : un court chapitre mais qui vous aura plu, j'espère ! On en apprend un peu plus sur Meriel et sur les anges !

A Season In HellWhere stories live. Discover now