Chapitre 10

401 66 64
                                    

La sorcière n'hésita pas lorsque Beahan s'endormit après avoir dîné. Elle me fit face et croisa les bras.

- C'était de l'énochien ?

- Quoi ?

- Quand tu as parlé avec cet autre ange ? C'était de l'énochien ?

- Oui.

Je n'avais même pas réalisé que j'avais cessé de parler en anglais. Si, au départ, changer de langue en fonction de la personne à qui je faisais face avait été un défi, ça se faisait avec aisance, désormais. Je parlais énochien avec tout ce qui avait des ailes et anglais avec tout ce qui n'en avait pas. C'était devenu un réflexe.

- Je n'aurais pas pensé que c'était aussi... poétique. On aurait dit une chanson, quand vous discutiez. Tu as l'air plus aimable quand tu parles en énochien. Dès que tu te remets à parler en anglais, tu deviens imbuvable.

Je l'ignorai. Je n'étais pas là pour lui plaire mais pour remplir une mission. Ce qui me faisait penser que je n'aurais pas dû obtenir cette assignation. Suriel ne m'aurait pas dit cela sinon. Il me mettait en garde contre la charge de cette mission. J'aurais aimé pouvoir remonter aux Cieux et demander des comptes à Ariel. Sauf que le faire reviendrait à demander à genoux ma mutation chez les nounous des cupidons et je n'étais pas fou à ce point.

Il fallait que je découvre en quoi consistait réellement cette affaire. Il y avait plus que ce que j'en avais découvert, plus que ce que Ariel m'en avait dit. Pas qu'il m'ait vraiment dit quoi que ce soit avec ce dossier qu'il m'avait donné.

- Qu'est-ce qu'il voulait ?

- Rien qui ne te concerne.

- Que sais-tu de plus que Declan ? Cet autre ange t'a dit quelque chose, j'en suis certaine.

Je la regardai droit dans les yeux, retrouvant avec familiarité la froideur et la méchanceté de mon regard le plus noir. Je la vis se balancer sur ses talons. Le pas de recul n'était pas fait mais son esquisse me suffisait.

- Je suis là pour lui, pas pour toi. Si tu ne cesses pas de m'abreuver de questions et d'insister, crois-moi quand je te dis que je me débarrasserais de toi.

Elle eut l'air perplexe, perdu. Elle avait cru que tous les anges étaient adorables et gentils et lumineux, calqués sur le modèle de Suriel. Je venais de lui faire goûter à la réalité et elle avait des difficultés à la conjuguer avec ses croyances.

- Tu es un ange gardien, souffla-t-elle.

- Oui. Ça ne change rien. Je suis là pour lui. Je travaille seul. Certainement pas avec une sorcière. Alors tu vas me laisser faire ce pour quoi je suis là, compris ?

Elle ne réagit pas, cillant comme une bêtasse. Je retournai me percher sur le rebord de la fenêtre pour réfléchir. Le contact frais du verre contre mes ailes m'aida à m'ancrer et à ne pas me laisser avaler par ma frustration. Je n'avais pas maîtrisé le calme perpétuel de mes instructeurs. J'étais souvent décrit comme « trop humain ». Trop enclin à m'énerver ou à protester. Je leur répondais que les habitudes avaient la vie dure. Après une vie à être sur la défensive, chassé, une vie à survivre, il était difficile de devenir un exemple de sérénité et de chaleur. Un siècle ne suffirait jamais à chasser de mon subconscient mon instinct de survie.

Je fermai les yeux et me massai les tempes. Je ne pouvais pas avoir de migraines – un avantage, vraiment – mais le mouvement familier m'aidait à réfléchir.

Peu importait l'angle sous lequel je regardais les mots de Suriel, il ne m'apprenait rien de nouveau. Il était sûr que je pouvais mener cette mission à bien. Toutefois, il avait toujours eu foi en moi. Ce que je ne m'expliquais pas. Était-ce un test ? Ça n'y ressemblait pas. De plus, je connaissais les Principautés. Les humains étaient un troupeau à protéger. Expérimenter dans ce sens les mettrait en danger et c'était impensable. Jamais Ariel, aussi insupportable qu'il soit, n'aurait autorisé une telle manœuvre.

A Season In HellWhere stories live. Discover now