Chapitre 15

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Gérer une centaine de personnes sans structure commençait à devenir impossible : entre les caractères enflammés et discrets, les gens qui avaient besoin de travailler pour ne pas devenir fou et ceux qui préféraient se laisser aller il n'y avait pas d'équilibre naturel qui semblait vouloir s'installer durablement. Si encore tout le monde ne vivait pas avec l'impression d'être pris comme des souris dans un piège prêt à se refermer sur eux à tout moment, peut-être que l'ambiance serait un peu plus vivable. Mais les gens avaient peur, et la réaction la plus naturelle qui soit face à la peur était souvent de prendre la mauvaise décision.

Les petits conflits se multipliaient, les tensions ne semblaient que se construire sans jamais se dénouer et les envies de prendre le pouvoir étaient de plus en plus audibles, encore un peu et on aurait le droit de voir des partis politiques s'installer ici-bas. Si en plus Mitsu et Mathias devaient chercher un espion dans cette jungle urbaine, ils allaient tous finir sur les rotules bien avant de revoir la lumière du soleil.

Mitsu soupira et donna un coup de dent rageur dans sa barre de céréales, il avisa de Mathias qui revenait vers lui les mains dans les poches et son éternelle expression détachée collée sur le visage. Il vint s'asseoir à côté de lui avec un curieux sourire qui ne présageait rien de bon selon lui :

- Il paraît qu'on est en couple, tu sais ?

- Et t'as pas appris des choses utiles plutôt ?

Le châtain lui fit le récapitulatif de tout ce qu'il avait pu apprendre sur Elisabeth tout en jouant à ce jeu de cartes qu'il ne comprenait toujours pas vraiment : qu'elle avait été transférée en milieu d'année et qu'en conséquence elle n'était pas aussi intégrée qu'elle ne l'aurait bien voulu, que les autres étudiants coincés ici étaient de la même année qu'elle en étude de journalisme mais d'un autre groupe de TD, elle les connaissait par leurs prénoms mais sans plus, que Julie était une orpheline et que c'était aussi pour ça qu'elle ne souffrait pas plus que ça d'être séparée de ses parents adoptifs, qu'elle était allergique aux cacahuètes et voulait vraiment casser la figure à Jean quand elle en aurait l'occasion. Entres autres.

- Et donc, il y a des informations utiles là-dedans ?

- Quand j'irai faire la tête au carré à Jean, je pourrai compter sur Julie pour le tenir... - il reçut un coup de poing dans l'épaule - Tu connais le saute-renard ? J'ai absolument rien compris à ce jeu de cartes, j'ai l'impression d'avoir 80 ans et de ne rien comprendre à la vie.

- Mathias ! hurla Mitsu de rage. Des-in-fos.

Quelques têtes se tournèrent vers eux dans le camp, les personnes en charge de la distribution de vivres du jour leur donnèrent un regard suspicieux mais ne tardèrent pas à retourner à leurs cartons. Une fois leur attention perdue, Mathias reprit :

- Patience, je ne tiens pas à la faire fuir en courant parce qu'on se met à la questionner comme une suspecte. Tu vois bien comment elle réagit quand ça devient trop personnel.

- En parlant de questionner, Martha est venue me voir, dit Mitsu.

- Ah.

- Comme tu dis. Elle était enragée. Enragée qu'on ait caché notre découverte et mis Elisabeth en danger. J'ai eu beau lui répéter qu'Elisabeth faisait ça très bien toute seule, elle a préféré me hurler dessus jusqu'à ce qu'elle ait évacué tout ce qu'elle avait à dire sur nous et notre comportement de gamins capricieux.

Mathias se redressa, jouant avec la fermeture de sa veste pour s'occuper les mains : il n'avait pas spécialement envie de tout déballer à tout le monde surtout dans les circonstances actuelles mais si une personne savait... Tout le monde pouvait savoir demain. Et il préférait que les gens l'apprennent de sa bouche à lui plutôt que par des on-dit, meilleur moyen pour que leur position soit compromise dans le camp.

Juste après la Fin du MondeWhere stories live. Discover now