Chapitre 9

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— Martha ?

— Oui, ma Julie ?

Elles étaient toutes deux assises sur un morceau de béton qui faisait office de banc, non loin de la palmeraie avec une vue d'ensemble sur la partie sud de leur îlot. La petite fille regardait d'un œil torve le reste de la colonie s'affairer à organiser et mettre de l'ordre dans le camp tandis que son gardien reprisait la veste d'Elisabeth. Elle lui avait proposé avant leur départ de prendre soin de ce bout de tissu dont elle refusait manifestement de se défaire. Néanmoins, il avait été tellement abîmé qu'il était importable en l'état - sauf si on aimait le style dos nu dans une veste chaude -, ça l'occupait et ça semblait faire plaisir à la jeune fille. Elle avait trouvé un kit de couture dans le supermarché devenu lieu d'approvisionnement où elle acceptait enfin de piocher comme les autres pour sa survie et le réparait autant que possible.

— Je veux aider.

Elle reposa son ouvrage sur ses genoux et se tourna vers Julie, elle avait croisé les bras et affichait une mine aussi résignée que triste. Si elle n'avait pas eu le cran de demander à rejoindre l'exploration des couloirs, elle avait espéré pouvoir aider sur place mais tout le monde l'envoyait balader dès qu'elle s'approchait et proposait son aide : trop petite, trop jeune... Ils avaient toujours une raison - juste ou non - et lui demandait d'aller jouer avec les autres enfants plutôt que de traîner dans leurs pattes.

L'âge moyen des enfants était de seulement 5 ou 6 ans, une différence énorme au regard de l'enfance surtout quand on était aussi habité qu'elle par le désir d'aider et d'exister. Martha s'était renseignée un peu sur sa famille, pourquoi elle était seule et semblait si indépendante malgré la situation critique : Julie partait à son club d'athlétisme lorsque les bombes étaient tombées et venait tout juste d'envoyer un message à sa mère lui disant qu'elle sortait du métro. Tout portait à croire que ses parents la savaient coincée ou bien pire, morte. Et pourtant, l'enfant affichait un calme et une confiance qui faisait pâlir beaucoup de monde ici-bas. Jusqu'à ce qu'elle craque, lui avait dit Elisabeth lors d'une discussion.

— Je comprends, ma petite, mais il faut quelquefois savoir s'avouer vaincu sur certains terrains.

— J'aime pas ça.

Martha pouffa discrètement pour éviter d'être entendue, elle savait Julie un peu susceptible surtout concernant ce sujet. Elle prit une longue inspiration et posa la veste et le matériel de couture à côté d'elle avant de se lever :

— Marchons un peu, proposa-t-elle.

En confiance, Julie se leva et la suivit. Elles se dirigèrent lentement vers un groupe occupé à porter des cartons de nourriture pour les stocker, une dizaine d'hommes et de femmes se relayaient pour se faire passer les paquets et les stocker dans un coin ombrageux où Jean les comptabilisaient. Il avait choisi encore une fois un poste où il avait de l'importance et une forme de pouvoir, décidément Martha appréciait de plus en plus cet homme.

— Essaye de réfléchir autrement, Julie, continua-t-elle d'une voix douce. Nous ne portons pas de choses lourdes et nous ne courrons pas dans tous les sens... - elle s'arrêta un instant et abaissa son visage au niveau de celui de la petite fille - nous travaillons dans l'ombre, quelque part.

— Dans l'ombre ?

Martha tapota l'épaule de Julie avant de se remettre en route :

— Laisse-moi te montrer... Jean ! appela-t-elle.

Ce dernier leva la tête de sa liste et les salua toutes les deux de la main avec entrain.

— Martha ! Julie ! Comment vous allez, aujourd'hui ?

Les deux adultes se serrèrent la main, l'homme ignorant royalement celle qui lui tendait la petite Julie à côté d'eux.

— On tient le coup, comme tout le monde.

Alors que la fillette se renfrognait, la dame affichait une mine affable et un sourire doux. Julie trouvait ça étrange, mais comme on venait de lui dire qu'on allait lui démontrer quelque chose, elle attendit avec plus ou moins de patience de voir comment la situation allait évoluer. Elle tapait du pied par terre mais puisque personne ne faisait attention à elle de toute façon... Martha continua la discussion après les salutations de base :

— Comment ça se passe, cet inventaire ?

— Oh, ça avance vous savez. Doucement, mais sûrement !

Jean partit dans un rire gras qui fit se raidir les épaules de Julie, il lui rappelait le coach remplaçant d'athlétisme : un homme cruel et dénué d'empathie pour ceux qui n'arrivaient pas à suivre son cours.

— Vous avez bien trié les gens par ordre alphabétique pour la distribution quotidienne, n'est-ce pas ?

— C'est à dire qu'on a surtout fait dans l'ordre où c'est arrivé...

— Ce n'est pas très pratique, ni juste, répondit-elle d'un ton professoral. Nous avions convenu de l'ordre alphabétique pour le bien de tout le monde... Je peux le refaire à votre place si vous voulez.

Ils n'avaient convenu de rien du tout, mais Martha savait que sa parole était toujours prise pour bible si propagée correctement. C'était le pouvoir des boucles grises et de la veste en laine, elle savait qu'ils l'appelaient la grand-mère dans son dos et tant que les anciens ne faisaient que des suggestions on ne les prenait pas vraiment au sérieux. En tout cas, pas les personnes comme Jean. Elle conclut d'un ton triste :

— J'ai beaucoup de temps libre, vous savez, puisque je suis trop vieille pour vous aider...

— Oh non, vous êtes d'une grande aide, sembla s'excuser aussitôt le brun.

Il lui tendit aussitôt la liste des membres de la colonie et un stylo, dès qu'il parlait à la « vieille dame » il semblait être pris d'une douceur et d'une gentillesse qu'il n'accordait à personne d'autre. Si Martha devait parier, elle aurait dit qu'il avait des soucis avec les figures maternelles, une faiblesse qu'elle avait appris à exploiter pour le faire marcher dans son sens.

— Ça m'aiderait beaucoup si vous pouviez le faire c'est vrai, allez-y ! On en reparlera quand on aura toute la nourriture et les boissons rangées, hein ?

Julie observait, en silence et un peu moins sur la défensive. Elle comprenait petit à petit ce que Martha voulait lui montrer, ce qu'elle voulait dire par travailler dans l'ombre. Si ils voulaient croire qu'elles étaient faibles et sans pouvoir, autant en tirer parti même si quelque chose lui soufflait que ce n'était pas vraiment une solution ni ce qu'on appelait la justice.

Elles s'éloignèrent tranquillement, la liste en main et quelques ficelles à tirer pour l'avenir mais surtout un très bel exemple à montrer.

— Tu vois, lui dit Martha alors qu'elle se rasseyait sur leur banc de pierre, ce n'est pas parce que nous ne pouvons pas montrer du muscle et crier debout sur un piédestal que nous ne pouvons pas faire des choses aussi...

La petite fille reprit sa place à côté d'elle et se saisit de la liste qu'ils venaient de se procurer. Alors que sa voisine reprenait son travail, elle entreprit de déchiffrer les noms un à un tout en réfléchissant à ce qu'elle venait d'apprendre. Elle avait du grain à moudre.

Juste après la Fin du MondeDär berättelser lever. Upptäck nu