Chapitre 34

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Hayden avait toujours la même gueule d'ange qu'à l'époque, si ce n'était les valises de six pieds de longs sous les yeux il avait même l'air plutôt en forme, se permit de penser Elisabeth. Suivant la demande du militaire, ils s'étaient tous les deux rendus dehors, s'écartant à peine du passage pour discuter « tranquillement ».

À demi-mot, la jeune femme aurait avoué qu'elle ne voulait pas se retrouver seule avec lui car elle n'avait aucune idée de ce dont il était capable.

Le jeune homme tenait toujours son fusil d'assaut en bandoulière, une main qui se voulait nonchalante était posée dessus mais la jeune fille ne pouvait pas s'empêcher d'y voir une forme d'avertissement. Ou d'animosité. C'est son métier, se rassura-t-elle, il est venu là pour nous tirer d'affaire, mais il avait aussi des comptes à régler avec elle... Et avec Sarah. Il passa son autre main dans la masse de cheveux qui lui tombaient sur le front tout en soupirant, il n'avait pas encore l'air décidé sur la sauce à laquelle il allait la manger - ce qui au moins, lui donna l'impression de pouvoir obtenir un peu de répit.

Le militaire se permit lui aussi un rapide coup d'œil à l'étudiante, sa peau mate était tendue à l'extrême sur les os de son visage, ce qui était sans doute le résultat des journées passées sous terre avec peu de vivres et dans un climat de stress intense. Même si le policier avec qui elle venait de remonter semblait amène et qu'ils avaient raconté leur aventure sans le laisser paraître, il était certain qu'ils avaient vu passer des heures terribles là-dessous. Engoncée dans un masque de neutralité totale, il devinait de la tristesse derrière la fatigue affichée mais c'était tellement classique de sa part qu'il ne releva même pas.

— Comme on se retrouve, finit-elle par dire.

Le silence étouffant l'avait poussé à dire la première chose qui passait par la tête : elle n'aurait pas pensé que ça sonnerait aussi agressif et le regretta presque aussitôt, mais la fierté l'emporta et elle s'abstint de s'excuser. Hayden soupira une nouvelle fois, ouvertement blessé par la remarque :

— T'as pourtant fait de ton mieux pour disparaître.

La peine nichée derrière ses mots prit de court la jeune fille, elle se mordit la lèvre et fixa le sol. Être en présence d'Hayden réveillait en elle des sentiments qu'elle aurait préféré laisser bien au chaud au fond de son cœur - ou au froid selon les points de vue.

— Parce que tu m'as cherché ? demanda-t-elle.

— Bien sûr qu'on t'a cherché ! Sarah était dévastée et le reste du groupe se demandait quelle mouche avait bien pu te piquer. « Désolée », on a vu mieux comme note d'explication.

Il n'avait même pas l'air énervé contre elle, juste inquiet, et elle aurait peut-être préféré si elle devait être honnête avec elle-même. Parce qu'elle, elle était énervée.

— Je ne pouvais pas, voilà ! cracha-t-elle. Je ne pouvais plus la regarder en face après...

Elle laissa sa phrase en suspens, incertaine des mots à mettre sur les changements qui s'étaient opérés en Sarah après son réveil du coma. Les sourires creux, les mots épars et les longs regards dans le vide... Tout ce qui ne lui rappelait plus la jeune femme pleine de vie qu'elle avait rencontré à l'université et avec qui elle avait fait la fête sans se soucier du lendemain.

— Tu t'attendais à quoi de la part de quelqu'un qui a passé trois ans dans un camp ? Des câlins et des sourires ?

Cette fois, sa voix était pleine de dédain. Le dédain de celui qui était resté et avait aidé son amie alors qu'elle s'était enfuie sans demander son reste quand les choses avaient pris une tournure morbide. Les mots de Mathias lui revinrent à l'esprit : sous terre personne ne la connaissait et elle aurait pû être n'importe qui, mais finalement elle n'avait pas fait mieux en fuyant comme la peste tout contact humain.

— Si seulement on avait été plus attentifs, reprit-elle. Peut-être qu'elle n'en serait jamais arrivé à des extrémités pareilles.

— Aucun de nous n'est responsable de la décision qu'elle a pris ce jour-là.

Sa voix était bien plus douce désormais, conscient qu'il était de s'engager sur un terrain miné. Il suffisait de voir comment aucun des deux ne voulait prononcer les mots fatidiques, se contentant de faire des ronds de jambe autour comme si cela allait effacer ce qui s'était passé ce jour-là. Il continua :

— Ce sont les Eugénistes qui l'ont détruit, pas nous.

Ce n'était pas eux, oui, mais Elisabeth n'avait jamais pu retenir la certitude qu'ils auraient tous pu faire bien plus pour la sauver. Finalement c'était bien Hayden qui avait été la plus proche d'elle et pourtant il n'avait rien vu venir non plus. Un long silence s'étira entre eux deux, le militaire salua un collègue au loin, sa main reposant toujours sur son arme de service.

— Comment va-t-elle ? demanda soudainement Elisabeth d'une voix basse.

Elle ne lui avait pas reparlé depuis, n'avait certainement pas pris de ses nouvelles et avait évité toute information qui leur ressemblait de près ou de loin. Une fuite en bonne et due forme.

— Mieux. Elle est retournée chez ses parents quelques temps et a repris ses études.

— Et toi ?

— Je continue à courir après les fantômes mais au moins je peux aller dîner chez elle sans avoir peur de la retrouver dans un bain de sang.

Ce n'était pas lui qui l'avait retrouvé, mais il était comme marqué au fer rouge par ce passage tragique de leur vie.

— Ça serait bien, reprit-il hésitant, ça serait bien que tu lui écrives un petit mot après... Tout ça.

— J'y penserai, répondit-elle du tac au tac.

Mais elle avait bien envie de mettre ça au conditionnel. Elle pencha la tête sur le côté, se fouettant mentalement de retourner à ses mauvaises habitudes :

— J'y penserai.

Et cela sonnait plus comme une promesse cette fois-ci.

Quelqu'un s'éclaircit bruyamment la gorge derrière eux, les faisant aussitôt relever la tête : Mathias se tenait non loin, les mains dans la poche et l'air de celui qui vient d'entendre une conversation qui ne le regarde pas peint sur le visage. Blême, il dit :

— Apparemment, il y a réunion de crise et ils auraient besoin de nous.

Il se dandinait sur ses jambes avec tant de gène qu'Elisabeth décida de couper court à la conversation sur-le-champ.

— Allons-y, intima-t-elle.

Et sans attendre de réponse, elle tourna les talons pour rejoindre Mathias.

— Tu ne t'échapperas pas comme ça, la rattrapa Hayden, on termina cette conversation plus tard !

Mais cette fois, il souriait. Elle décida de prendre ça comme un signe qu'au moins, les incompréhensions étaient mises de côté mais honnêtement elle aurait aimé ne jamais finir cette fameuse conversation. Elisabeth écarta les bras, désignant les tentes de militaires autour d'eux, et par extension tous ses collègues armés jusqu'aux dents :

— Où veux-tu que j'aille ?

Les coins de ses lèvres se soulevèrent dans un sourire narquois, il s'adressa à Mathias cette fois-ci :

— Méfies-toi, je n'ai jamais vu personne fuir aussi bien qu'elle.

Et même si c'était dit sur le ton de la blague, ce dernier se doutait bien qu'il y avait bien plus qu'un fond de vrai derrière.

Juste après la Fin du MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant