Chapitre 6 : Le départ

Depuis le début
                                    

La maman du garçon en question était elle aussi médecin. A l'époque, elle a participé au même congrès que ma mère. Elles avaient fait connaissance lors d'un ''team work'' et j'ai fait la connaissance de son fils à l'hôtel où nous résidions. Il était timide mais doté d'une remarquable beauté. Les traits asiatiques qu'il avait rajoutaient à son charme quelque chose de spécial. Le jour où il m'avait apporté des fleurs j'étais très émue. Quand je devais rentrer en Syrie, j'avais une lourde peine au cœur et peinait à l'oublier. Oh la douce enfance !Ma maman qui était très perspicace avait tout deviner. Elle a donc contacté sa mère en vidéoconférence et j'eus la chance de discuter avec lui. Deux à trois fois par semaine, nous jouions ensemble à des jeux en ligne avec l'accord de nos mamans. J'avais attendu avec impatience le prochain congrès médical pour pouvoir le revoir à nouveau. Malheureusement, sa mère avait eu une chance en or : un poste promettant dans un grand hôpital aux Etats Unis. Depuis ce jour-là le contacte avait diminué jusqu'à s'estomper complètement.

La voix timide de Aicha m'avait arrachée à ma nostalgie :

― Wouah regarde c'est la tour « Iffiel ».

― Tour Eiffel, la corrigeai-je.

Les bâtiments s'étendaient le long de la route. Que c'était beau de retrouver la douce France. Cela faisait bien longtemps. Je me sentais un peu soulagée et en sécurité. Toutefois, mon cerveau avait du mal à assimiler tout ce que j'avais vécu ces derniers jours. L'absence de ma famille me pesait lourdement. J'avais peur que le goût de la France ne devienne amer et qu'il ne se transforme en cauchemar.

La voiture s'arrêta d'un coup. Nous étions devant une immense résidence. Avec des pas hésitants, nous rejoignions la porte d'entrée. Nous n'étions pas prêtes à revivre de nouvelles peines. Aicha m'avait confirmé que nous aurions une meilleure vie ici et que nous pourrions contacter ma famille. Elle avait même supplié l'homme qui nous a emmenés ici de faire d'essayer de retrouver ma sœur. Il avait promis de le faire et il paraissait sérieux. Une fois à l'intérieur, une femme portant une robe de chambre qui me parut bizarre nous accueillit.

― Voici votre nouveau logement, soyez gentilles et surtout obéissez à mes ordres, annonça-t-elle sur un ton ironique et froid à la fois.

Quelques heures plus tard

Tout allait bien jusqu'à ce que la nuit tombe. L'ambiance de la maison était tout à coup transformée. Il y avait plusieurs domestiques bien vêtus ce qui indiquait une fête. Sauf qu'il n'y avait pas de musique. Des assiettes de charcuteries posées dans une sorte de petit buffet, des bouteilles de vins disposées sur un bar derrière lequel se trouvait un homme de couleur. Dans tout ce vacarme silencieux la femme qui nous accueillies, était vêtue avec une autre robe de chambre, mais cette fois –ci laissant voir presque tout son corps. Elle semblait tout contrôler. Elle faisait des remarques par-ci et donnait des ordres par là. Elle semblait surtout ignorer totalement notre présence.

Des hommes ivres accompagnaient des femmes trop maquillées età moitié habillées passaient la soirée chez nous. Nous avions du mal à accepter ce qui se passait autour de nous. Les voix des ivrognes, les rires sophistiqués des femmes s'intensifiaient de plus en plus.

_Allez viens donc Dana, nous devons nous enfermer dans la chambre.

Je la suivis gentiment et nous passions le long des murs, le plus discrètement possible pour éviter de croiser la femme qui devait être une mère pour nous !

Une fois dans la chambre, nous ne trouvions plus les clefs de la porte, nous cherchions partout mais en vain. Quelqu'un les a prises. Nous éteignions la lumière pour ne pas attirer les regards des invités qui étaient loin d'être respectueux.

Jusque-là, notre plan fonctionnait bien. Personne ne s'approchait de notre chambre. Le bruit des pas diminuait peu à peu pour laisser place à celui de nos ventres affamés qui nous rappelait sans cesse une hypoglycémie prochaine.

_Aicha j'en peux plus !

_Il faut patienter. Peut-être qu'ils quitteront dans les prochaines heures.

_ Et s'ils ne quittaient pas du tout ? On attend jusqu' au matin ?

_ On ne peut sûrement pas attendre jusqu'au matin, affamées comme nous sommes ...

Nous passions encore une heure dans le silence absolu. Nous faisions semblant que tout allait bien mais en réalité rien n'allait plus.

Je lâchais prise et heureusement pour moi, mes pensées noires m'aidaient à oublier ma famine et mes douleurs. Les larmes me montaient jusqu'aux yeux mais refusaient de couler. C'était une guerre entre la fierté et l'émotion. Une guerre dont je semblais la principale victime. Ma fierté avait le dessus mais elle bloquait toutefois ma respiration. Mes émotions voulaient me soulager mais elles m'écroulaient comme un mur de briques et c'était l'espoir qui assemblait les pierres et les cailloux de mon pauvre cœur bombardé pour bâtir une nouvelle moi ! Une « moi » qui a survécu.

Quand la lumière noire éblouit l'avenir, l'instinct de la vie éveille l'espoir qui éclaire la vision, mettant la vie en vie.

_Viens Dana on doit chercher de quoi nourrir nos ventres.

Nous sortions, main dans la main vers le salon où se trouvait le buffet.

_Reste là. Je vais apporter deux assiettes.

_ C'est risqué Aicha. Fais attention à toi !

Elle se dirigeait doucement vers une table isolée au coin et revenait avec une assiette pleine à craquer où se trouvait toute sorte de charcuterie. Mes yeux vibraient de joie. La vue de ce plat m'a instantanément séduite ma vulnérable souffrance de gamine affamée.

Notre gourmandise nous poussait à chercher des yeux une autre assiette aussi gourmande que la première.

Bingo ! Sur la table du repas près des bouteilles se trouvait un autre plat richement garni. Aicha se lançait vite vers la proie prenait l'assiette et revenait en coup d'éclair vers moi. Dans sa maladroite précipitation, elle a pris le bout de la nappe qui se trouvait en dessous pour tirer tout le buffet par terre. Tout s'est passé trop vite par la suite. En une fraction de seconde le sol était inondé de bouts de verre de bouteilles cassées, d'assiettes, de fourchettes, et de litres d'alcool qui coulait à flot au sens propre du mot. Le visage d'Aicha était devenu tout pâle...

Ma drogue humaine ( réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant