Chapitre 2 : Sept

25 3 0
                                    


_ Sept, seee... sept, dis-je entre deux souffles. Sang et salive dégoulinaient sur mon menton, un trou immaculé sur le sol me mettait face à la réalité ! Je saignais abondamment.

 Cependant l'odeur m'arrivait à peine au nez, le sang mêlé au bout accentuait ma dyspnée. Je saignais depuis un moment !Je baissais la tête sollicitant une position confortable, les bombardements ne m'effrayaient pas. Oh mon Dieu ! Faites que ça ne soit pas une fracture du cou ou des vertèbres !Je ne survivrai pas, et de telles séquelles seraient irréversibles. Les guerres ont défiguré l'essence même de la mort.

 Ce n'est plus ce voyage entre terre et ciel. Durant les guerres la mort nous caresse de son souffle macabre, révélatrice d'une torture annoncée. Ce n'est plus l'absence du souffle qui fait la différence, un thorax qui s'élève et descend ne vaut plus rien ! La vie n'est définie que par un seul critère : la capacité de fuir les lieux. 

Les muscles encore capables de t'emmener loin du danger. La guerre pour moi est un état de transition qui porte le citoyen d'une civilisation à la savane ! Dans une digne société, un handicapé est aidé, nourri, entouré par des mains aidantes de partout : famille, santé publique , état.La savane c'est autre chose, quand un animal perd sa pate ou souffre d'une fracture il gémit là ou il est tombé, esseulé à attendre la mort !

 Aucune créature ne viendra en aide.Les acteurs de la guerre eux, font d'un homme civilisé, une bête terrifiée.Sur cette terre de Syrie bombardée jusqu'à son antre, soit tu cours en évitant de trébucher, soit tu meurs.Une guerre gloutonne qui commence par les vieux, les enfants et les malades, telle une soupe d'entrée sur la table des riches. Par la suite elle se prépare pour le plat principal : ceux qui ont toujours la capacité de se sauver !J'essayais de tourner ma tête à gauche ou à droite pour ne plus respirer l'odeur de la poussière qui montait le long de mes narines. J'évitais d'avaler ma salive pour ne pas vomir, si je vomissais la tête baissée, ma route sera faussée.Jusqu'à cet instant le nombre s'arrêtait à sept, encore trois et je serais libérée d'ici. Mon père m'avait conseillé à la cave d'attendre sagement. Surtout rester éveillée pour ne pas rater le nombre. Si je sortais avant le dixième je ne verrais plus mes parents.Un bruit arriva jusqu'à mes oreilles, quand je réalisa la présence d'une autre personne un choc me parcouru : Oh mon Dieu je l'avais oubliée.

 _Dana, dit la petite voix qui faisait mêler mon cœur.

 Elle ne méritait pas tout ça.

 _Dana tu m'entends ?

 _Oui, ne sors pas de ton trou !

 Ma petite sœur résidait depuis des heures dans ce trou. Une petite ouverture dans le tronc d'un arbre tout près de moi, elle s'en servait comme d'une cachette. Je m'enfouis sous les herbes éparpillées à même le sol.Nous étions ici depuis des heures.Une fuite programmée : ma sœur avec mon père qui pouvait la porter toutes vitesses devant, et moi avec ma mère.Un plan déjoué par des atrocités. Malgré l'agressivité des terroristes nous étions fidèles au plan fait par le colonel Saoud.

 Quand Joumana fut morte devant nos yeux, la conscience cédait la place à la folie. Le plan ne nous guidait plus et chacun, malgré son âge fût responsable de sa vie. Mes parents se sauvèrent empruntant des directions différentes, tout le monde se basculait, certains tombaient par terre sous les coups de fusils provenant de blindés. Dans toute cette foulé affolée ma sœur pleurait au sol bloquée sous un cadavre encore chaud. Je l'emmenais dans mes bras et courais vers les bois. 

_Ou est papa ? demanda t-elle

 _Je ne sais pas, mais on va se revoir dans les heures qui viennent.

 J'essayais de la calmer mais était ce vraiment ce que je sentais ? Vais-je revoir mes parents dans les prochaines heures ?

L'air chaud de la cave me manquait, Saoud, Mouhamed, Riadh, ma mère, ils me manquaient tous. L'unique bouteille d'eau qui faisait le tour d'une vingtaine de bouches me manquait. J'espérais les revoir.A priori tout le monde fût calmé, des heures s'écoulèrent sans sang. J'étais certaine que ceux qui ont survécu allaient terminer le reste du plan de sauvetage. Quand le dixième coup de RBG s'éclatera, les voitures devraient normalement regagner l'autre quartier et nous serions sauvés.Nous étions au septième coup. Malgré la fatigue, le son des cris et le chaos des écroulements j'arrivais à retenir le nombre et à faire la différence entre attaque et écroulement.Tombant au cours de l'escalade de la montagne, ma bouche toujours en sang, je restai quelques secondes ou minutes par terre sans conscience. Seule la voix de ma sœur m'éveilla.

 _Ils sont partis Dana. 

Cette nouvelle m'a égayée, oui nous avions toujours la chance de rester en vie, au moins pour les prochaines heures.Revenons à ma situation... toujours allongée sur la terre humide et froide : 

_Comment tu as appris tout ça ?

 _Central parc.

 _On dirait dans les Himalaya ! 

_Je t'ai suppliée plusieurs fois de m'accompagner. 

Tu refuses tout le temps.Elle avait six ans et demi, pourtant elle avait toutes les stratégies pour escalader une montagne aussi haute. Elle savait bien se maintenir, élever son petit corps, opter pour la bonne position et direction. 

J'avais le double de son âge mais je m'écroulais à chaque montée. C'était vrai, elle adorait les grands murs d'escalade à Central Parc. Ils organisaient même des compétitions pour enfants, qui arrive le premier au sommet, gagne. A chaque shopping, elle rentrait avec une médaille, j'étais heureuse pour elle.. D'une compétition à une condition. Auparavant on gagnait une médaille en arrivant plus vite, de nos jours on gagne quelques jours de vie dans le compte à rebours de l'âge ! 

 _ Dix. Criais-je sans me contrôler. 

Ils arrêteraient les bombardements et quitteraient les lieux incessamment sous peu. Le son de leurs camions arrivait à mes oreilles même sur cette pente.

 _ Prépare toi ! On va sortir d'ici...Que faisais je ici, que se passait t-il ? 

C'est une longue histoire qui a pris naissance par : La révolution syrienne ! 

Ma drogue humaine ( réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant