Chapitre 17 : La Cité

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- Accostez ici.

Etrangement, l'ordre de Tobias sembla soulager l'équipage du navire. En effet, alors qu'on s'approchait de la côte rocheuse, la tension à bord était montée d'un cran. Je pris une profonde inspiration et posais la main sur la crosse du révolver de ma mère, accroché à ma ceinture. Le bateau s'immobilisa alors dans une secousse et un bruit de roche crissant contre la coque.

- On ne peut pas aller plus loin, s'excusa le capitaine.

- Nous descendrons ici dans ce cas, répondit Tobias avec un hochement de la tête.

Une échelle fut installée et le Gardien descendit sur les rochers noirs avant de nous inviter à faire de même. J'allais l'imiter quand Carl tendit le bras pour me retenir. Il avait l'air soucieux, ce qui me fit froncer les sourcils.

- Une fois à terre ne te fie pas aux personnes que tu rencontreras, déclara-t'il. Les vampires de Pandore sont peut-être amicaux et acceptent de suivre les lois de la capitale, mais ici c'est différent. Ils sont sur leur territoire et n'obéissent qu'à la loi du plus fort. Ils vouent un culte au Comte et n'hésite pas à tuer en pensant lui faire plaisir...

- Les Gardiens sont souvent pris pour cible lorsque l'on entre sur ces terres, ajouta Bridgess dont le mépris et la colère s'entendaient dans la voix. Et puis tu es la fille de Régent...

Cette dernière précision m'arracha un soupir. Partout à Eden, on ne me verrait que comme ça et je serais pris pour cible plus d'une fois, je m'en doutais. Mais ça ne m'arrêtera pas. J'attachais mon sac à dos sur mes épaules et descendis l'échelle, comme pour me le prouver. Le sol était dur et présentait une surface pleine de dénivelés et de pointes que je pouvais sentir à travers mes chaussures. Une fois qu'on fut tous à terre, Tobias commença à gravir la côte. Je levais les yeux vers l'immense crête qui nous surplombait de toute sa hauteur, semblant sur le point de nous écraser. Devant nous, il n'y avait rien d'autre que de la roche qu'il nous fallait escalader...

Sans plus attendre, on commençait l'ascension difficile. Le soleil était haut plus haut et les pierres brûlantes faisaient fondre nos semelles, rejetant une forte odeur de caoutchouc. Je transpirais, mes vêtements collaient à ma peau et je m'humectais les lèvres toutes les deux secondes car je manquais affreusement de salive. Plus la mer s'éloignait dans notre dos, et moins il y avait de vent, renforçant la lourdeur de l'air. L'élite avançait devant moi, visiblement plus habitué à ce genre d'expédition que je ne l'étais, et j'avais du mal à les suivre. Je m'arrêtais un instant pour reprendre mon souffle et saisir une bouteille d'eau dans mon sac. J'avalais avec soulagement de grandes gorgées quand un bruit attira mon attention sur ma droite. Tranquillement posé sur un rocher au niveau de mon visage, un gros corbeau me toisait de biais. Je le fixais pendant quelques secondes avant de faire mine de le casser de la main, espérant naïvement qu'il s'en aille. Mais il poussa un croissement retentissant qui me perça les tympans et se mit à battre frénétiquement des ailes sans toutefois s'envoler. Je reculais d'un pas et mon pieds glissa sur un caillou lisse, sans doute le seul. Je me rattrapais de justesse à une autre pierre, celle-ci étant forcément acérée comme un couteau, en poussant un cri de douleur.

- Laïa, ça va ? s'inquiéta Bridgess en revenant sur ses pas.

- J'ai glissé à cause de se fichu corbeau ! m'écriais-je, agacée par ma maladresse.

- Quel corbeau ?

Perplexe, je remarquais que le volatil psychopathe avait en effet disparu. La Gardienne m'aida à me relever et, en lâchant la pierre aiguisée, je grimaçais de douleur. En ouvrant la main, je découvris une longue coupure sanglante le long de ma paume. Je rencontrais le regard inquiet de Bridgess et la rassurait d'un sourire crispé. Elle sortit alors un bandage de son sac et entoura ma main le plus délicatement possible. J'allais la remercier lorsque Tobias nous appela. Les trois garçons étaient arrivés au sommet de la pente et s'impatientaient. On se dépêchait de les rejoindre et je m'efforçais d'oublier la douleur qui me lançait dans la main. Une fois en haut, je découvris avec un mélange de fascination et d'appréhension la Cité des Morts. La crête et les murs de roches noires formaient une cuvette profonde dans laquelle se dressait une immense forteresse. Construit dans un style baroque, en pierres grises, le château possédait de nombreuses tours en forment de clochers, où étaient fixés des gargouilles et des statues représentant des scènes de meurtres qui créait un ensemble effrayant. Les fenêtres n'étaient pas nombreuses, ce qui n'était guère étonnant. Mais ce qui m'arracha un frisson, c'était la cour. Elle n'était décorée que d'une grande fontaine où un personnage lugubre sans visage, construit dans ce qui semblait être de l'onyx, trônait au centre. Bien entendu, ce n'était pas le pire. Le plus horrifiant, c'était les flots de sang qui coulait de sa bouche ouverte et serpentaient le long de ses bras écartés avant de tomber dans le bassin tels des cascades écarlates. Il y en avait tellement que je pouvais sentir l'odeur ferreuse de la hauteur où je me trouvais. D'ailleurs, cette odeur, elle était partout, elle flottait dans l'air et j'avais l'impression qu'elle me collait à la peau.

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