Chapitre 6 : Une demande spéciale

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J'atteignis la porte de l'Auberge en même temps que les cavaliers. J'avais reconnus de loin la forte carrure du Général, ainsi que les deux Gardiens qui l'encadraient. Mais la Gardienne qui suivait, je ne l'avais jamais vu. Leurs montures étaient magnifiques, trottant fièrement d'un pas royal. Mes amis me rejoignirent et, sur une rapide demande de ma part, Lewis fila prévenir ma grand mère​. Comprenant que ce n'était pas le moment de poser des questions, Tatiana le suivit.

Le Général descendit souplement de son cheval et marcha vers moi. Sa belle monture lui emboîta le pas sans y signal de sa part avant de se figer dans son dos quant il me détailla avec attention. Instinctivement, je me redressais, la tête haute.

- Mademoiselle MerryWeather.

- Monsieur le Général, répondis-je poliment.

Je bouillais intérieurement de connaître la raison de sa visite mais je me fis violence pour ne rien laisser paraître. Un sourire fendit le visage du grand homme et j'aurais mis ma main à couper, malgré que je ne l'ai vu qu'une fois, que c'était rare. Il déclara de sa voix rauque, où une autorité incontrôlée persistait :

- Ne vous imposez pas ces formalités. Appelez-moi François.

Je fus tellement surprise que ma bouche s'ouvrit sur une réponse qui ne sortit pas. Je le considérais comme l'un des membres les plus importants de notre société, c'était un peu mon modèle et pour moi il se nommait presque "Général". C'était une marque de respect, preuve de sa place hiérarchique. Et voilà qu'il me demandait de l'appeler François, un nom si simple et ordinaire, ce qui ne lui ressemblait si peu ! Je répondis alors, tâchant de ne pas agir comme une simple d'esprit :

- D'accord... Et bien, appelez moi Laïa.

- Je préfère vous appeler par votre vrai prénom, Yélaiah, si vous me le permettez. Pouvez-vous nous conduire à l'intérieur pour que l'on discute un moment ?

Encore une fois, il m'avait prise de court. Mais je me secouais, après tout, ce n'était pas n'importe qui que nous accueillions aujourd'hui ! Je hochais la tête et lançais :

- Il y a une écurie derrière l'Auberge. Je peux demander à quelqu'un d'y conduire vos chevaux, si vous le souhaitez...

- Pas la peine, répliqua le Général. Ils vont s'en charger.

Il tendit les rênes de son grand cheval bai à l'un des deux hommes et je surpris le regard de mépris que ce dernier me lança en s'éloignant. Sans plus attendre, j'ouvris la lourde porte en bois et conduisis "François" à l'intérieur. J'y retrouvais Lewis et Tati, adossés au bar du restaurant. Ma grand-mère jaillit de la cuisine, portant encore son vieux tablier troué, alors que les regards intéressés des clients se tournaient vers nous. La vieille femme souriait à pleines dents, ce qui m'étonna d'autant plus que le Général lui rendait son sourire. Elle s'écria avec surprise :

- François, qu'elle belle surprise ! Que nous vaut ta visite ?

- C'est toujours un plaisir de te voir, Délia.

Ahurie, je compris qu'ils se connaissaient. Je dévisageais ma grand-mère d'un drôle d'œil. Pourquoi ne pas m'en avoir parlé alors que je l'admirais depuis mon plus jeune âge ! Ils avaient à peu près le même âge mais c'était si rare que des Gardiens viennent jusqu'ici, encore moins leur Général ! Ce dernier me jeta un coup d'œil avant de demander à ma grand-mère :

- Je suis venue m'entretenir avec Yélaiah. Pouvons-nous avoir une table isolée des oreilles indiscrètes ?

- Bien entendu. Suivez-moi. Chérie ?

- J'arrive, répondis-je.

Je les suivis plus lentement, les sourcils froncés. Quelle était la vraie raison de sa présence ? Pourquoi souhaitait-il me parler, alors que je venais juste de le rencontrer ? Ma grand-mère nous guida vers un coin reculé du restaurant, réservé aux meilleurs clients. La table était placée dans un angle et entouré d'un rideau formé de fils où étaient enfilés des perles de nacre. Ces dernières, très précieuses, brouillaient l'ouïe surnaturelle de certaines créatures. C'était parfait pour des gens qui voulait parler en privé. On s'installait et, tendue comme un arc, je ne parvins pas à me détendre pour paraître détaché face à l'examen visuel que m'infligeait le Général. Sentant mon impatience augmenter, ma grand-mère l'encouragea à parler. Il se lança d'une voix lente, appuyant sur ses mots pour nous laisser le temps d'encaisser ses paroles :

- Je suis ici pour vous faire une proposition des plus importantes, Yélaiah. Mais vous devez savoir que le Régent n'est en rien au courant de ce que j'ai prévu de vous demander. Il le sera bientôt, évidemment, et cela risque de le rendre fou de rage. Je dois donc obtenir votre réponse avant ce soir pour pouvoir m'organiser en tenant compte de ce risque.

- Et si elle refuse ? s'enquit ma Grand-mère, anxieuse.

- Alors la mission tombe à l'eau.

Cette fatalité me poussa à prendre conscience que ce n'était pas une proposition à la légère. Je me mordis la lèvre inférieure, perdue dans mes réflexions. Mon père m'en voudrait si j'acceptais quoi que ce soit sans lui en parler préalablement. Mais je n'avais pas vraiment le choix ! Je devais accepter cette proposition quelle qu'elle soit, tout simplement parce qu'il s'agissait là d'accomplir l'un de mes plus grands rêves. Ici, je ne faisais rien d'important, je ne savais pas ce que j'allais faire de mon avenir. Mon père prévoyait pour moi un futur dans l'Initiation mais moi, je souhaitais juste apprendre avec les meilleurs. J'en avais l'occasion.

- Qu'est ce que c'est, cette proposition ?

Ma question ne surprit pas, bien au contraire. Ma Grand-mère soupira profondément, comme si elle attendait le moment où je me serais décidée. Le Général hocha la tête, satisfait, avant de déclarer avec gravité :

- Vous avez appris hier les avancées soudaines de l'enquête concernant l'enlèvement de votre sœur. Lorsque je vous ai croisé, je sortais d'un entretient avec mon père. J'allais abandonner les recherches, je dois vous l'avouer. Mais je vous ai vu et j'ai eu l'impression d'avoir un devoir envers vous, alors il m'est venu une idée que j'ai immédiatement transmise à Dorothée, la nouvelle responsable de l'affaire.

- Alors les investigations continuent ? insista ma Grand mère.

D'un simple mouvement de la tête, le Général me rassura et me conforta dans l'idée qu'il y avait encore une chance de retrouver la piste de ma soeur... Comme je ne répondis pas, François continua :

- La sorcière que nous recherchons s'appelle Azel. Elle s'est rendue auprès de tous les importants dirigeants de notre société, après avoir été vu ici la semaine du kidnapping. L'Ordre craint qu'elle en ai rallié certains à sa cause. Nous allons donc leur rendre visite pour obtenir de nouvelles pistes. Je veux que vous accompagnez mon élite, Yélaiah.

La surprise me cloua sur place. Ma grand mère me regarda avec intensité, elle me semblait résignée. Moi aussi je l'étais, même si mon coeur cognait dans ma poitrine. Je lâchais, la gorge sèche :

- J'en suis.

- Parfait, nous partirons ce soir.

Le Général se leva et je l'imitais par réflexe. Il m'accorda un signe quasi militaire avant de s'éloigner. Ma grand mère se releva à son tour et me serra dans ses bras. Je me laissais aller contre elle, le ventre serré. Elle me murmura :

- Je suis fière que tu y ailles, Laïa. Je sais que tu en as besoin, toute la famille en a besoin. Nous sommes restés dans l'ignorance si longtemps... Vas y et ne te retourne pas avant d'avoir obtenu les réponses que tu attends. Je gèrerais ton père ! Tout ira bien, mon ange. L'archange Mikael veille sur toi.

- Merci Grand mère !

Rassurée, je m'éloignais de son emprise pleine de tendresse. Je souris. Ma décision était prise. Je partais ce soir.

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