Chapitre 14 : Prendre la mer

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Je fus réveillée par un étrange sentiment. J'avais la gorge nouée et le coeur battant à se rompre. L'adrénaline courait dans mes veines et je me redressais, tremblante. La chambre était encore plongée dans l'obscurité et un silence pesant régnait, seulement rompu par ma respiration haletante. Je tournais la tête vers le lit de Bridgess, me concentrant pour percevoir la sienne. Elle dormait profondément et il ne semblait y avoir aucun danger, nous étions visiblement seules. Je me laissais retomber sur mon oreiller en tâchant de calmer mon corps affolé. J'avais sûrement dû faire un cauchemar. Malgré tout, une impression de manque me broyait la poitrine, comme lorsqu'on manque d'air, comme si l'on m'avait secoué dans mon sommeil alors qu'il n'y avait personne... Je soupirais. Je n'arriverais pas à me rendormir. Alors, je m'habillais en vitesse et attrapais mes chaussures ainsi que mon sac à dos avant de marcher sur la pointe des pieds vers la porte. Je l'ouvris délicatement en prenant garde à faire le moins de bruit possible. A l'extérieur de la chambre, les couloirs étaient plongés dans ce même silence. Je n'entendais que le bruit des employés de l'Auberge qui commençaient à s'activer.

- Qu'est ce que tu fous debout à cette heure !?

Je sursautais et me retournais vivement. Tobias se trouvait juste derrière moi, tout prêt, les sourcils froncés et un air méfiant sur le visage. Je déglutis, sa façon d'être toujours si fermé me déstabilisait. Je répondis :

- Je n'arrivais plus à dormir. Et toi ?

Il me dévisagea sans rien dire pendant quelques secondes avant de faire mine de tourner les talons. Je commençais à descendre l'escalier avant qu'il ne lance dans mon dos :

- Fais attention, Laïa. Être Gardienne, ça ne s'apprend pas en une journée.

Je tournais la tête vers lui, sans comprendre, mais il disparut dans sa chambre sans prendre la peine de s'expliquer davantage. Avec Carl au moins, je savais ce qu'il pensait de moi. Tobias était plus secret, plus froid, et ça me mettait mal à l'aise. Il dirigeait la mission mais j'ignorais si c'était parce que c'était le plus qualifié ou s'il avait été nommé à ce poste. Mais les autres semblaient l'écouter et le respecter, alors je n'avais pas mon mot à dire. Je dévalais les marches et sortis de l'Auberge sans prendre le temps de passer par la case repas. Je me rendis aux écuries et m'occupais d'Apache.

Quelques temps après, j'entendis les éclats de voix des autres qui arrivaient. Tobias fila vers le box de sa monture sans me jeter un regard alors que Sébastien s'approchait en souriant :

- Comment tu te sens ?

- Beaucoup mieux, merci.

- Parfait, tu es prête ?

Je hochais la tête et chacun se prépara en silence. Une drôle de tension pesait sur le groupe, sans que je ne sache mettre le doigt dessus. Tous semblaient tendus et personne ne parlait vraiment, se contentant d'échanger des commentaires. C'était étrange et déstabilisant. Je surpris même plusieurs fois Carl à me regarder de façon bizarre, un peu comme on regarderait une grenade sur le point de vous exploser au visage. Et lorsqu'on quitta l'Auberge, ça ne s'arrangea pas le moindre. Nous avancions les uns derrière les autres, descendant la route principale vers le port comme je l'avais fais la veille. Je frissonnais en me rappelant du démon et de la façon dont j'avais faillis mourir mais repoussais ça dans un coin de ma mémoire. Même les chevaux sentaient la nervosité des cavaliers et s'agitaient. Apache faillit m'embarquer dans une autre direction deux ou trois fois ! Arrivé au port, Bridgess se tourna vers moi et déclara :

- Nous prendrons le bateau d'ici. Il est plus simple de passer à travers le lagon pour rejoindre la Cité des Morts. On connaît quelqu'un ici, qui s'occupera d'envoyer nos chevaux là-bas. Ce sera plus long donc on va devoir y rester quelques jours, mais nous serons sans doute mieux accueillis en arrivant directement à la citadelle, plutôt qu'en traversant les terres des vampires.

En arrivant à Neptune, j'avais presque oublié que ce n'était qu'une étape pour rejoindre la demeure du Comte. Nous devions obtenir des réponses et c'était le meilleur moyen d'y parvenir, la Gardienne disait vrai. Même si laisser Apache ne me plaisait guère, je n'avais pas le choix. On s'arrêtait près d'une petite maison de pierre et je me perdis dans la contemplation du soleil qui se levait sur la mer, créant de magnifiques nuances d'orangés. Les bateaux s'éveillaient et des voiliers partaient vers l'horizon. Je demandais en descendant de cheval :

- Sur quelle embarcation partons-nous ?

Sébastien me désigna en souriant un énorme bateau à la coque blanche et aux voiles immaculés amarré sur le quais devant nous. Il était magnifique et impressionnant, tout en hauteur avec à sa proue une sirène qui écartait ses bras de chaque côté, semblant s'offrir aux vagues. Un petit homme rondouillet s'avança et Tobias lui tendit un sac de pierres d'argent. Sans plus attendre, le nouveau venu s'empara des brides de nos chevaux et je lui laissais difficilement celle d'Apache. C'était le cheval de Lewis et j'avais l'impression de laisser mon meilleur ami derrière moi, encore. Mais je me résignais et pris une grande respiration pour me donner du courage avant de suivre le reste de l'équipe sur le quais. L'équipage du navire étendit une échelle en corde et l'élite embarqua. Je restais en retrait, le cœur s'emballant peu à peu. Je n'avais jamais réellement pris la mer, me contentant de naviguer sur une petite barque avec Lewis sur la rivière de Pandore... Mais surtout, je n'étais jamais allé à la Cité des Morts. Le Comte était réputé pour être vicieux et fourbe.

- On a pas toute la journée, railla Carl en se penchant par dessus la balustrade.

Je le fusillais du regard et grimpais à bord. Sans plus attendre, l'équipage s'activa et l'échelle fut remonté. Plus moyen de revenir en arrière, nous étions lancés. Le bateau s'ébranla et je chancelais, emportée par le poids de mon sac à dos. Carl m'attrapa par le bras et m'entraîna vers un tas de cordage où il me déposa avant de tourner les talons. Tobias parlait avec ce qui me semblait être le capitaine alors que Bridgess et Sébastien se tenaient bien droit à la proue. Je déglutis péniblement, alors que le navire s'éloignait du port et la présence solide et réconfortante de la ville dominant la mer. J'aperçus alors un petit garçon qui me regardait d'un peu plus loin. Je lui souris, l'encourageant à s'avancer. Lentement, il vint s'assoir près de moi et me demanda d'une voix joyeuse :

- Tu as hâte de les voir toi aussi ?

- Qui ? m'étonnais-je.

Je me doutais qu'il ne parlait pas des vampires chez lesquels nous allions débarquer dans quelques heures. Personne n'aurait hâte de voir le Comte, vu les rumeurs qui circulaient à son propos... Le garçon, qui devait avoir à peu près dix ans, tourna son visage souriant vers moi et répondit :

- Bah les sirènes !

Mon coeur fit un bond dans ma poitrine, alors que mon cerveau analysait toutes les données qui s'offraient à moi. Nous allions traverser le Lagon, cette zone où l'eau était si pure et si claire qu'elle ressemblait à de l'eau douce. Cette zone si particulière qui semble peu profonde alors qu'elle cache des trésors et une ville cachée à des centaines de mètres de profondeur. Atlante. Le royaume des sirènes.

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