Chapitre 12 : l'Argent ne fait pas le bonheur ?

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Je restais sonnée, fixant Bridgess comme si elle allait me rassurer, me dire que toute cette situation n'était qu'une blague. Parce que, si ce n'était pas le cas, la situation était plus plus grave que je ne le pensais. J'étais là pour participer aux recherches d'Asaliah, pour découvrir ce qui était arrivé à ma petite sœur, pas pour régler le plus grand conflit que rencontrait Éden et le Monde depuis plusieurs générations ! Je déglutis difficilement, ma gorge me brûlait. La Gardienne demanda :

- Veux-tu rentrer chez toi ?

- Quoi !? m'écriais-je en bondissant presque de ma chaise. Non !

Il était hors de question que j'abandonne sans me battre ! Tout n'était pas perdu, il me restait encore des chances de sauver ma sœur. Je le devais, c'était ma faute, j'aurais dû réagir. Je secouais la tête, incapable d'exprimer avec des mots comment je me sentais. Azel avait kidnappé Asaliah pour des raisons inconnues et j'apprenais aujourd'hui qu'elle contrôlait une armée de démons en sommeil depuis des années... La peur me tordait l'estomac et pourtant, j'avais toujours cette impression d'être à ma place. Alors je déclarais, la voix plus dure que je n'espérais :

- Je ne fuirais pas. Je vous accompagne.

- C'est ce que j'espérais entendre, répondit la belle blonde en souriant. Tu as la journée devant toi, vas te balader si tu veux. Laisses-moi tes affaires.

J'opinais, priant pour réussir à me vider la tête, et lui tendis mon sac à dos qu'elle empoigna. La serveuse revint alors et je plongeais ma main dans ma poche pour en extraire quelques pièces. Elle papillonna des yeux avec surprise car j'avais attrapé sans y prendre garde une pièce d'argent pur. Ici, à Eden, l'argent pur était le plus précieux de tous les métaux, bien plus encore que l'or, car le fait qu'il était toxique aux démons rendait le pouvoir de la monnaie plus symbolique. Mais seuls les hauts-gradés pouvaient s'en procuré aisément. Bridgess en profita pour quitter la table, me laissant seule sous le regard admiratif de la serveuse qui détaillait la pièce avec attention. Je grimaçais, embarrassée, puis je me levais sans attendre que l'on me rende le reste. Une fois dehors, je respirais un bon coup l'air iodé en souriant. J'avais envie de me rendre au port. J'hésitais à prendre Apache mais, compte tenu de notre voyage, je décidais de m'y rendre à pieds.

Les rues étaient moins remplies car le soleil avait commencé à descendre dans le ciel et les étales de marchandises avaient été rangés. Je me mêlais aux personnes restantes pour descendre la grande rue principale, presque sans quitter l'océan des yeux. J'arrivais bien vite sur les quais que je longeais, me souvenant m'être arrêtée dans une petite crique non loin lors de ma dernière visite. Alors que je laissais derrière moi voiliers et barques, je quittais le sol dallé pour une terre rocheuse plus inégale. Mon sourire s'élargit alors que j'entreprenais de longer la côte par un chemin escarpé, éloigné du calme du port. La falaise se dressait au dessus de moins, menaçante face aux vagues qui s'écrasaient un peu plus bas. Je sautais de rocher en rocher, me sentant aussi légère qu'une plume, sans me soucier de rien, comme lorsque j'étais enfant. Bientôt, j'aperçus un renfoncement dans la roche, qui laissait entrer une mer claire. Les vagues venaient mourir sur un banc de sable blanc. J'ôtais mes chaussures et soupirais en sentant les grains chauds s'insinuer entre mes orteils. Je m'assis et offris mon visage au sol, un sourire épanouit sur les lèvres. Je restais là, longtemps, bercée par le roulement sonore de l'Atlantique s'écroulant à mes pieds. Peu à peu, la lumière baissa et le soleil se rapprocha de la limite floue de l'horizon. Je me sentais bien, apaisée...

Jusqu'à ce qu'un étrange son ne coupe la paix du moment, semblable au raclement de la craie sur un vieux tableau, ou encore des ongles sur la pierre... Je me redressais d'un bond et pivotais. Mon cœur manqua un battement et je hoquetais. Un homme se tenait dans l'ombre quelques pas plus loin, vouté sur lui-même. Instinctivement, je portais la main à ma taille à la recherche d'une arme, mais un frisson d'horreur me secoua. Mes couteaux et le révolver de ma mère étaient encore accrochés à ma nouvelle ceinture, que j'avais fourré dans mon sac à dos, lequel était resté avec Bridgess... J'étais désarmée, face à un homme que mon instinct me hurlait de fuir. Mais je n'aurais pas le temps et aucune chance...

- Merde, fut la seule chose que je parvins à marmonner.

Je me ressaisis, ce n'était pas le moment de céder à la panique. Je me raclais la gorge, préférant prier pour que l'homme ne soit pas agressif et me laisse le temps de m'enfuir par la côte. Je demandais, asseyant de masquer ma peur :

- Qu'est-ce que vous voulez ?

Une sorte de grognement me répondit, un mélange entre gargouillis et sifflements, et l'intrus fit un pas vers moi. Enfin, il chancela dans ma direction. Je serrais les poings pour contrôler au mieux le tremblement de mes doigts et répétais, la voix plus dure :

- Qu'est-ce que vous voulez !?

Je sursautais lorsqu'il se redressa brusquement, bien plus imposant que sa carrure tordue le laissait supposer. Mon cœur s'emballa en réalisant que la moitié de son corps était recouvert d'étranges écailles noires qui semblaient suinter. Près de la totalité de son torse en était recouvert, la masse semblant s'accroître de plus en plus, sous ce qui devait être un tee-shirt et qui n'était plus qu'un lambeau de tissu déchiré. Le pire, c'était ses yeux. D'un noir total, intense, ils semblaient me transpercés et me glaçaient d'effroi. Un pas de sa part, deux pas en arrière de la mienne. Je me retrouvais les pieds dans l'eau alors qu'un sourire satisfait dévoilait des dents pointues dans la bouche du monstre. Un haut le coeur me gagna et je me retins de gémir, me doutant de ce à quoi j'avais à faire. Un démon. Je glissais lentement ma main dans ma poche et en extirpais une poignée d'espoir. Alors que le démon se jetait sur moi, je lui jetais le reste de ma monnaie au visage, sachant que l'argent pur le brûlerait. Je me jetais sur le côté sans attendre, juste à temps pour éviter de me faire lacérer les côtes par ses longues griffes noires. J'entendis le grésillement de la peau qui réagit au contact des pièces avant d'entendre le hurlement de douleur et de fureur qui précéda mon acte de désespoir. Une affreuse odeur de chair brûlée envahit mon nez et je vis ma seule chance de gagner du temps s'envoler lorsque ses griffes s'enfoncèrent dans mon bras et me tirèrent en arrière. Un cri de douleur s'échappa et ma bouche se remplit d'eau lorsque je fus propulsée dans les vagues.

Je ne mourrais pas, me hurla mon cerveau en ébullition.

Je tentais de remonter à la surface, l'adrénaline pulsant dans mes veines. Mais un poids m'écrasa, enfonçant ma tête sous l'eau. Je me débattis furieusement, terrifiée à l'idée de me noyer, à l'idée d'être tuée avant de retrouver ma sœur, ici, toute seule... Je retins mon souffle mais ma bouche finit par s'ouvrir dans un cri étouffé par toute l'eau qui entra dans ma gorge, me brûlant les poumons. Je suffoquais, un étau me déchirait la poitrine, me donnant l'impression qu'elle allait exploser... Une peur panique me gagna mais je perdais des forces. Mes yeux me brûlaient et je sentais une pression douloureuse à l'endroit où les griffes du démon avaient pénétrées ma chair. Ma tête était sur le point d'éclater, envahit par une pression plus forte encore qui me poussait vers le bas. Et puis, soudain, le poids s'en alla et je remontais instinctivement à la surface.

Je pris une grosse bouffée d'air qui me déchira la gorge, vomissant les litres d'eau avalés. Ma respiration était sifflante et saccadé et mon cœur battait la chamade. Ma tête tourna mais je réussis à rejoindre le bord et à m'écrouler sur le sable, tremblante. Mes oreilles sifflaient horriblement et ma tête tournait. Je distinguais difficilement deux silhouettes luttant un peu plus loin. Puis l'une d'entre elle s'écroula et je vis de plus en plus loin, remarquant pourtant que l'autre approchait. Je me raidis, mais je fus saisie par une impression étrange, de calme et de paix, comme si j'étais enfin en sécurité... Puis je perdis conscience.

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