- J'étais dans un autre pays

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- Harry -


Les jours sont longs, la maison me manque.

En toute honnêteté, ces vacances ne sont pas désagréables, mais elles ne sont pas agréables non plus.

Cette villa ancestrale perdue dans la campagne n'a pas changée d'un poil avec les années. Forcément elle me semble plus petite, vu que la dernière fois qui je m'y suis rendu, j'avais dix ans.

Ma mère est heureuse je crois. Son sourire ne la quitte plus et elle rit souvent.

Depuis quand ne l'avais-je plus entendue rire ?

Se retrouver tous les deux après deux ans à ne seulement se croiser qu'en coup de vent, c'est bizarre. Nous avons quitté nos repères : cet appartement chargé de mauvaises ondes dans lequel on souffrait et se faisait souffrir. Ici c'est comme si nous recommencions tout de zéro. Comme si nous nous apprivoisions.

J'ai beau avoir fait un énorme effort en l'accompagnant ici, ça n'est pas pour autant que j'en ferai d'en faire d'autres. J'évite donc les visites touristiques et me tire des tablées trop longues dès que je le peux. La barrière de la langue me sert d'excuse la plupart du temps, parait-il que je la parlais mieux quand j'étais petit. Finalement vu que le seul réel contact que j'entretiens avec cette famille, c'est avec la cousine par alliance, et que ça ne nécessite pas franchement de paroles, alors ça n'est pas si dérangeant.

Quelques jours après Noël, je suis d'humeur pensive.

La famille s'active autour d'un énième repas gargantuesque, à croire qu'ils ne font que ça, cuisiner. Moi j'ai trouvé refuge dehors dans le vieux hamac, je profite de la température plus agréable et m'entraîne sur ma nouvelle guitare.

Elle n'est pas nouvelle en fait, c'est la vieille guitare de Louis sur laquelle il a appris à jouer et que je trouvais terriblement classe. Il l'a faite remettre à neuve et y a pyrograver mon nom. Je n'arrête pas d'y passer les doigts, sentir les rugosités et m'en dessiner mentalement les lettres.

C'est le plus beau cadeau qu'on m'ait jamais fait, mais ça je ne le lui dirai pas.

Mes mains retournent à quelques accords avant que mon regard ne se perde dans le vague.

Est-ce qu'ils pensent à moi eux aussi ? Est-ce que je leur manque ?

Ce n'est que le soir que j'ai de leurs nouvelles, lorsque Louis me téléphone. Je l'écoute silencieusement me raconter toute sa journée en fumant ma clope.

De ce qu'il me dit, ils sont heureux et s'amusent beaucoup. Ça m'emmerde affreusement. Au fond j'aurais préféré qu'ils s'ennuient et enchaînent les engueulades, ça aurait légitimé ma présence.

Qu'ils soient heureux sans moi me fait peur.

Pour le jour du nouvel an, j'accompagne ma mère visiter une église en ville. Elle est ravie et s'extasie sur toutes les dorures et les trucs ostentatoires.

Moi je déambule à sa suite, les mains dans les poches et la gueule fermée.

Je ne crois en rien dans la vie, c'est d'ailleurs notre principal sujet de discorde avec Louis le Catholique. Je n'arrête pas de lui déballer les théories de l'évolution et les avancées de la science. Lui me sort le couplet du « c'est le fait de croire en quelque chose qui compte, peu importe si c'est réel ».

Ben voyons, c'est surtout l'œuvre du lavage de cerveau de sa riche famille de chrétiens.

Fais chier.

Voilà que je pense encore lui. C'est épuisant. J'en frotte ma figure de désarroi.

La visite est finie. Au détour d'une vieille ruelle pavée, un bras vient alors timidement enserrer le mien. Ma mère me regarde et me sourit avec retenue, jaugeant ma réaction, comme à chaque fois qu'elle essaye de m'approcher.

No Rules ║ Feel FreeWhere stories live. Discover now