Chapitre 13: ...quand le passé nous rattrape.

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Je laissais mes doigts glisser sur la guitare, ils connaissaient le chemin. Mon esprit lui voguait sur le rythme de la mélodie, s'envolait sur les notes et me faisait voir des images floues douces-amères de passé, de futur possible, de présent insolite. Je n'étais plus vraiment moi-même. La voie de Lysandre se mêlait harmonieusement à la mélodie, je n'attachais aucune importance aux paroles, seul comptait ce timbre inimitable qui lié à ma guitare me plongeait dans une transe exutoire.

La voix s'éteignait, les dernières notes gémissaient, je quittais l'absolu pour revenir au quotidien oppressant. Comme toujours, j'espérais presque qu'après avoir joué, le monde avait changé, comme toujours la même déception teinté de mélancolie. Le sous sol était toujours aussi terne, les murmures de la ville que les vieux murs n'isolaient pas aussi dissonants.

Peu à peu, mon corps reprenait ses droits. La peau du bout des doigts qui picote, la sueur qui glisse le long du cou, la soif impérieuse qui assèche la gorge. J'attrapais la serviette pour éponger mon front d'une main tandis que l'autre saisissait avec gratitude la bouteille ouverte que me tendait Lysandre. La sangle de la guitare, encore chaude à cause des frottements, appuyait sur mon cou d'une façon désagréable. J'attrapais celle-ci pour la retirer après avoir bu une dernière gorgée rafraichissante.

-Quelque chose te tracasse ?

Je tournais le visage vers Lysandre qui restait impeccable malgré l'effort vocal qu'il venait de fournir, comme si son corps restait indifférent à la moiteur de la pièce.

-Qu'est-ce qui te fait penser ça ?

-Tu avais l'air encore plus « absent » que d'habitude, plus acharné sur ta musique.

Qu'est-ce que je pouvais bien répondre à ça. J'en avais des raisons de vouloir m'évader en ce moment.

-Et si c'était le cas ?

-Tu veux en parler ?

Je poussais un soupir avant de balancer la serviette qui me donnait chaud sur le fauteuil délabré, suivant le mouvement en m'affalant dans celui-ci, me tortillant pour éviter le ressort qui ressortait au niveau du dos.

-Parler n'y changerait rien. Il est quelle heure ?

Lysandre attrapa la chaine de sa montre à gousset et tira dessus afin de l'extraire de sa poche.

-Quatorze-heure-trente.

Il la glissa à sa place d'un mouvement élégant né de l'habitude en me regardant avec un sourcil relevé plein de perplexité et d'interrogation. Je n'avais pas pour habitude de me soucier du temps qui passe d'ordinaire.

-Je dois voir Lynn à quinze heures.

Balançais-je en guise d'explication, une amitié comme la notre méritait bien quelques efforts de ma part... Un sourire sarcastique effleura ses lèvres alors qu'il posait sur moi un regard pétillant de malice.

-Et tu ne veux pas être en retard... Elle te fascine à ce point cette fille ?

Je basculais la tête en arrière pour ne plus avoir à lui faire face puis fouillait dans la poche de mon jean pour en sortir mon briquet. J'attrapais la clope perchée sur mon oreille et l'allumais, exhalant lentement la fumée en espérant que mon silence dissuaderait Lysandre de continuer sur cette pente. Il était beaucoup trop tôt pour admettre que c'était vraisemblablement bien plus que de la fascination.

Je cherchais dans sa voie les accents de la jalousie. Indubitablement, Lynn s'insérait dans notre amitié, m'éloignait de lui. Voyait-il d'un mauvais œil ma relation avec elle ? Avait-il peur de me perdre au profit d'une femme quelle qu'elle soit ? Mais Lysandre restait aussi imperturbable et flegmatique qu'à l'accoutumée. Si lui était capable de lire en moi comme dans un livre ouvert, malgré tout les efforts que je pouvais faire, je n'arrivais pas à faire de même avec lui. S'il se taisait, s'il n'exprimait rien par la voie ou les paroles sur ses partitions, alors Lysandre restait un inconnu même pour moi. Et même si je n'aimais pas ça, c'est une chose que je n'avais pas encore réussi à changer.

Après avoir pesé le pour et le contre un instant, je décidais de me taire sur le sujet. Lynn était mienne d'une façon que je ne pouvais exprimer. Ni les mots, ni même la musique ne pourrait raconter précisément mes sentiments à son encontre. Je finissais ma cigarette dans le silence attentif de Lysandre puis me levais en glissant ma veste sous le bras. Il faisait trop chaud pour la mettre.

-Je dois y aller.

Dis-je avant de diriger mes pas vers les escaliers qui me ramèneraient à la surface.

-Castiel ?

Je me figeais, le pied posé sur la première marche, puis tournais un regard interrogatif vers Lysandre.

-Oui ?

-Soit prudent mon ami.

J'haussais les épaules et reprenait mon ascension. Le timbre était neutre, impossible de savoir si c'était une simple formule de politesse ou une mise en garde cachée vis-à-vis de cette relation. Je quittais sa maison en m'interrogeant encore sur ce mystérieux ami.

Je rejoignais la belle au lycée, près de l'internat, l'aidant ensuite à déplacer des cartons jusqu'à une chambre de bonne que je trouvais sordide mais qui semblait éveiller chez elle des envies étranges de « chez soi ». J'en apprenais plus sur elle, pas aussi inaccessible que je ne le pensais, livrant son passé que j'aurais moi-même caché par honte ou peur de la pitié. Comme si elle savait que quelque part, ma curiosité n'avait rien de malsain ou de morbide, que je voulais juste la connaitre un peu plus.

Une journée de plus parmi les autres, où je cherchais à lever le voile sur le mystère qu'elle représentait encore pour moi. Je n'arrivais pas à accélérer les choses avec elle. Je voulais la gouter par petites doses, m'imprégner d'elle comme on peut se noyer dans une mélodie. Savourer chaque instant passé avec elle. Parfois, j'avais l'impression de vivre avec elle les derniers instants, comme si nos minutes ensembles était comptés. Le sentiment devenait alors si pressant que seul ses lèvres sur les miennes ou sa peau sous mes doigts pouvait lever l'étau de mon cœur.

Vers la fin de la journée, plongé dans mes idées, je caressais ses cheveux en me disant qu'encore une fois le temps nous avait filé entre les doigts. Dehors, la nuit avait recouvert la ville de son linceul, étouffant les sons pour les changer en murmures indistincts. La soirée avait été des plus agréables, vautrés tout les deux sur le canapé à regarder des films vus et revus mais toujours aussi bon, en grignotant des saloperies qui remplissaient les estomacs à défaut de nourrir le corps. On avait profités autant que possible du contact rassurant de l'autre, de mon côté, j'essayais d'ignorer la tension qui habitait chacun de mes muscles dans cette proximité quasi-intime avec une fille que je désirais depuis le début de notre rencontre ou presque.

-Je te raccompagne si tu veux.

Proposais-je néanmoins, sourd au tiraillement de mes nerfs à fleur de peau.

-Je n'ai pas envie de rentrer chez moi.

Je me figeais d'un coup, incertain comme pour une première fois de l'attitude à avoir avec une fille. Avait-elle seulement idée de ce que ces mots suggéraient dans mon esprit ?

-Tu veux rester ici  cette nuit ?

Je ne désirais que ça depuis des semaines, toucher du doigt la possibilité d'aller plus loin avec elle, de sentir enfin sa peau contre la mienne. Pourvu qu'elle ne s'imagine pas simplement se blottir contre moi et se servir de moi comme d'un doudou ! Ma patience n'y survivrait pas, j'exploserais de l'intérieur.

Son regard si sombre se posa sur moi, je plongeais dans les abysses de celui-ci, tentant de lui transmettre par la pensée tout ce que la décence interdit de transmettre par les mots. Je savais intimement qu'elle m'avait compris, restait à attendre sa réponse.

-Oui, j'aimerais beaucoup.

Je relâchais le souffle que je n'avais pas conscience d'avoir retenu, déposais sur ses lèvres un baiser prudent avant d'éteindre les appareils et les lumières du rez-de-chaussée pour ensuite guider ma proie jusqu'à ma tanière.

The faeries tales.Where stories live. Discover now