Et plus dure sera la chute...

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Leila. 28 Mars 2015. Manoir Michel.

Je me réveille dans mon lit après ; ce qui me semble avoir été, une longue nuit très mouvementée, remplie de cauchemars. Quand je me tente de me redresser, je suis en nage, fébrile, et une douleur aiguë me transperce le bras. J'halète sous le choc. Mais surtout, je suis faible, très faible. J'ouvre les yeux difficilement et je ne sais plus où j'habite pendant un instant. Quand je comprends que je suis dans mon lit et dans ma chambre, j'ai vraiment la sensation que quelque chose ne va pas. Je tente à nouveau de bouger, mais je remarque alors une poche à perfusion et l'aiguille plantée dans mon bras.

Merde.

Une grande main chaude et protectrice se pose sur mon front. Un visage se penche sur moi. Un visage rongé par l'inquiétude, aminci aussi avec des pommettes saillantes que je ne lui avais jamais vues.

- Putain, Michel, tu m'as fait vraiment flipper.

- Erria ? je couine.

Je gémis presque aussitôt, tellement ma gorge me fait mal.

Mais qu'est-ce qui m'est arrivé, à moi encore ? Et que fait l'autre empaffé à mon chevet ? Est-ce que je suis en plein délire ? En plein déni ? Ou bien est-ce mon cerveau malade de désir qui imagine des trucs complètement tordus ?

Taux de compréhension de la situation : 0 %.

Taux d'hallucination : 300 %.

Adrien doit remarquer mon trouble car il répond à mes questions sans que je les lui pose. Il s'assoit juste à côté de moi sur le lit. Il a de grands cernes sous les yeux. Ses yeux gris sont plus clairs que d'habitude, comme si son inquiétude pour moi avait dilué leur couleur...

- Tu as été très malade Leila. Vraiment malade. Ça fait trois jours que tu es dans le cirage. Guillaume ne pouvait appeler personne au risque de te dénoncer. Il s'est résolu à me prévenir. J'ai fait venir un toubib qui me devait un service. La plaie de ton bras s'est infectée. Guillaume m'a dit qu'avant de te réfugier ici, tu avais traîné un moment dans la rue... Tu as dû choper une saloperie à ce moment-là.

Adrien soupire et finit par s'allonger sur le côté face à moi. Son grand corps musclé irradie de chaleur. Je le sens à travers la couette. Sa main me caresse les cheveux.

- Pourquoi tu résistes, Lei ? Pourquoi tu te bats sans cesse contre moi ? Pourquoi n'arrives-tu pas à comprendre que je suis avec toi et non pas contre toi ?

Je ferme les yeux, déroutée.

C'est quoi encore ce nouveau jeu ?

Je sens une larme qui perle au bord de mes cils. Je suis si fatiguée, si lasse, si seule. Il y a tellement de choses que je voudrais lui dire. Adrien n'arrive toujours pas à comprendre qui je suis et comment je le suis devenue. Je me suis toujours battue seule. Toujours. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai taillé ma route dans le monde à coup de poing. Par la rage et le travail. Seuls, Guillaume et Joe ont toujours été là pour moi, quoi que je fasse. Et aujourd'hui, je découvre que tout ce que j'ai bâti, c'était du vent. Parce que j'ai fait confiance aux mauvaises personnes. Et malheureusement, il en fait partie.

Adrien me dévisage de façon si sérieuse que j'en ai des frissons. Et je suis à peu près certaine que ce n'est pas la fièvre. Mon corps sait que c'est lui l'homme qui sait le faire vibrer. Dès qu'il est dans les parages, c'est toujours la même chanson, le même refrain. Mon désir pour lui explose dans chacune de mes cellules. Je peux bien être à l'article de la mort, que ça ne changerait rien. Mon corps serait capable de ressusciter pour une de ses caresses.

Est-ce que je suis pathétique, là ?

Complètement, j'en ai parfaitement conscience. Mais ce n'est pas pour autant que je peux encore me permettre de laisser mes hormones aux commandes. Malade ou pas, je dois faire tomber le connard qui a corrompu ma société. Si accessoirement, je sauve ma peau, tant mieux. Mais à vrai dire, je ne suis même plus certaine que ça en vaille la peine. Moi, qui me croyais la meilleure, la plus belle, la plus forte, à l'arrivée, je ne suis rien de plus que ce que j'ai toujours été : une fille de la rue. Une simple fille de la rue qui a eu de la chance à un moment donné...

Vous savez ce qu'on dit ?

Et plus dure sera la chute...

J'ai rêvé un court instant. J'ai même désiré plus qu'il n'est permis sur cette terre avoir tout ce qu'il est possible d'avoir : le pouvoir, la richesse, la reconnaissance et surtout l'amour.

À l'arrivée, j'ai tout perdu au moment où je touchais tout du bout des doigts.

Oui, et plus dure sera la chute...

Adrien ne comprendra jamais tout ça. Je ne suis pas celle qui lui faut, tout comme il n'est pas celui qu'il me faut.

Mais regardez-le, bon sang ! Sa vie n'est que secret, mensonge et raison d'État...

Je me tourne face à lui. Je laisse mon bras perfusé, contre mon torse. C'est une barrière bien dérisoire face à lui, mais c'est tout ce que j'ai.

- Va-t'en Adrien. Laisse-moi.

- Non.

- Je ne peux pas. Je ne peux plus. Tu mens comme tu respires. Tu triches, tu dissimules et tu baratines tout et tout le monde. J'ai tout perdu à cause de tes petits secrets. Je n'ai plus rien à te donner.

Ma voix crisse avant de s'affermir sur mes derniers mots. Adrien tressaille de me sentir aussi vulnérable, aussi fragile. Il ne m'a jamais vu comme ça. Même pas quand il était à l'hôpital.

Normal, vous me direz on était en guerre froide.

Là, je suis passée en guerre polaire.

- Je sais que tu n'as aucune raison de croire quoi que ce soit qui vienne de moi, pourtant, je te jure que je n'ai jamais voulu tout ça... Leila...

Mon nom dans sa bouche ressemble plus à une supplique qu'à autre chose. Adrien semble vraiment affecté parce qu'il se passe. Je suis désarçonnée.

Où est donc passé le terriblement arrogant et condescendant PDG Erria ?

Où est passé mon connard personnel ?

Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de lui ?

Je pose un doigt sur sa bouche.

- Il n'y a plus rien à dire Adrien. Toi et moi, ça a toujours été voué à l'échec. Ça ne pouvait pas fonctionner, c'est comme ça. Tu es un tricheur, je suis une chieuse.

- Lei...

- Chuuttt...

Je pose mes lèvres doucement sur les siennes. C'est juste pour le faire taire. Pour ne pas entendre encore des mensonges.

Ses yeux gris ont tourné à la pluie et moi je pense encore une fois :

Et plus dure sera la chute...


Back Fire - Edité et en vente-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant