Négociation

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Adrien.

  Mon cerveau se remet en branle tout doucement. C'est elle. Putain ! C'est elle ! Mes poumons sont à nouveau oxygénés, et, en même temps ils cherchent toujours leur air, comme si je venais de remonter d'une très, très longue apnée.

Entendre sa voix, c'est un immense soulagement en même temps qu'une torture diabolique.

- Bordel mais tu es où ? Est-ce que tu vas bien ? Lei je te jure que ...

Les mots sortent en rafale, mieux qu'un débit de Kalachnikov.

- Je suis sur un bateau : le "Prince Dolos".

Elle parle si doucement que j'aie peur de l'avoir perdue un instant. Mayorca me fait signe de la garder le plus longtemps possible en ligne. J'acquiesce. Pour rien au monde, je ne raccrocherai.

- Est-ce que... ?

Ma voix se bloque dans ma gorge.

- Je vais bien.

Elle tente de me rassurer, je le sens.

- Écoute, je n'ai pas beaucoup de temps, j'ai dû piquer un portable. Nous sommes en vue des côtes somaliennes. Il est complètement dingue. Il me file les j'tons. Il veut que je l'épouse et que je lui donne les parts de la société. Je n'ai encore rien dit sur le fait que ce n'est pas possible. Je crois que...

- Attends Lei, pas si vite. Je ne comprends pas. De qui tu parles ?

Un bruit sourd. Elle étouffe un cri. Je serre mon Black Berry à l'en faire exploser. La panique me submerge.

- Leila ?!!!

- Je... Oui... Adrien, je suis désolée. Je... Merde... (Des bruits de lutte) Non, Non... S'il vous plaît, non... NONNN...

- Vous n'auriez pas dû faire ça, Mlle Michel.

- Va te faire mettre sale con !!!

Le son d'une gifle, une respiration rauque. Mon cortex cérébral essaie d'enregistrer tout ce qu'il peut. Mais il est saturé par un ensemble d'émotions que je n'arrive plus à contenir. La colère, le désespoir, et la peur aussi.

J'entends toujours la respiration à l'autre bout du fil et Leila qui sanglote et qui supplie :

- Kostas, s'il...s'il vous plaît...

Mayorca est revenu dans la pièce, et il comprend rien qu'à voir ma tête, que quelque chose ne tourne pas rond. Je m'intime au calme. Il faut que je sache, que je glane le plus possible de données. Leila, de son côté, a fait en sorte de me donner un prénom. À moi d'obtenir le reste. Négocier c'est mon boulot. Prêcher le faux pour savoir le vrai aussi.

- Si vous voulez quelque chose de moi, c'est le moment de le dire... Kostas, je lâche.

- Adrien Erria ? je présume.

La voix est grave.

- Oui. À qui ai-je le déshonneur de parler ?

Je me mets à marcher de long en large. Yann me jette un regard réprobateur. Je lève un sourcil pour lui faire comprendre que je sais ce que je fais.

Rire sadique.

- Vous avez des couilles, je dois le reconnaître. Savez-vous seulement ce que je pourrais faire d'elle si le cœur m'en disait ?

- Savez-vous seulement ce que moi je pourrais vous faire s'il lui arrive quelque chose ?

- Bien, bien, bien... Voilà qui devient intéressant. Cela ne change cependant rien au fait que je vais devoir la punir pour avoir osé me contrarier. Cela... vous servira aussi de leçon.

J'éclate de rire à mon tour. C'est le moment de le ferrer.

- Touchez à un seul de ses cheveux et la négociation s'arrête là. Vous voulez l'épouser pour avoir Sapphire Corporated ? Grand bien vous fasse. Vous n'aurez rien. Elle ne vous a peut-être encore rien dit, mais ses parts sont haut-porteur. La société n'est pas transmissible. Mais bon, je vous laisse vous accommoder de son caractère. Vous verrez, Leila sait être charmante quand elle le veut...

J'ai débité mon speech d'une voix volontairement légère et détachée. À la suite de quoi j'ai raccroché.

Mayorca déglutit et serre les poings. Je sais qu'il veut m'en coller une.

- Est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous venez de faire ? me hurle-t-il dessus.

- Il rappellera. Je connais ce type d'homme. Ils sentent la peur. Il fallait que je prenne l'ascendant. Je devais lui prouver que c'est avec moi qu'il doit traiter. Pas elle.

- Mais vous êtes dingue ! Nous avons des procédures ! Des...

- Je me contrefous de vos procédures, Mayorca ! Jusqu'ici elles n'ont rien donné !

- Vous êtes aussi barjot qu'elle en fait !

Je tousse. Pas faux.

Mon téléphone sonne. J'ai un sourire condescendant. Je n'en mène pas large cependant. J'aurais eu l'air vraiment con, si je m'étais planté...

- Erria.

- Nous avons démarré du mauvais pied vous et moi.

- J'attends toujours de connaître votre nom.

- Kostas Anaximandros, pour vous servir.

- Sans façon merci.

- Hahaha... Vous êtes impayable, mais ne tentez pas trop le diable quand même.

- Je veux parler à Leila.

- Elle est occupée.

- Dans ce cas...

Je fais mine de raccrocher.

- Du calme Erria. Je vous laisse deux minutes.

Des bruits. Un cri. D'homme cette fois. Un coup. Des grognements.

- Elle m'a mordu la garce.

Je souris et je serre les poings en même temps. Il faut qu'elle n'en fasse qu'à sa tête.

- Erria, si tu leur donnes les parts, je te coupe les attributs.

Oh la douce voix de Leila... Si elle est capable de mordre, c'est qu'elle va à peu près bien.

- Moi aussi je vous aime Michel.

Silence entrecoupé de deux respirations synchrones.

Est-ce que je viens de dire ce que je viens de dire ?

Mayorca hausse un sourcil en m'observant l'air de dire " je le savais". Je reste droit dans mes bottes. Trop tard pour revenir en arrière de toute façon.

- Lei ?

- Oui, Adrien ?

- Ils t'ont touché ?

- Rien que je ne puisse supporter.

J'avale une méga boule de bowling.

- Ne les provoque pas s'il te plaît et laisse-moi faire.

- Je suis ton boss, Erria. Pas de négociation. Quoi qu'il arrive. Tu connais la règle.

Voix dure et décidée.

- Tu n'es pas spécialement en position de diriger. Si tu m'avais parlé, j'y aurais réfléchis, mais là tu ne me laisses pas vraiment le choix...

- Erria, si tu...

Nouveau bruit et des cris en arrière-plan. Leila m'insulte à qui mieux mieux...

- C'est une vraie tigresse, je devrais peut-être vous la renvoyer la langue en moins...

- Vous pouvez la bâillonner si ça vous chante, mais je veux la récupérer en un seul morceau.

- Soit, Erria. Je veux les parts. Les siennes et les vôtres, cela va de soi.

- Et qu'en ferez-vous ? Vous comme moi, savons bien que détenir la majorité du capital ce n'est pas tout ce qu'il faut pour diriger une société comme S.C. Votre réputation vous précède Anaximandros... Vous croyez vraiment devenir l'un des patrons du CAC40 sans que ça ne soulève de questions ?

Il ne répond pas. Il sait que j'ai raison. Kostas Anaximandros a une réputation. Les rumeurs qui courent à son sujet sont toutes plus horribles les unes que les autres. Sa façon de procéder en plus ne colle pas du tout avec ce que je sais de lui... Il essaie de nous enfumer et je n'aime pas ça. Je cherche à comprendre. Dans tous les cas, il devra nous éliminer. Nous sommes des témoins gênants. Alors pourquoi faire semblant de négocier quelque chose qu'il compte prendre par la force ? Autre chose aussi, pourquoi Leila me défend-t-elle de lui donner des parts qu'elle sait que je n'aie pas ?

Je rate un truc là. Mais quoi ?  

Back Fire - Edité et en vente-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant