Lui contre Moi

3.6K 337 7
                                    


Et oui, voilà comment on se retrouve à deux heures du matin dans son bureau à essayer de faire un bilan comptable, alors qu'en fait, on a qu'une envie : celle de tuer quelqu'un. Enfin, je devrais dire plutôt celle de faire un génocide. N'ayons pas peur des mots.

Je me lève et ôte mes chaussures. Je me retrouve à arpenter, pieds nus, les locaux de ma société jusqu'à la salle de pause. J'ai besoin d'un thé. Je mets à chauffer l'eau dans la bouilloire.

J'essaye de brider mes pensées, mais Adrien Erria fait désormais partie de chacune d'entre elles, où que j'aille et quoi que je fasse. Je regarde mon reflet dans la fenêtre. Avec ma chevelure rousse, mes yeux verts et mon teint de porcelaine, je sais que je ne le laisse pas indifférent. Loin de là. Mais si j'adore voir le désir qu'il a de moi et qu'il essaie vainement de cacher, je ne supporte pas la façon qu'il a de, systématiquement, me contrarier, me contrecarrer, me contre-attaquer.

Je dis oui, il dit non. Je pense blanc, il traduit noir. J'aime la mer, il préfère la montagne. Je suis sucrée, il est salé. Je suis fan des mangas et des années quatre-vingt, il me traite d'ado refoulée. Il adore les westerns quand je ne les supporte pas. Il va régulièrement à l'opéra, quand moi, l'idée de subir, trois heures de Mme Butterfly me donne des sueurs froides...

Comment voulez-vous, que dans ces conditions, nous arrivions à organiser ensemble une simple soirée ?

Il faut vraiment que je parle à Savage et que je la persuade de revenir sur cette décision aberrante. Je ne sais pas encore comment je vais m'y prendre, mais pour le bien de ma santé mentale, il faut que j'y arrive.

La bouilloire se met à siffler, me sortant ainsi de ma torpeur. Je verse l'eau brûlante dans ma tasse, quand j'entends une porte claquer.

Je me fige.

Mais qu'est-ce que... ?

Je m'avance dans le couloir sur la pointe des pieds, avec pour seule arme à la main, mon mug fumant. Je distingue une respiration. Mon souffle s'accélère. L'adrénaline déferle dans mes veines.

J'ai la frousse. Mais je me maîtrise. Hors de question de laisser piller ma société. Je ne sais pas qui est là, mais je jure qu'il ne va pas s'en sortir indemne. Quant aux hommes de la sécurité, je pense que je les virerai tous dès demain... Et ça me fera du bien...

Je continue d'avancer dans le noir du couloir. Je visualise une silhouette. C'est incontestablement un homme. Je l'entends qui jure à voix basse, en cherchant quelque chose dans ses poches. Je suis à moins de trois mètres de lui. Je m'apprête à lui jeter mon thé brûlant à la figure avant de lui décocher un coup de pied dans les parties, quand il allume la lumière. Je suis éblouie et mon mug se fracasse juste à côté de...

- Erria ! je glapis complètement déstabilisée.

- Mais ça va pas ! hurle-t-il à son tour. Vous êtes dingue ou quoi, Michel ? Vous avez juré de me tuer c'est ça ?

Je ferme les yeux pour me reprendre.

- Qu'est-ce que vous foutez ici à cette heure-ci ? je lui demande la voix menaçante.

- Je pourrais vous retourner la même question, je vous signale !

- Depuis quand je dois vous rendre compte de mon emploi du temps ?

- Je ne vous ai rien demandé, moi. C'est vous qui m'agressez ! Attaque au thé brûlant, Michel ? Vous vous améliorez... Enfin, il vous reste quand même à apprendre à viser...

Ton hautain, méprisant et condescendant. Je t'en foutrais moi du thé brûlant... Je soupire.

- Est-il possible d'arrêter pour ce soir les hostilités ? rétorqué-je. Je ne suis pas d'humeur à me battre avec vous. Ni à vous mettre une raclée. Vous allez encore pleurer comme un bébé et ça va m'agacer...

- Qui vous dit que je vais perdre de toute façon ? Après tout, je crois me souvenir que c'est vous qui avez fui la scène de crime tout à l'heure.

Envie de me jeter sur lui pour le faire taire en :

1- l'étranglant avec sa cravate griffée Yves Saint Laurent.

2- l'embrassant sans le laisser respirer, jusqu'à temps qu'il meure de suffocation là aussi...

Je sais, j'ai un problème avec la suffocation érotique... Note pour plus tard : évoquer cette nouvelle obsession avec mon psy.

Nous nous dévisageons sans respirer, sans parler. Ego contre ego. Erria contre Michel. Adrien contre Leila. Lui contre moi.

Il a enlevé sa cravate justement, et déboutonné les deux premiers boutons de sa chemise, dont il a remonté les manches sur ses avant-bras toniques. Sa peau ambrée me donne envie de reprendre mon souffle dans son cou. Ses yeux qui me déshabillent me disent plus qu'il ne le voudrait... Adrien passe la main dans ses cheveux. Instantanément, j'ai envie de les lui tirer violemment, jusqu'à le faire se plier à ma volonté. Jusqu'à ce qu'il se mette à genoux et rampe à mes pieds en me suppliant de lui pardonner...

Jamais je n'ai ressenti ça. Adrien est le seul qui attise mon désir, mon appétit, ma convoitise... Avec lui, je deviens cupide. Parfaitement, cupide.

Parce que j'ai déjà connu son corps contre le mien, j'ai tendance inconsciemment à le considérer comme étant mon bien personnel à moi. Rien qu'à moi. Or, je le hais. Je le déteste pour ce qu'il a fait. Il m'a trahie. Il a tenté de me prendre le travail de toute une vie. De toute une génération de Michel avant moi. C'est un Judas. De première catégorie.

Mais il n'y a rien à faire, mon corps vibre à l'approche du sien, quand ma raison, elle, voudrait le découper en morceau à la hache émoussée.

- À quoi vous pensez, là, Michel ? me demande-t-il de sa voix rauque et sexy.

Adrien s'avance vers moi, ses yeux gris orage plantés dans les miens. Tout son corps exsude la concupiscence et le sexe à l'état pur. Mon Dieu, ce que cet homme sait faire avec ses mains, sa bouche, son...

Je ferme les yeux une fois de plus et m'autocensure. Je m'interdis de penser à ça. Parce que je sais que, si je m'autorise, ne serait-ce que le début du commencement d'un quelconque sentiment à son égard (autre que le mépris bien sûr), c'en sera fini de moi. Foutu. Irrécupérable.

Adrien s'engouffrera dans la brèche. Et pas que dans la brèche d'ailleurs...

Je sens ses doigts sur ma joue. La pulpe de son pouce sur ma bouche. Instinctivement, je le mords. Ni trop fort, ni pas assez. Il rit doucement. C'est comme un ronronnement de chat sauvage contenu et puissant tout à la fois. Son corps est bien trop près du mien. Je sais que si j'ouvre les yeux, je serai juste en face de son torse. Il est tellement plus grand que moi... Je le sens qui penche son visage. Son souffle est dans mon oreille maintenant. Il me respire profondément, lentement, à plein poumon... Je vacille. Il me retient de sa large main au creux de mon dos.

- Tu comptes me faire payer encore longtemps ? me demande-t-il.

Je le regarde et passe ma langue sur mes lèvres. J'inspire doucement et me dresse sur la pointe des pieds, jusqu'à être, à peu près, à sa hauteur. Je dépose un léger baiser sur sa bouche. Un léger goût d'Armagnac et de café m'envahit.

- La vengeance est un plat qui se mange froid. J'en suis à peine à l'apéro...

Je le laisse planté là.



Back Fire - Edité et en vente-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant