Testament

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Leila.

  Silence juste entrecoupé par la respiration saccadé et colérique de Joe.

OK. C'est pas que j'avais oublié, c'est juste que : quand est-ce que j'aurais pu la prévenir au juste ? J'ai oublié. Avec tout ce qui s'est passé...

Je me lève de mon bureau.

- Joe, c'est...

- Quoi ? C'est quoi ? Je suis ta mandataire bordel ! Merde j'ai cru que je faisais une hallu ce matin... Tu lui as légué tes parts ?!!! Tu te rends compte de ce que ça signifie ?

Bon, je reconnais, vu d'ici, c'est une connerie de plus à ajouter à ma liste. Mais curieusement, je ne regrette rien.

- Tu as fini ? je lui demande.

Elle souffle comme un bœuf. J'espère vraiment qu'elle n'est pas en train d'accoucher dans son salon...

Savage reprend la voix plus douce.

- Tu veux bien m'expliquer ce qu'il t'est passé par la tête, s'il te plaît ?

- Tiens ? Tu me demandes maintenant ? Et poliment en plus ?

Sarcasme, je t'aime.

- Lei...

J'ai besoin de me défouler sur quelqu'un. J'ai tout subi ces derniers jours et j'ai encaissé comme la femme forte que je suis sensée être. Mais là j'en ai marre de devoir me justifier. Marre de devoir expliquer le pourquoi du comment de ce que j'ai fait...

Note à moi-même : je commence tout juste à comprendre ce que j'ai fait subir à Adrien et ça craint.

- Non, parce que ces derniers temps , la tendresse était juste un peu exclue de nos discussion, la compréhension également.

Et là, je vide mon sac. C'est violent.

- Pas un de vous ne s'est demandé ce que j'ai pu ressentir face à vos photos... Pas un de vous ne s'est mis à ma place juste une seconde ! Vous êtes tous tellement si certains que vous auriez parlé et appelé les flics ! Mais la vérité c'est que ça n'est pas aussi simple que ça d'avoir entre les mains la vie de ceux qu'on aime. C'est même ignoble tellement ça fait peur ! Alors j'ai fait la seule chose que je croyais viable ! Je t'ai écrit cette carte sur laquelle j'ai modifié mon testament et j'ai légué mes parts à Adrien pour être sûre que la société soit entre de bonnes mains s'il m'arrivait quelque chose ! Mais aussi pour te protéger toi et le bébé ! De cette façon il était le seul à avoir tous les pouvoirs. Le seul à décider ! J'ai cru avoir bien calculé les risques. Et je me suis plantée ! Voilà t'es contente Joe ! C'est ce que tu voulais m'entendre dire ! Je me suis plantée et j'ai perdu le seul homme que j'ai jamais aimé ! Alors tu vois tes leçons de morale, je m'en passe. Je m'auto-flagelle suffisamment comme ça merci sans qu'en plus on vienne m'engueuler constamment !

J'ai débité tout ça d'une traite et sans respirer. Pour un peu je rentrais au Guinessbook pour l'engueulade la plus longue faite en apnée...

- Lei, je... commence Savage.

Je la coupe.

- J'ai compris, crois-moi. Tout le monde me déteste pour ce qui est arrivé à Adrien. Tu veux que je te dise Joe ? Vous ne pouvez pas me haïr autant que moi je me hais. Jamais je n'ai voulu tout ça. Jamais. Alors maintenant si tu voulais savoir si je comptais revenir sur ce que j'ai écrit, ma réponse est non. Modifie mon testament en conséquence s'il te plaît.

- Mon Dieu Leila, je suis tellement désolée...

- De quoi au juste ?

- Tu as raison, c'est vrai. Pas un instant on ne s'est mis à ta place. J'ai pas été la meilleure des amies ces derniers temps, hein ? me dit-elle en reniflant.

- Je... Excuse-moi Joe, mais là je peux pas.

Je raccroche et m'effondre sur le sol de mon bureau. C'est plus fort que moi, mes vannes s'ouvrent. Je pleure sans discontinuer. Mes larmes coulent et font sortir de moi toute la culpabilité, tout le désespoir, toute ma vulnérabilité...

Oui parce qu'en cet instant je suis vulnérable. A terre. Je suis prise dans une tourmente qui ne semble plus vouloir s'arrêter.

Le procès contre Jamesson approche et je vais devoir l'affronter seule. Sans Adrien à mes côtés qui a pourtant beaucoup œuvré lui-aussi pour le faire tomber.

La presse se déchaîne également : celle d'information, comme celle des ragots.

Mayorca ne me lâche plus. C'est qu'en effet, l'autre salopard d'Anaximandros ne serait pas la tête pensante de tout ce merdier... Du coup, je n'ai rien dit à personne. Je ne voulais pas qu'ils s'inquiètent pour moi, alors qu'Adrien était à l'hôpital entre la vie et la mort...

Je suis seule. Si seule.

Même dans la rue, je n'ai pas connu ça. C'est tout dire. J'essaie d'imaginer quel grand proverbe latin César m'aurait sorti pour me remonter le moral. Certainement un truc du genre : " Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu". Très ironiquement je lui aurais sûrement répondu un truc du genre : " J'ai menti, je me suis enfuie et j'ai failli".

Soudain, les paroles d'une chanson qui a eu un certain succès à un moment me reviennent. Il s'agit d'un titre de Ludovic Delamoga qui résume bien ce que je ressens :

" Tu viens me dire qu'il est trop tard

Pour moi l'amour n'a pas de temps

Et si ça s'en va comme ça ... c'est trop dérisoire

Dis moi qu'on est plus importants

Chacun vit ses doutes c'est vrai

Mais devant toi je n'en ai plus

Je vais passer mes nuits à toujours te chercher

jamais sûr de t'avoir perdue

Mais mon arme c'est toi

Jusqu'aux larmes c'est toi

Ton visage et ta voix

Ne ressemblent à personne

Personne

Mes " je t'aime " c'est toi

Dans mes veines c'est toi

Quand je saigne crois moi

Je n'veux qu'une personne

Qu'une personne

Ou personne

Tu viens me dire que je suis fort

Pour me laisser seul maintenant

Reste le feu même si la flamme est déjà morte

Dis-moi qu'il combat tous les vents

Je nous ai gâchés je le sais

Y'a des erreurs qui font trop mal

Si tu veux partir, je ne peux rien effacer

J'ai beau savoir que c'est normal

Mais mon arme c'est toi

Jusqu'aux larmes c'est toi

Ton visage et ta voix

Ne ressemblent à personne

Personne

Mes " je t'aime " c'est toi

Dans mes veines c'est toi

Quand je saigne crois-moi

Je n'veux qu'une personne

Qu'une personne"

Oui, j'aurais aimé avoir la chance de pouvoir dire tout ça à Adrien. Au lieu de ça : " J'ai menti, je me suis enfuie et j'ai failli ". C'est bien résumé non ?

Et pour tout cadeau, j'ai laissé une carte à ma meilleure amie en lui disant que je modifiais mon testament au profit de celui que, il n'y pas si longtemps de ça, je qualifiais de connard de traître arrogant.

Super tir groupé. Ouais à la foire j'aurais fait un carton.

Ma porte s'ouvre à la volée et Vincent entre en panique. Joe a dû l'appeler quand j'ai raccroché.

- Mon Dieu Leila !

Il m'aide à me relever. J'essuie d'un geste mes larmes.

- Fous-moi la paix Vince.

- Hors de question, patron. T'as vu ta tête ?

Je déglutis. Je me sens seule c'est vrai. Mais plus que tout, j'ai besoin de l'être en fait. J'ai besoin de solitude. J'ai besoin de partir. De faire le point. J'ai besoin de mon appareil photo. Avec lui, c'est comme pour Savage et ses romans, j'arrive à mieux réfléchir.

- Je te laisse la boutique Vincent.

Je le bouscule, attrape mes clés et sors.

- Attends Lei ! Mais tu vas où ?

- Ailleurs et nulle part.  

Back Fire - Edité et en vente-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant