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— Toi, tu te méfies de ton avenir. Moi, je doute de mon passé, murmure-t-il en donnant un coup de pied dans un caillou.

— Comment ça ?

La mâchoire serrée, les poings fermés, il se mure dans un silence oppressant. Démunie face à sa souffrance évidente, je lui propose de se rendre chez moi afin d'être plus au calme, ce qu'il accepte.

Attrapant son bras à deux mains, je l'entraîne doucement jusqu'à mon appartement. À quoi dois-je m'attendre ? Ayden a l'air si tendu que je ne sais plus quoi penser. Il y a à peine une heure, j'étais heureuse de le retrouver. À présent, la peur m'étreint.

Une fois la porte fermée, il s'avance dans mon modeste deux-pièces, observant attentivement les lieux. Je me sens mise à nue même s'il n'y a rien ici qui puisse me compromettre d'une quelconque manière. En réalité, cet homme m'impressionne. Son calme habituel m'effraie en cet instant.

Peut-être ne veut-il plus parler ? Ne voulant pas le brusquer, je nous prépare deux cafés, comme j'en ai l'habitude. Je n'ai pas besoin de lui demander comment il le souhaite : noir et serré.

— Il y a quelques mois, commence-t-il subitement avant de se racler la gorge.

Pendant que j'apporte les deux tasses fumantes, il s'installe devant la table du salon. Chaque mot semble lui coûter énormément.

— Ne te force pas, le prévins-je avec bienveillance.

Au fond, j'ai très envie de savoir ce qui le torture. Même s'il m'a confié pas mal d'informations, il ne m'a jamais partagé de quelque chose d'important. Je retiens ma respiration, espérant au plus profond de moi pour qu'il s'exprime quand même.

— Mais, j'ai envie de t'en parler, proteste-t-il en fronçant les sourcils.

— Dans ce cas, prends ton temps.

Je souffle sur mon café tandis qu'il inspire un grand coup.

— Il y a quelques mois, reprend-il, j'ai appris que mes parents ne sont pas vraiment mes parents.

Il s'arrête là sauf que j'ai peur de ne pas avoir compris. Je choisis délicatement mes mots pour ne pas qu'il se bute.

— Que veux-tu dire ?

D'un coup, sa main prend la mienne et il me regarde droit dans les yeux. Surprise, je cligne des paupières pendant qu'il se lance :

— J'ai été adopté à la naissance. Tout ce que je pensais vrai : ma famille, mes souvenirs... Tout cela se révèle faux. Mon grand-père, celui qui m'a tout appris sur les bateaux et la mer, n'est pas mon vrai grand-père. Ils m'ont tout avoué. Ma sœur n'est même pas ma sœur. Après m'avoir adopté, ils ont réussi à avoir un enfant : Louise. Un miracle, souffle-t-il avec dédain. Je n'arrive pas à l'accepter. Alors, j'ai décidé de m'éloigner de tout ça en venant ici. J'avais besoin de prendre l'air.

Il semble si vulnérable en cet instant que je n'ai qu'une envie : le serrer dans mes bras. Sa respiration s'accélère et il niche son visage dans mon cou tandis que je dépose un baiser sur son front.

— Je n'arrive pas à l'accepter, répète-t-il en boucle, la voix cassée.

— Tu vas y parvenir Ayden, le rassuré-je.

Finalement, nos situations semblent similaires. J'ai perdu ma mère et je n'ai jamais connu mon père ; il n'a jamais côtoyé ses véritables parents. Je crois que je peux comprendre ce qu'il ressent. Un peu. Il doit se sentir seul, trahi, délaissé et incompris. Je suis passée par là et il m'arrive encore d'éprouver tout cela. Dans ces cas-là, j'ai autant besoin de solitude que d'avoir quelqu'un sur qui compter. Pour moi, cette personne a été Jacques. J'espère qu'Ayden sait qu'il peut se fier pour moi.

Avec ou sans sucre ?Where stories live. Discover now