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Il est l'heure de prendre une pause. J'attends ce moment depuis que cet Ayden a quitté les lieux. Marjorie prend la relève.

Nous nous sommes toujours côtoyées au travail, mais nous ne nous entendons pas réellement. Nous n'avons pas la même vision des choses ni la même manière de vivre. Trois ans nous séparent, faisant d'elle mon aînée ici. Elle est arrivée il y a un an, nous ne sommes pas parvenues à tisser de liens.

La saluant cordialement, je sors sous la pluie battante. Actuellement, je n'ai pas envie de rentrer. Rester dans cet appartement vide de toute chaleur humaine ne m'enchante pas. Cette soirée de repos n'aura aucun intérêt positif : ressasser des idées noires.

À la place, je déambule dans les rues, sans but précis. Je ne parviens pas à me projeter dans l'avenir. Je ne sais même pas de quoi sera composé mon lendemain.

Je m'abrite autant que possible en passant sous les balcons des maisons. Il pleut des cordes aujourd'hui, si bien qu'une sorte de rivière s'est formée au milieu de l'avenue, coulant jusqu'en bas. Mes doigts frôlent les murs humides. Il n'y a personne. En même temps, qui aurait l'idée farfelue de se balader dehors sous cette pluie torrentielle ? Inconsciemment, je me rapproche de plus en plus du port. Ma capuche sur ma tête, je m'y aventure. Quelques bateaux, de pêche comme de plaisance, sont accostés là.

Je remarque une embarcation que je n'avais encore jamais vue ici. Elle s'avère plutôt grande, mais elle est loin d'atteindre la taille d'une péniche. Des lumières l'éclairent. Manifestement, quelqu'un y a élu domicile. Doucement, je m'approche et regarde à l'intérieur. Malgré les gouttes qui s'abattent sur les vitres, j'ai la confirmation que ce bateau sert de logement à quelqu'un.

— Je peux savoir ce que vous fichez ici ?

Sursautant, je manque de glisser sur le sol détrempé. Ayden est appuyé au chambranle de la porte, à l'abri et ses bras sont croisés.

— Je me promène, réponds-je simplement, une culpabilité étrange m'accablant.

— Comment savez-vous que je vis là ? demande-t-il en croisant les bras.

Je n'aurais pas pu le deviner, simple fruit du hasard. Plutôt étrange comme habitat...

— Vous ne m'avez pas expliqué ce matin. Donc, je ne vous répondrai pas, rétorqué-je, adoptant la même posture que lui.

— Très bien, soupire-t-il. Je vous offre un café, à l'intérieur ?

— Non, ça ira, je vais rentrer chez moi.

— Ne soyez pas stupide. Vous êtes trempée jusqu'aux os et il ne va pas s'arrêter de pleuvoir de si tôt. Venez vous réchauffer ou vous allez attraper la mort, insiste-t-il, me désignant son logement.

— Non merci, affirmé-je en commençant à m'éloigner.

C'était sans compter le fait qu'il m'attrape par le bras et me force à entrer dans son bateau.

— Mais lâchez-moi ! me débats-je en le frappant involontairement.

Mes coups n'ont pas l'air de lui procurer un mal, quel qu'il soit. Nous descendons quelques marches pour entrer dans le séjour avant qu'il ne ferme la porte derrière nous et me laisse aller. Le bruit de l'extérieur s'atténue, laissant place au son sourd des gouttes chutant sur le toit.

— Vous n'avez qu'à attendre à côté de la porte ouverte que la pluie se calme, conclut-il clairement agacé.

Il m'abandonne pour aller s'asseoir sur le canapé. Encore sous le choc, j'analyse l'intérieur du bateau. L'ambiance s'avère plutôt rustique, mais plus qu'appréciable. Le bois prédomine : de couleur claire, il n'assombrit pas la pièce. Un salon trouve sa place juste à côté d'une kitchenette. Deux portes se situent au fond. Je pense pouvoir deviner qu'il s'agit de la chambre et de la salle de bain. Une petite table fait office de bureau. D'ailleurs, beaucoup de feuilles sont rangées dessus. Certains avec des plans y figurant dessus. Serait-il architecte ? Dans ce cas-là, que ferait-il ici ? Les fenêtres offrent une vue sur la tempête qui ne se calme pas et la mer d'un côté, le port de l'autre.

Avec ou sans sucre ?Where stories live. Discover now