Chapitre 38 : Léonce

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Le Roi Léonce de la Maison Honorwind se trouvait seul sous la tente tactique, observant une dernière fois les cartes étalées sur l’immense table. Le souverain savait que la bataille de cette nuit serait décisive. Officiellement leur objectif était de reprendre une place stratégique aux troupes ennemies, officieusement, le but était de tenir Sigrid et ses sbires occupés pour permettre à Séréna Kellerwick d’accomplir le Rite des Lueurs Sélénites.
Penché sur les différents parchemins enchantés, il considérait une dernière fois le plan de bataille. En général, il évitait de déplacer l’armée Centralienne sur des Lunes dont les Tisseurs de Rêves n’avaient pas été atteints pour la Corruption. Non seulement pour ne pas perturber le cours de leurs Songes, mais également pour éviter de fournir à Sigrid de nouvelles troupes sacrifiables. À chaque fois qu’un de ces Tisseurs de Rêves Corrompu en entraînait un autre dans sa malédiction, c’est tous les Rêveurs dont les Corps Céleste orbitaient autour de son astre qui étaient maudits avec lui. La Corruption se répandait comme une maladie contagieuse. Transformant les Terranéens en âme damnées serviles et entièrement dévouées à la Sorcière. Les Tisseurs de Rêves étaient peu nombreux, mais à chaque fois que l’un d’entre eux succombait à l’affliction, il entraînait des centaines de milliers, voire des millions d’autres Rêveurs avec lui. C’est ainsi que Sigrid se retrouvait avec des bataillons entiers de Terranéens peu efficaces au combat, mais prêts à se sacrifier sans sourciller pour la cause. C’était le nombre qui faisait ployer les troupes Centraliennes.
Le Roi et ses généraux préparaient cette offensive majeure depuis que la décision avait été prise par son épouse, la Reine Estrella, les hauts Mages et les Conseillers Royaux, de soumettre Séréna Kellerwick à l’épreuve du Rite de la Grotte des Enchanteurs. Cette jeune Terranéenne qui possédait le pouvoir de purger ses semblables de la Corruption. Cette nuit serait décisive dans la progression de sa maîtrise de cette magie inédite, Sigrid devait donc regarder ailleurs que vers Centralia. Léonce espérait que cette diversion et le pouvoir intrinsèque de la Grotte sacrée suffirait pour tenir la Sorcière éloignée de la jeune femme dont elle avait juré la perte.
Le plan de bataille avait été méticuleusement élaboré par les officiers du Roi, le Général Viktor de la Maison Thornblade et la Générale Eleanor Nocturna. Jadis, le territoire de Centralia faisait partie d'un monde beaucoup plus vaste, une planète qui, il y a plus de cinq mille ans, avait été fragmentée par un cataclysme. Grâce aux lois de la magie déjà en vigueur, les fragments dispersés avaient réussi à maintenir une atmosphère commune. Le Monde Central était entouré au nord, à l'est et au sud par d'autres fragments de mondes. Ses relations avec ces voisins avaient oscillé entre la paix et la guerre. Le peuple des Septentrionaux, au nord, avait toujours envié la magie des Centraliens, et leur histoire commune était jalonnée de conflits sanglants. L'alliance de Sigrid avec les dirigeants du Septentrion avait donné à la Sorcière un avantage tactique significatif : ses troupes de Corrompus, inexpérimentées, mais asservies à sa volonté, étaient renforcées par de fiers et redoutables guerriers septentrionaux. Entre les principaux fragments de mondes se trouvaient des territoires plus petits, appelés Comptoirs. Cette nuit-là, l'enjeu était précisément l'un de ces Comptoirs du Nord de Centralia, qui était aux mains de l'ennemi depuis plusieurs mois déjà.
Léonce savait que distraire Sigrid était essentiel, et reprendre ce Comptoir stratégique serait une victoire majeure, mais il savait aussi que de nombreux Centraliens allaient perdre la vie cette nuit et il était las de signer toutes ces missives de condoléances à chaque nouvelle bataille. Son peuple résistait vaillamment, mais il payait un tribut de plus en plus lourd lors de chaque affrontement. Résolu, le Roi quitta la tente tout en ceignant son heaume. Ses généraux l'attendaient. Les mages étaient prêts à proclisper les troupes dès que l'ordre serait donné. Le camp de guerre Centralien se trouvait sur la Lune d'un Tisseur qui avait succombé à la Corruption et déserté son astre depuis longtemps.
Léonce ajusta son heaume, son regard scrutant le campement baigné par la lumière blafarde de la lune corrompue. Les mages, prêts à transporter les troupes au cœur de la bataille, attendaient son signal. L'air vibrait d'une tension palpable, les sortilèges de protection étincelant faiblement autour du périmètre.
" — Nous frappons fort et vite, commanda Léonce, sa voix résonnant sous le métal du casque. Chaque instant gagné est précieux."
Les généraux acquiescèrent, leurs armures cliquetant à chaque mouvement. Viktor Thornblade, saisissant son épée large, fit un signe à ses archers et arbalétriers. Eleanor Nocturna, quant à elle, invoqua un dernier sortilège à ses lanciers, leurs armes s'illuminant d'une lueur bleutée.
Les mages levèrent les bras, les incantations sifflant dans l'air nocturne, et en un instant, les troupes des généraux furent proclipsées. Le Roi fit alors signe à son propre bataillon, monté sur des Astralyons caparaçonnés. Lui-même tout en montant Stratoval, son vieux compagnon ailé, déploya sa magie du vent pour enchanter les armes de ses guerriers, et faire souffler une brise qui leur serait favorable. Il brandit haut Brillacier, son épée qui scintilla sous la lumière des innombrables pleines Lunes. Le vent sifflant dans son casque alors que Startoval s’élançait dans l’air résonnait comme un antique chant guerrier.
Seules les troupes du Roi attaqueraient à découvert, laissant croire à leurs ennemis à une énième escarmouche dont les deux camps se harassaient mutuellement. Les hommes de Thornblade et Nocturna s'étaient proclipsés hors de vue du camp de base des Corrompus, et se proclipseraient à nouveau sur le champ de bataille une fois que l’affrontement entre les Astralyons et les Barghest ennemis serait enclenché.
Il ne leur fallut pas longtemps pour atteindre le Comptoir et fondre sur le camp ennemi. Les cris de guerre retentirent alors que les troupes du Roi, à dos d'Astralyons, s'élançaient à découvert. Au-dessus d'eux, les multiples Lunes inondaient le champ de bataille d'une lumière argentée, rendant les armures scintillantes et les armes brillamment éclairées. Léonce, en tête sur Stratoval, dirigeait l'assaut avec une détermination farouche, sa magie du vent fouettant autour de lui et créant une bourrasque qui désorientait les adversaires.
À peine les premiers échanges engagés, les Corrompus, guidés par leur soif de destruction, répondirent avec une violence brutale. Leurs sorts de cauchemars, tels des tentacules d'ombre, s'étiraient vers les Centraliens, cherchant à semer la peur et le désarroi. Cependant, les Astralyons, agiles et rapides, esquivaient habilement les attaques, leurs ailes puissantes créant des courants d'air qui dispersaient les illusions maléfiques.
Sur les flancs, invisibles jusqu'à ce moment crucial, les forces de Thornblade et Nocturna surgirent comme des spectres de la nuit. Le général Thornblade, à la tête d'un contingent d'archers et d'arbalétriers, lança une pluie mortelle de flèches enflammées qui s'abattit sur les rangs des Corrompus, créant un chaos indescriptible. À droite, Nocturna et ses lanciers, leurs lances illuminées de lueurs bleutées, chargèrent avec une précision chirurgicale, perforant les défenses adverses ébranlées.
Les guerriers septentrionaux, robustes et sauvages, ne tardèrent pas à contre-attaquer. Leur brutalité au combat se manifesta dans le fracas de leurs haches contre les boucliers. Avec des hurlements de rage, ils se jetaient sur les Centraliens, chaque coup échangé avec une force brute qui témoignait de leur férocité légendaire. L’odeur métallique du sang monta jusqu’aux narines du Roi.
Mais Léonce n'était pas sans ressources. Observant le champ de bataille avec une acuité tactique, il ajusta rapidement sa stratégie. D'un geste, il ordonna une série de contre-charges orchestrées par ses mages, qui, utilisant leurs arcanes élémentaires, firent jaillir des murs de feu et des tourbillons d'air pour repousser leurs ennemis. L’odeur âcre de la chair brûlée emplit l’air.
Alors que la bataille au sol faisait rage avec fureur, une nouvelle menace émergea dans le ciel nocturne. Des silhouettes sombres se détachèrent contre le disque pâle de la lune, des Barghests ailés, montures terrifiantes des forces ennemies. Sur leur dos, des Tisseurs de Rêves Corrompus, dont la puissance magique se manifestait par de sombres auras vacillantes, dirigeaient des assauts depuis les airs. Les Septentrionaux, connus pour leur brutalité, avaient également adopté cette stratégie aérienne, ajoutant une couche supplémentaire de complexité au conflit. En tête de ce bataillon de cauchemar, se trouvait Damien, l’ami de Séréna qui n’avait pas pu résister à la Corruption. Ainsi, c'était à la tête de ce Comptoir que Sigrid l’avait placé. Songea le Roi Léonce avec colère à la vue de ce jeune Tisseur de Rêve si prometteur, désormais esclave de la Sorcière.
Les Barghests, créatures massives aux yeux luisants de malice, plongeaient vers les lignes Centraliennes, leurs cris perçants se mêlant aux bruits de la bataille. Leurs ailes battaient avec une force telle qu'elles soulevaient des nuages de poussière à chaque descente, semant le chaos parmi les troupes royales. Léonce, conscient de cette nouvelle menace, leva les yeux, son visage durci par la détermination.
" — Protégez les flancs ! cria-t-il à ses archers.”
En réponse, un barrage de flèches et de carreaux d'arbalète fut aussitôt décoché vers le ciel, certains trouvant leur cible dans la fourrure épaisse des créatures ailées. Mais les Tisseurs de Rêves ennemis ripostèrent implacablement. Ils commencèrent à tisser des cauchemars complexes, lançant des illusions qu’ils superposaient à la vue des soldats Centraliens, tentant de les démoraliser et de les désorienter. Les effets étaient dévastateurs : des guerriers aguerris s'arrêtaient net, leurs visages tordus par la terreur, tandis que d'autres se retournaient contre leurs propres alliés, trompés par les visions horrifiques dont ils étaient victimes. Le sang se mit à couler à flot se répandant en traînées presque surnaturelles dans la lumière des Lunes. Viktor Thornblade, observant la détresse de ses hommes, décida d'une contre-mesure audacieuse.
" — Mages, à l'œuvre ! Commanda-t-il"
Son ordre fusa comme un éclair. En réponse, les mages centraliens levèrent leurs bâtons, canalisant leur propre magie pour créer un bouclier protecteur qui se mit à envelopper leurs troupes, filtrant les influences magiques ennemies et offrant un répit contre les assauts oniriques.
Cependant, alors que la bataille s'intensifiait, une silhouette sombre et imposante se détacha à l'horizon : Sigrid, accompagnée du Rêveur Noir, fit son entrée. Sa magie, sombre et puissante, commença à altérer le cours de la bataille. De nouvelles troupes fraîches, renforcées par des incantations obscures, se joignirent au combat, donnant un second souffle aux Corrompus. Les rangs de Thornblade commencèrent à flancher sous la pression renouvelée, et Léonce, voyant le danger, plongea au cœur de la mêlée. Stratoval, majestueux et terrible, battit des ailes, soulevant des tourbillons de vent qui déstabilisèrent les nouveaux venus.
La bataille était désormais un affrontement incertain, chaque camp luttant avec acharnement pour chaque pouce de terrain. Léonce, résolu et concentré, savait que l'issue de cette nuit déciderait non seulement du sort du Comptoir, mais pourrait bien influencer le destin de tout le Monde Central. Alors que le Roi chargeait en tête de ses guerriers, une ombre massive se détacha des rangs ennemis, se dirigeant droit vers lui avec une vitesse surprenante. C'était le Rêveur Noir, monté sur un Barghest noir comme la nuit, ses yeux noirs luisant d'une lueur cruelle.

Le Monde Central : La Tisseuse de Rêves Where stories live. Discover now