Chapitre 14

4 1 0
                                    

Enzo et la Princesse avaient poursuivi un certain temps leur conversation. Puis le Guetteur avait cessé de lui parler. La jeune femme supposa qu’il s’était peut-être endormit. Le bras d’Eloïse l’élançait douloureusement depuis que Sigrid l’avait touchée. Elle sentait chaque glyphe démoniaque gravé sur sa peau la brûler. L’affliction s’étendait désormais bien au-delà de son bras gauche, descendant jusqu’à ses côtes. Ses geôliers lui avaient arraché sa cuirasse avant de la jeter dans sa cellule. Lorsqu'elle regarda sous sa tunique l’étendue des dégâts dans la pénombre de son cachot, elle étouffa une exclamation : Les symboles diaboliques couraient à présent sur son sein gauche et remontaient le long de sa gorge. Ils avaient progressés plus vite en une seule nuit que depuis ces dix derniers mois. En découvrant la progression de la Malédiction, c'est toute la zone atteinte qui devint douloureuse. La Princesse sentit la panique monter en elle. Elle devait par tous les moyens trouver l’opportunité de fuir cette cellule, cette Lune et ces Rêveurs Corrompus qui allaient précipiter sa chute. Sa respiration se précipita et son cœur se mit à cogner dans sa poitrine. La douleur s’intensifia au point de devenir insupportable et elle dû se contenir pour ne pas hurler. Des larmes brûlantes coulaient sur son visage, et elle eut l’horrible sensation de voir les murs se refermer sur elle. L’air commença à lui manquer et elle crut bien qu’elle allait défaillir. Mais son corps semblait lui refuser le réconfort que l'inconscience aurait pu lui procurer. Elle n’entendait plus que son souffle précipité et le rugissement de son sang dans ses oreilles.

Il fallût à Eloïse toute la force de sa volonté pour reprendre le contrôle sur elle-même. D'abord, elle se força à ralentir sa respiration, de prendre le temps de remplir complètement ses poumons en inspirant par le nez avant d’expirer pour les vider entièrement en soufflant par la bouche. Lentement son cœur retrouva un rythme moins désordonné et ses battements frénétiques ralentirent. Le rugissement dans sa tête diminua peu à peu. Ensuite elle s’imposa de cesser de pleurer, ses yeux s’asséchèrent et cessèrent de la brûler et quand elle les rouvrit, les murs couverts de moisissures avaient repris leur place. La douleur reflua avec une lenteur insupportable pour se muer en un élancement sourd. Ce difficile combat contre ses émotions laissa Eloïse pantelante et épuisée. Elle avait besoin de repos. De reprendre des forces pour éclaircir son esprit embué, afin d'échafauder un plan pour les sortir de là, Enzo et elle.

La Princesse essaya de se caler dans une position confortable en dépit des chaînes qui l’entravaient et de la douleur lancinante qui la parcourait. Elle choisit un coin de sa prison, le plus éloigné possible de l’immense porte de bois ferrée. Elle tremblait de tous ses membres. De froid où de terreur, elle n’aurait su le dire. Mais terrassée par l’épuisement elle sombra dans un sommeil agité et sans rêves.

Elle ignorait combien de temps elle avait dormi lorsqu’elle fût brutalement réveillée par le cliquetis de la serrure. Eloïse sursauta et réprima la grimace de douleur provoquée par son sursaut. Deux soldats Corrompus l’attrapèrent sans ménagement pour la mener hors de la grotte.Le soleil était levé, elle avait donc dû sommeiller pendant plusieurs heures. Les gardes l’attachérent solidement entre deux poteaux en bois, entravant presque totalement sa liberté de mouvement, Enzo se trouvait non loin d’elle dans une position semblable à la sienne. Le Rêveur Noir la contemplait les bras croisés sur la poitrine. A son côté se trouvait un jeune Tisseur de Rêve à l’aura ténébreuse. Il était plutôt grand avec de longs cheveux noirs attachés en catogan, sa peau était légérement halée mais son visage était dénué d’expression et ses yeux étaient entiérement noir, signe manifeste de la Corruption qui s’était emparée de lui. Eloïse devina sans peine qu’il s’agissait de Damien.

Le Rêveur Noir s’avança vers elle, lentement. La Princesse tira sur ses liens, mais ils étaient bien trop solides. Elle ne réussit qu’à s’écorcher les poignets. L’Homme Sombre sortit un poignard et d’un geste précis déchira la tunique de la jeune femme, dévoilant sous l’étoffe les glyphes démoniaque révélatrice de sa Malediction. Sa poitrine n’était désormais plus cachée que par ses sous-vêtements, mais Eloïse refusa de baisser les yeux devant tous ces hommes qui l’observaient et qui semblaient achever de la déshabiller de leurs regards lourds de sens. Mais elle affichait plus d’assurance qu’elle n’en possédait réellement. Le Rêveur Noir saisit le bras gauche de la Princesse. Les symboles ne se mirent pas à luire, comme cela avait été le cas lorsque Sigrid l’avait touché, mais la douleur n’en fût pas moindre et Eloïse ne put retenir un cri de douleur.

“-Arrêtez ! hurla Enzo. Laissez là ! Damien, tu es plus fort que ça ! Ne le laisse pas t'entraîner plus avant dans les ténèbres !
-Silence ! dit le Rêveur Noir. Sa voix était grave et tranchante comme une lame.”

L’un des deux Corrompus qui se tenaient près du Guetteur lui administra un violent coup de point dans le ventre qui lui coupa le souffle. Enzo se cabra sous la douleur, le souffle coupé, il n’eut pas la force d’ajouter un mot.

“-Comme vous le voyez Princesse, continua le Rêveur Noir de sa voix grave et terrifiante, ma Reine bien aimée avait raison. Votre présence ici aggrave inexorablement le mal qui vous ronge. Toute résistance est désormais futile. Bientôt, tout comme moi, vous servirez fidèlement la grande Sigrid.”

Cette fois-ci Eloïse était bien trop affaiblie et en proie à la douleur pour se risquer à répondre. Elle infusa ce qu’il lui restait de force dans un regard plein de défi. Son tortionnaire ne sembla pas s’en émouvoir. Il était difficile de percevoir des émotions sur son visage en grande partie dissimulé sous sa capuche.

“Damien, appela-t-il, cette jeune femme ici présente appartient au peuple Centralien. C’est ce peuple qui a retenu tes rêves dans un carcan d’ignorance pendant si longtemps. A présent, occupe-toi d’elle. Ordonna-t-il d’un ton sans réplique.
-A vos ordre, répondit laconiquement le Rêveur.”

Dans son désir de comprendre tous les aspects de la Magie, la Princesse avait accompagné des Guetteurs dans leur travail de veille sur les Lunes des Tisseurs de Rêves. Elle avait vu et ressentit la beauté du Pouvoir des Rêves. Mais quand la puissance de Damien s’insinua en elle, c’est l’étendue de sa dénaturation qui frappa Eloïse tout ce qui était beau dans le pouvoir des Terranéens était perverti en Damien, qui à l’image de son regard noyé dans les ténèbres, ne semblait plus être qu’un puit de peur et de souffrance. Au contact de la Magie Corrompue du jeune homme, les Glyphes s’animèrent sur le corps de la jeune femme qui se sentit irrémèdiablement attirée dans un abime semblable à celui de son bourreau…. Elle hurla plongée dans un univers de souffrance indicible qui se prolongea encore et encore. Suffisamment longtemps pour qu’Eloïse appelle la mort de ses vœux.
La douleur reflua et ses jambes cessèrent de la soutenir. Seules les chaînes attachées à ses poignets la retenaient en tirant douloureusement sur ses bras. Le Rêveur Noir se tenait juste dérrière elle. Il se pencha pour susurrer à son oreille, le son de sa voix fît frémir la jeune femme.

“-Abandonne Princesse. Tu n’es pas de taille contre ma Maîtresse. Accepte de la servir fidèlement et je te promets que tes tourments cesseront. chuchota-t-il.
-Jamais…de mon plein gré… Haleta-t-elle.
-Si nous devons le faire contre ta volonté, ça sera plus douloureux. Mais si c’est ce que tu veux… murmura-t-il. Continue Damien, commanda-il impitoyablement.”

Le jeune Rêveur obéit et la douleur revînt à nouveau dans le corps et l’esprit d’Eloïse. Des pensées et des visions accablantes l’assaillirent. Sa voix était rauque à force de hurler et le visage de l’homme qu’elle aimait, cette image mentale qui l’avait aidée à résister jour après jour jusqu’à maintenant s’éloignait invariablement. Lui aussi allait l’abandonner. Après tout, c’était elle qui l’avait repoussé, elle ne récoltait que ce qu’elle avait semé. Personne ne viendrait la sauver. Ni son frère qu’elle avait trop méprisé, ni son père qui était bien trop loin, ni sa mère qui avait toujours fait passer les affaires du Royaume avant tout le reste. Avait-elle seulement compté pour quelqu’un un jour ?  

La souffrance reflua de nouveau. La Princesse entrouvrit les yeux pour découvrir que les glyphes avaient encore progressé sur son corps. Elle réalisa qu’elle ne ressentait plus rien. Comme si la douleur lui avait ôté la capacité de ressentir la moindre émotion. A quoi bon se battre? Elle avait beau essayer, elle ne parvenait plus à se remémorer les traits de son amour perdu. Elle se sentait vide, et pour la première fois, elle envisagea de se laisser glisser dans l’abîme de la Corruption. Pour que ses souffrances cessent. Pour qu’enfin tout cesse….

Le Monde Central : La Tisseuse de Rêves Where stories live. Discover now