Chapitre 6

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Le vent fouettait le visage de Séréna, une force surnaturelle l’entrainait dans un tourbillon d’images et de sensations diffuses. Le seul élément tangible était la main de Lénaïc qui tenait toujours la sienne. Prise de nausées, la jeune femme ferma les yeux. Tout s’arrêta aussi brutalement que cela avait commencé. La Rêveuse entrevis de la lumière au travers de ses yeux clos. Elle se décida à les ouvrir et Séréna en resta bouche bée. Son Guetteur la relâcha et elle fit lentement un tour sur elle-même en contempla l’immense plage dont le décor avant remplacé celui de son petit appartement.
Le sable blanc était chaud sous ses pieds, une brise légére lui apportait l’odeur des embruns. Au loin, une forêt de cocotiers apportait une once de fraîcheur. Les arbres étaient délicatement agités par le vent. Et la mer… L’immense étendue d’eau salée présentait trois nuances de bleu turquoise, des poissons multicolores se reflétaient dans les rayons du soleil. Séréna se pencha pour ramasser un coquillage brillant à ses pieds. Sa texture douce était parfaitement réelle entre ses mains. La lumière, les couleurs, le vent au goût de sel…

“-Je suis déjà venu ici. Déclara la Rêveuse les larmes aux yeux.
-Bien sûr, répondit Lénaïc. Cet endroit, c’est ton tout premier Rêve. Celui qui t’as permis de transformer ton petit Corps Céleste en une Lune digne des plus grands Tisseurs de Rêves.”

Séréna se perdit dans la contemplation de l’horizon. Pendant un bref instant, la peur ne qui ne l’avait plus quitté depuis l’attaque de l’Homme en Noir libéra son étreinte glacée. Pour la première fois de sa vie, la jeune femme avait l’impression de se sentir à sa place. Les souvenirs qu’elle avait de cet endroit étaient comme éthérés. Mais à présent qu’elle s’y trouvait non plus en esprit, mais en personne c’était comme rentrer chez soi après un long voyage. La Rêveuse renversa la tête en arrière et respira l’air marin à pleins poumons. C’est alors qu’elle le ressentit : le Pouvoir. Il coulait dans ses veines, et enflait dans sa poitrine. S’agissait-il de cette fameuse Magie des Rêves dont lui avait parlé Lénaïc ? Elle ferma les yeux et elle perçut le maillage tout autour d’elle. Un tissage très fin qui semblait lui être relié. Elle n’eut pas besoin de beaucoup se concentrer, les subtiles teintes bleutées du rivage s’éclaicirrent, puis elle joua sur la force du vent, et même sur la lumière du Songe. Séréna découvrit que tisser son Rêve lui était aussi facile que de respirer. Elle convoqua plus de pouvoir et découvrit alors toute l’étendue de son Univers Onirique. La Rêveuse pouvait ressentir tout le maillage qui constituait sa Lune. Au delà de la plage s’étendait des collines verdoyantes, des villes et des habitants tout droit sortis de son imagination. Nombre de ses inspirations étaient issues de la Pop Culture qu’elle aimait tant, mais aussi énormément d’éléments qui n'appartenaient qu’à elle. Séréna compris qu’elle aurait seulement besoin de songer à un de ces lieux pour s’y rendre grâce au tissage. Mais Lénaïc posa délicatement la main sur son épaule.

“-Je serai ravi de te faire découvrir chacuns de tes Rêves, mais pas maintenant. Malheureusement le temps presse.”

A regret, la jeune femme rouvrit les yeux. Le Pouvoir reflua en elle à l’image des vagues qui allaient et venaient délicatement à leurs pieds. Comment pourrait-elle jamais se trouver en danger ici ? Mais la meurtrissure à son poignet se rappela à elle précisément à cet instant. Séréna se souvint que c’était sur cette même plage que le Rêveur Noir s’en était pris à elle à peine quelques heures plus tôt. La peur revint en elle dans une étreinte suffocante. C’est alors qu’il lui sembla distinguer des formes se matérialiser à l’orée de la forêt. Une troupe de soldats encadrant une silhouette féminine s’approchait d’eux. Instinctivement la Rêveuse eut un mouvement de recul. Mais Lénaïc leva une main rassurante.

“-C’est l’escorte envoyée par le Palais. Par les Lunes, ils ne plaisantent pas, il s’agit du Prince et de la Princesse en personne. S'étonna le Guetteur.
-Comment peux-tu être certain qu’il ne s’agit pas d’un piège ? Ou d’une illusion ? Interrogea Séréna.
-Je suis entraîné à repérer ce type de Magie. Je ne perçoit aucune duperie autour d’eux. Répondit-il.”

La jeune femme pût détailler chaque membres du groupe au fur et à mesure de leur approche. Les soldats étaient tous grands et bien battis. Elle repéra celui qui devait être le Prince à son armure plus ouvragée que celle des autres. Elle constata que la Princesse avait le port et la démarche qu’impliquait son rang. Lénaïc se dirigea vers la troupe et Séréna lui emboita le pas. Lorsqu’ils se trouvèrent enfin à portée de voix, la future souveraine prit la parole.

“-Guetteur Stronghold, Mlle Kellerwick, soyez la bienvenu dans notre royaume. Je suis la Princesse Eloïse du Monde Central, voici mon frère le Prince Armand de la Maison Hornorwind, le Capitaine Erik Syfen ainsi que la garde rapprochée du Prince.”

Séréna n’avait pas la moindre idée de comment réagir face à des héritiers royaux. Le pays où elle avait grandi était une démocratie et ne comptait plus de famille royale depuis une lointaine révolution. Elle imita donc maladroitement Lénaïc qui s’était incliné respectueusement. Personne ne sembla se formaliser de sa maladresse. Comme elle ne savait que répondre et que le silence se prolongeait, c’est le Guetteur qui prit la parole.

“-Votre Altesse, c’est un honneur de vous rencontrer. Séré… Mlle Kellerwick est très éprouvée par les événements de cette nuit. Elle sera en sécurité seulement lorsque nous aurons franchi les murs de Centralia. Déclara-t-il d’un ton inquiet.
-Bien entendu, répondit la Princesse qui n’avait pas quitté Séréna des yeux.”

Sur un signe du Capitaine Syfen, les soldats se positionnèrent autour des deux jeunes femmes et de Lénaïc. Eloïse fit apparaître des Runes autour d’eux, assez semblables à celles que le Guetteur avait fait surgir pour les transporter Séréna et lui sur sa Lune. Mais les symboles brillèrent faiblement avant de disparaître. Des gouttes de sueur perlaient sur le front de la Princesse qui pinça les lèvres et ferma les yeux en essayant vainement de convoquer de nouveau son pouvoir. Le Prince et le Capitaine échangèrent des regards inquiets.

Séréna ne comprenait pas vraiment ce qui était en train de se passer. Elle allait interroger Lénaïc en continuant d’observer Eloïse lorsqu’il lui sembla apercevoir qu’une aura ténébreuse nimbait la Princesse. Le temps d’une respiration, cette vision fugitive avait disparu. La peur planta ses griffes encore plus profondément dans le cœur de la Rêveuse. Que se passerait-il s’ils demeuraient coincés ici ? A combien de jours de marche se trouvait cette cité, Centralia ? Pouvaient-ils seulement l’atteindre à pied ? Et si leurs ennemis les retrouvaient avant ? La voix grave du Capitaine l’interrompit dans ses réflexions.

“-C’est trop tard. Ils arrivent. Dit Erik avec un calme glacé.”

Les soldats et le Prince réagirent dans une coordination parfaite. Les épées et les haches furent tirés du fourreau et le cercle de protection formé par les hommes d’armes se resserra.
Au loin, semblant glisser au dessus des eaux de la mer scintillante, le Rêveur Noir arrivait escorté par des silhouettes nimbées d’ombre. A leur approche, Séréna sentit un frisson remonter le long de son échine et les battements de son cœur accélérer. Leurs ennemis ressemblaient à des humains, mais leurs visages étaient tordus par des rictus sauvages et elle pouvait sentir émaner d’eux un pouvoir similaire au sien, mais il était comme perverti par une magie ténébreuse. La jeune femme comprit qu’il s’agissait des Rêveurs Corrompus dont Lénaïc lui avait parlé. Même encerclée par ces solides guerriers qui semblaient déterminés à les défendre la Princesse et elle, la Rêveuse se demanda si cela serait suffisant. Leurs ennemis semblaient supérieurs en nombre.

Le Guetteur n’était pas un Mage de Combat, mais il réagit prestement. Son saut d’un Monde vers un autre avait épuisé une partie de sa Magie, rendant une autre téléportation impossible dans l’immédiat. Mais il lui restait suffisamment de pouvoir pour ériger une barrière protectrice autour de Séréna et d’Eloïse, ultime ligne de défense d’une confrontation qui allait survenir inéluctablement.

Le Monde Central : La Tisseuse de Rêves Where stories live. Discover now