Chapitre 14 partie 2

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Une ressemblance qui avait attiré les semaines passées un autre genre de clientèle. Les gilets jaunes empruntaient souvent cette voie pour se rendre sur la Place de la Comédie afin de s'y faire hebdomadairement gazer. Les plus virulents d'entre eux, les blackblocs, avaient même laissé des traces de leur passage. Vitrines étoilées et rideaux de fer voilés étaient monnaie courante maintenant et cela depuis quelques mois. Les commerçants de Montpellier devaient les aimer ces gilets jaunes pas de doute, se dit Jean en riant sous cape face à une enseigne taguée d'un A rouge. Le sigle relancerait certainement le débat sur la tendance du mouvement, extrême gauche ou droite.

Pour sa part, il se sentait peu concerné par la politique, il savait bien que tout cela n'était que de la poudre aux yeux afin d'occuper les moutons. Les vraies décisions étaient prises dans l'ombre et l'ensemble des partis politiques devaient s'y plier sans que ni eux ni leurs électeurs n'aient leur mot à dire. Alors autant ne pas s'en soucier. Même si dans le fond, Jean appréciait bien le chaos qui régnait depuis peu en France.

La panique de ses collègues au bureau lorsqu'un début de rumeur de pénurie d'essence avait circulé dans les couloirs restait le meilleur moment du mois de novembre. Et puis, l'ambiance de fin du monde véhiculé par les grands médias était délectable.

Dépassant la préfecture de l'Hérault il se dirigea vers un entrelacs de petites ruelles, préférant éviter la Rue de la Loge cette fois. Il avait choisi de rejoindre l'Esplanade Charles-de-Gaulle, le parc était suffisamment obscur et boisé pour faire un parfait lieu d'embuscade. Restait à espérer qu'une dinde de qualité passerait par là.

Avisant un trio de personnes avançant devant lui il força le pas pour les rattraper et écouter leur conversation animée. Il y avait là deux garçons accompagnant une fille, des jeunes, sans doute des lycéens. Ils semblaient salement éméchés, se soutenant plus ou moins tous les trois, titubants dans les petites rues piétonnes. En revanche leurs voix étaient assez claires pour que Jean puisse suivre la discussion.

Celle-ci portait sur leurs ébats nocturnes, car à priori ils avaient tous trois participé à une fête du Nouvel An qui tenait plus de l'orgie selon ce qu'en comprenait Jean. Le jeune de droite se vantait notamment d'avoir sauté une fille dans les toilettes tandis que sa copine se trouvait à quelques mètres de là. L'histoire fit rire les deux autres.

Dieux du ciel que ces jeunes étaient libertins et modernes, un réactionnaire de la manif pour tous se serait étouffé à les écouter. Jean lui n'en perdait pas une miette. S'il n'y avait pas eu le second type, un grand gaillard baraqué, il aurait bien entamé une discussion très privée à sa manière avec le couple. D'ailleurs en voilà une idée singulière, s'en prendre à des couples pour que l'homme assiste à la mise à mort de sa compagne ou copine. Drôlement excitant rien que d'y penser mais dur à mettre en pratique comme trio, surtout dans la rue et de toute façon cela était bien trop dangereux.

Il continua à suivre les trois libertins en espérant qu'ils se sépareraient à un moment ou un autre mais ce ne fut pas le cas. Ils entrèrent tous dans un petit immeuble rue de Fabre. Dommage, ces jeunes couillons allaient finir dans un plan à trois, Jean en était persuadé et il ne serait pas de la fête.

Mais il était rassuré, il semblait bien y avoir des options ce soir. Poursuivant son chemin, il déboucha sur le Boulevard Sarrail à côté du cinéma Gaumont de la Comédie, en face de son objectif.

Le parc, même si ce n'en n'était pas vraiment un en réalité, se constituait de deux grandes allées piétonnes parallèles et séparées par quelques arbres et autres fontaines. Elles allaient de la Comédie jusqu'aux escaliers du Corum et étaient faiblement éclairées. La plus proche était bordée de nombreuses tables, réservées aux consommateurs venus des bars de l'autre côté de la rue. Mais pour ce soir tous ou presque étaient fermés.

De petits sentiers partaient de la seconde allée, pour serpenter à travers une aire de jeu, puis dans une partie plus boisée du parc avant de rejoindre une autre allée piétonne et le centre commerciale du Polygone. C'était là, dans cette petite aire de verdure touffue derrière l'office du tourisme, qu'il comptait frapper.

En journée c'était une zone familiale rempli de bambins et de mamans leurs criant après. Mais dès le début de soirée c'était aussi une zone de trafic en tout genre, peuplée entre autres de revendeurs de coke et de punks à chiens, les deux ne faisant parfois qu'un. Pourtant il y avait toujours des audacieux pour la traverser afin d'éviter un long crochet par la place de la Comédie. Et le plus drôle c'est qu'il y avait un commissariat à moins de deux cents mètres de là, sans que cela semble gêner les revendeurs de shit et de montres volées. Pour sa part Jean voyait le commissariat comme un atout supplémentaire. Son coup d'éclat n'en serait que plus retentissant s'il laissait son premier corps signé à côté de celui-ci.

Il sillonna d'abord patiemment la zone pour bien se familiariser avec et repérer d'éventuels gêneurs. Mais même les dealeurs semblaient respecter la trêve du Nouvel An, ou alors leurs clients étaient déjà trop défoncés à cause du réveillon. Toujours est-il qu'il n'y avait pas foule, quelques passants en petits groupes et les rares personnes isolées ne l'emballèrent pas plus que ça lorsqu'il prit la peine de les pister. Jean repéra tout de même quelques coins tranquilles, invisibles depuis les sentiers, où il pourrait tirer sa proie tel un fauve se cachant dans les fourrés pour se repaître.

Afin d'avoir un bon point de vue il se posta près d'un bâtiment carré d'où n'émanait aucune lumière. Choisissant le porche plongé dans l'ombre il surveilla les différents sentiers tournant autour ou partant de la bâtisse. Et l'attente commença.

Jusqu'à maintenant il n'avait plus ressenti cette pression angoissante qui le harcelait depuis quelques jours et menaçait d'exploser. Le grand air et l'intense plaisir de la traque l'avait repoussé dans les tréfonds de son cerveau, mais avec l'attente il sentait qu'elle ne tarderait pas à revenir en rampant insidieusement. Etait-ce ainsi que les camés ressentaient le manque ?


Casseurs et émeutiers anarchistes généralement vêtus de noir et cagoulés.


Le Tueur du 18-25Où les histoires vivent. Découvrez maintenant