Chapitre 12 partie 4 (fin de chapitre)

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Jean s'engagea à son tour sur le chemin et, devant lui, le cycliste se rabattit sur le côté droit afin de lui laisser l'espace de le dépasser en toute sécurité. Jean se rapprocha lentement du cycliste qui moulinait allégrement. Il n'avait aucune idée du type de vélo utilisé par son boss, mais celui-ci se la jouait pas mal avec une tenue de cycliste professionnel aux couleurs vives.

C'était maintenant qu'il fallait frapper mais Jean hésita au dernier instant. Est-ce que tout cela n'était pas une folie qui allait le conduire directement à la case prison ? Et puis c'était la première fois qu'il allait tuer quelqu'un qu'il connaissait, même s'il le haïssait profondément.

Toujours derrière le vélo il vit Bruno se retourner sur sa selle, sans doute intrigué que ce bruyant véhicule ne l'ait pas encore dépassé. Celui-ci ne sembla pas le reconnaitre et lui fit signe de la main de le dépasser. Jean fut un instant tétanisé, puis il se souvint que son ennemi n'avait jamais vu sa voiture.

Il aperçut alors le bout du chemin, dans moins de quelques centaines de mètres ils se retrouveraient dans une zone habitée avec des maisons donnant sur la route. Il n'avait plus le temps d'hésiter. Avec en tête l'image de Bruno le menaçant et essayant de forcer son ordinateur il accéléra.

Il approchait rapidement sans trop savoir sous quel angle le heurter, de côté il avait peur de taper avec la carrosserie, de face il craignait de le faire sauter en l'air. Au détour d'un virage il aperçut une maison au milieu d'un bosquet qui se dissimula de nouveau l'instant d'après. Plus le temps de tergiverser il donna un dernier coup d'accélérateur, approchant des soixante à l'heure.

Bruno se retourna une dernière fois l'air effaré, son cri fut couvert par le rugissement du diesel. Jean ressentit un choc, plutôt léger, dans le volant et vit le vélo et son conducteur être chassés sur le côté. Les deux atterrir, tout enchevêtrés, dans le fossé du bas-côté.

Jean se retint de piler, freinant au contraire très lentement pour ne pas laisser de trace de pneus trop visibles et exploitables. Une fois à l'arrêt il scruta sa victime dans le rétroviseur, celui-ci s'agitait en dessous son vélo déformé. Difficile de dire à quel point il était atteint mais comme il semblait conscient Jean enclencha la marche arrière et recula jusqu'au niveau de l'accidenté. Après un regard des deux côtés de la route heureusement déserte, il sortit et s'approcha du fossé avec son pied de biche à la main.

L'ex champion de cyclisme faisait peine à voir, les jambes tordues dans des angles improbables avec une fracture ouverte au mollet gauche, à moins que ce soit le droit. Il avait aussi une épaule démise et sa seule main valide grattait frénétiquement le sol boueux pour tenter de s'extraire de sous son vélo. Il peinait aussi à garder la tête hors du filet d'eau qui coulait dans la fosse et émettait des râles incompréhensibles. Avait-il la colonne vertébrale brisée ? Probablement pas car Jean voyait ses jambes s'agiter faiblement.

Il le toisa avec une grimace de dégout, tout ce sang et toute cette boue qui le recouvraient c'était plutôt écœurant. Ne pas avoir à lui ouvrir le crâne au pied de biche était une bonne chose car Jean aurait pu se salir en plus de rendre moins crédible le scénario du chauffard ivre. En admirant son œuvre il se fit la remarque qu'autant il aimait bien battre ses victimes et faire couler un peu d'hémoglobine, autant un flot carmin gluant comme celui qui se déversait de Bruno n'était pas très engageant.

Le bruit d'un moteur qui démarrait au loin sortit Jean de sa contemplation morbide, aussi drôle que soit la vision de cet idiot rampant dans la boue il devait l'achever dès maintenant. Mais comment le faire tout en restant dans le cadre de l'accident ? Il pourrait le noyer dans la fange mais préféra finalement lui briser la nuque, ce serait plus rapide.

Avec d'extrêmes précautions Jean enjamba le mourant en enfilant des gants de laine noire qu'il avait sorti de la poche de sa veste.

– Ah mon Bruno, ce n'est pas que je veuille t'aider mais on va accélérer le mouvement alors adieu, dit-il en lui saisissant la tête de ses deux mains avant d'appliquer une violente torsion tel qu'il l'avait vu faire dans des films.

Bruno se mit à crier faiblement en s'agitant un peu plus, il devait avoir la nuque solide. Jean s'y reprit une seconde fois avec plus de force et en fut récompensé par craquement bien audible et des convulsions. Même s'il aurait aimé profiter plus longtemps de ce moment il repartit de suite vers sa voiture et démarra avec un dernier regard pour son vieil ennemi. Désormais il n'aurait plus à supporter les « Jean neige » et autres jeux de mots ridicules et provocateurs. Il imaginait déjà les larmes de crocodiles de tous les hypocrites de Techno 34.

Roulant calmement pour n'éveiller aucun soupçon il traversa les quartiers sud de Saint-Clément-de-Rivière et rejoignit la D986. De là, toujours en respectant scrupuleusement les limites de vitesse, il arriva au centre commercial Trifontaine et à ce bon vieil Eléphant bleu. L'endroit le rendait nostalgique, lui rappelant son premier crime. Il repensa d'ailleurs à la transsexuelle en lavant sa voiture, cette rencontre qui avait fait basculer sa vie lui semblait remonter à une éternité.

Après le lavage au karcher il inspecta le pare-buffle et y remarqua quelques traces de peintures blanches et bleu, ainsi que de fines éraflures sur le noir d'origine. Sur le parking de l'Eléphant il laissa sécher un moment la Daihatsu avant de finir d'éponger l'avant du véhicule avec une chiffonnette. Une fois cela fait il sortit son pot de peinture et un pinceau.

Quinze minutes plus tard il admirait son travail, un pare-buffle flambant neuf qui intimiderait même un rhinocéros. D'autres automobilistes étaient passés laver leurs véhicules pendant qu'il opérait, mais il ne s'en était pas soucié. Les gens ne faisaient attention à rien de toute façon tant que ça ne les concernait pas directement.

Toute trace de son forfait ayant disparu, il était à peu près persuadé d'approcher du crime parfait, même le maître Hitchcock aurait sans doute approuvé. Et dès demain il se joindrait à la plèbe pour chanter les louanges du défunt. Ce devrait être une expérience des plus drôles même s'il devrait faire l'effort de paraître un minimum attristé. Ou pas, ce serait peut-être le fait de faire semblant de regretter Bruno qui paraitrait le plus bizarre.

L'essentiel c'était qu'une fois de plus il comptait bien gruger les forces de l'ordre. Les forces de l'ordre, quel drôle de nom, cela faisait-il de lui une sorte d'agent du chaos ?


Le Tueur du 18-25Où les histoires vivent. Découvrez maintenant