Chapitre 11 partie 1

8 3 0
                                    

Chapitre 11

Jean se frayait un chemin dans la cohue du samedi soir en se demandant s'il y avait un évènement particulier ce soir-là. La place de la comédie était bondée comme jamais, l'équipe de France avait-elle remporté un match ?

Il repéra un groupe à proximité qui avançait de front, fendant la foule comme un rocher face au courant. L'un des types du bloc le bouscula plutôt que de passer derrière ses potes. Les gens étaient d'une impolitesse incroyable et Jean aurait bien aimé corriger ce malotru, s'il n'avait pas fait une tête de plus que lui et n'était pas accompagné de cinq autres gaillards. Une autre fois mon gars se dit-il en s'éloignant et en évitant le regard de l'autre, qui semblait prêt à chercher le moindre prétexte pour une embrouille.

Jean prit tout de même soin de graver son visage dans sa mémoire. On ne savait jamais qui l'on pouvait croiser dans le dédale des petites rues du centre-ville. Ce serait seulement une vendetta de plus dans son livre des rancunes, qui s'était sacrément épaissi ces derniers temps. Il ne savait pas s'il pourrait un jour solder toutes ces dettes, surtout lorsqu'il s'agissait d'inconnus, mais rien ne serait oublié.

Poursuivant son chemin, Jean passa devant un tramway bleu et blanc à l'arrêt avant de quitter la Place de la Comédie par la rue de Verdun. La populace était ici un peu moins dense. Il avançait donc à son rythme, posément, afin de prendre le temps d'observer la foule de visages anonymes qui déferlaient sans fin. Par jeu il s'amusa à imaginer leurs vies, leurs objectifs de la soirée. Avant il évitait le regard des autres, le fuyait même, par peur, par doute ou simplement par manque de confiance. Maintenant c'était lui qui les gênait et leur faisait détourner le regard, en les fixant avec une intensité dérangeante.

Il les observait par jeu, mais aussi par mépris, car les histoires qu'il imaginait pour ces passants anonymes étaient rarement flatteuses. Un noir à casquette était probablement un dealer réalisant le gros de son chiffre d'affaires ce soir-là. Une fille en jupe et en collant malgré l'hiver, sans doute une garce chaude comme la braise allant rejoindre son amant. Une bombasse ivre encadrée par deux types rigolards, la futur tranche de jambon dans un sandwich, et ainsi de suite...

Chaque mouton recevait son étiquette indépendamment de son âge, de sa couleur de peau ou de son sexe. Jean n'était pas raciste, mais il s'appuyait en partie sur des clichés éprouvés pour ses scénarios. Puis son regard tomba sur Jules qui était en compagnie de deux filles du boulot devant un cinéma de quartier.

Son ami semblait déployer tout son charme sur les deux donzelles, des nouvelles arrivées dans la boite. L'une était une rousse rondelette au visage carré littéralement envahi de taches de rousseur, rien de bien folichon en somme. L'autre, une brune à la peau très pâle et aux cheveux mi-long noirs et bouclés, mais au long visage chevalin peu engageant. Dommage se dit Jean, car son corps lui avait l'air très bien proportionné dans son jean et son pull blanc serré.

C'est Jules qui leur avait arrangé la soirée, ciné puis resto et plus si affinité avait-il dit. Même si Jean supposait qu'il avait dû présenter les choses différemment aux deux filles.

Il avait hésité à venir, après tout ce n'était pas comme s'il recherchait une relation, ou même s'il pouvait s'en permettre une. Mais il tenait à conserver une apparente normalité et les relations humaine en faisaient partie. Et puis, même s'il se refusait à se l'avouer ouvertement, il avait un peu peur de perdre tout contact avec la réalité et de plonger dans une spirale de violence et de folie dont il ne pourrait plus sortir.

Jules, aussi agaçant soit-il, était d'une grande aide pour que cela ne lui arrive pas. Et ça c'était drôle car le pauvre était encore plus fêlé que lui à sa manière. Jules qui d'ailleurs venait de le remarquer et lui faisait de grands gestes.

Jean s'avança vers eux et son ami s'empressa de faire les présentations auprès des demoiselles. La rousse s'appelait Gabrielle et la brune Laureline.

– Et je vous présente Jean, l'ermite du sous-sol, annonça un Jules guilleret. Vous ne l'avez pas encore rencontré je crois puisqu'il était en déplacement depuis deux semaines. Ne vous inquiétez pas il est sauvage mais pas dangereux.

Jean leur fit la bise, trois fois selon la mode locale, en s'efforçant de rire le plus naturellement possible à cette mauvaise blague. La soirée promettait d'être longue.

– Bon tu es pile dans les temps, j'ai cru qu'on allait rater la séance, dit Jules en s'avançant vers le Diagonal.

Pendant que les deux filles papotaient derrière eux dans la file Jean en profita pour parler discrètement à son ami.

– Tu es sûr de vouloir aller voir Mortal Engine avec elles ? Elles ne doivent même pas savoir ce que c'est que le Steampunk.

– Fais-moi confiance, elles ont l'air d'être de vraies petites geeks et ce sera comme un test, lui murmura Jules en accompagnant le tout d'un clin d'œil.

Une fois les places acquises Jules les conduisit jusqu'à la salle et s'installa à coté de Gabrielle qu'il collait déjà de près sans que cela semble la déranger. Voyant que les choses étaient déjà en cours entre Jules et la rouquine Jean décida de jeter son dévolu sur la brune à qui il tenta de faire la conversation.

Exercice difficile car il ne savait pas vraiment de quoi lui parler, tandis que la fille ne lui facilitait pas la tâche en se contentant de répondre par de timides oui ou non. Heureusement une publicité Haribo vint le sauver d'un nouveau silence gênant. D'autres pubs et des bandes annonces suivirent et il enfila ses inconfortables lunettes 3D.

Lorsque le film démarra Jules avait déjà la Gabrielle lovée contre lui. Jean n'en revenait pas, il ignorait qu'au-delà de la rédaction d'articles complotistes son ami avait de tels talents.


Dans l'univers de fiction Warhammer les nains notent tous les affronts subits dans un livre des rancunes.

Sous-genre de la science-fiction mettant en scène des univers uchroniques, centrés sur l'usage des machines à vapeur et un aspect de révolution industriel.


Le Tueur du 18-25Where stories live. Discover now