Chapitre 9 partie 2

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Des voix devant lui finirent par le sortir de sa torpeur, il était allé si vite qu'il avait rattrapé le groupe en visite guidée. Suivant les voix il se retrouva devant un escalier de pierre qui le conduisit à l'étage et à une salle plus grande que les précédentes. Une dizaine de personne y patientaient en écoutant une petite femme boulotte et assez âgée, face à une scène de mise à mort d'un gros loup par un noble. Décidément ce soi-disant musée se révélait d'une taille plus que surprenante. Malgré son manque d'attention Jean avait compté une quinzaine de tableaux et ce n'était pas fini.

Il se mêla à la petite foule et prêta une oreille distraite au pépiement de la guide. En parallèle il continua à réfléchir à d'autres indices d'une présence humaine derrière la Bête. Porté par un petit nuage de mysticisme qu'il croyait partager avec les autres visiteurs silencieux il se fondit dans la masse.

Pourtant à un moment donné la petite troupe fut parcourue d'un fou rire général, sans doute à la suite d'un commentaire facétieux de la guide. Jean sentit la rage s'emparer de lui alors que sa transe volait en éclat à cause de ces maudits imbéciles. Il se sentait prêt à les massacrer à mains nues, eux qui ne comprenaient rien à la beauté de ce lieu et le parasitaient de leur présence.

Pour ne pas commettre une nouvelle folie il se força à faire des exercices respiratoires pour retrouver son calme, il avait vu sa mère les apprendre à des asthmatiques autrefois.

Tout en prenant de grandes goulées d'air il avisa une femme, la quarantaine et l'air bovin, qui le dévisageait bizarrement. Il lui fit une grimace et elle s'éloigna le plus possible de lui comme s'il y avait un risque de contagion. Cette idiote le fit sourire et l'aida à retrouver complètement sa lucidité, mais il devait rapidement sortir d'ici.

Bousculant les touristes il se fraya un chemin vers la salle suivante. Mais quand il passa devant la guide elle eut la mauvaise idée de l'interpeller.

– Vous nous quittez déjà ? Vous êtes tous pâle, vous allez bien ?

– Oui, j'ai juste besoin de prendre l'air merci, se força-t-il à répondre pour ne pas attirer encore plus l'attention.

Elle prit un air compatissant.

– Désolée, je sais que certaines scènes de la galerie peuvent être dures à supporter. J'avais pourtant dit à mon époux de mettre un panneau à l'entrée pour mettre en garde les gens... sensibles.

Au lieu de lui arracher les yeux et de les lui fourrer dans la gorge, Jean lui fit un aimable sourire avant de changer de pièce. Il entendit derrière lui quelques rires qui lui hérissèrent le poil. Cette vieille garce était morte, même si elle ne le savait pas encore.

Il allait la faire souffrir, la laminer pour s'être moqué de lui et l'avoir traité de faible. Mais pas aujourd'hui, oh non pas tout suite. Dans quelque temps il repasserait par Saugues, quand il aurait bien fait mûrir sa haine. D'ailleurs elle n'était pas la seule mériter ce traitement, il était temps que les gens qui lui manquaient continuellement de respect en subissent les conséquences. Et largement en tête de liste venait Bruno du bureau, la vieille de la laverie et bien sûr, le chien de celle-ci. Oui décida Jean, il était peut-être temps qu'il utilise ses nouveaux talents à bon escient, contre tous ceux qui avaient pu lui nuire.

Il réalisa à ce moment-là qu'il était arrivé dans la dernière pièce. Il avait traversé la fin du musée sans qu'il s'en rende compte et sans s'attarder sur aucun des tableaux. Ici était représentée la mise à mort de la Bête par Chastel ainsi qu'un résumé des derniers événements. A cela s'ajoutait une liste complète des morts et des blessés supposés du monstre.

Cent vingt-quatre morts selon l'estimation la plus large. Rien que d'y penser Jean en avait le vertige, tout bonnement incroyable. Comme si un simple loup ou même une meute avait pu faire tout cela. Jean salua la Bête, la vraie, et se recueillit un moment ici. Des tas de questions se bousculaient dans sa tête. Mais toutes revenaient plus ou moins au même problème, comment un seul homme avait-il pu accomplir un tel exploit sans se faire attraper ?

Car c'était bien de cela qu'il s'agissait, un exploit, que Jean ne pouvait que rêver d'approcher dans ses rêves les plus fous. Malheureusement les temps avaient changés. La bête du Gévaudan n'avait pas eu à se soucier des empreintes digitales ou de l'ADN, uniquement des potentiels témoins de ses actes. D'un autre côté le nombre de victimes n'était pas le seul critère de célébrité, après tout il lui semblait que Jack l'éventreur n'avait fait que quelques victimes avant de passer à la postérité. Jean pouvait compter sur les réseaux sociaux et la surmédiatisation pour relayer son travail, à lui de trouver comment les enflammer.

Là il faisait face à un dilemme, qu'est ce qui était le plus important pour lui ? La vengeance contre les ratés qui l'entouraient, ou la gloire. A moins qu'il y ait une troisième voie, une solution pour concilier les deux. Avant qu'il ne puisse trouver une réponse satisfaisante il entendit le groupe des guignols approcher. Ne voulant par les croiser une nouvelle fois il quitta la partie musée pour se retrouver dans l'antre du capitalisme.

Il était revenu dans la boutique de l'entrée, sauf qu'il se trouvait à l'étage. Un escalier de fer en colimaçon permettait de rejoindre le rez-de-chaussée avec ses babioles en tout genre mais l'étage était réservé aux livres. Et il y en avait une tripotée, classés par ordre de crédibilité à priori. On commençait par ceux défendant simplement la thèse de la « Bête dévorante », un terme fourre-tout pour désigner un animal sauvage mangeur d'hommes. Puis l'on dérivait sur celle du meurtrier fou, du noble décadent et enfin des animaux exotiques telle que la hyène ou le tigre. Un peu à l'écart du reste on trouvait aussi des ouvrages parlant de crypto-zoologie, de chimères et de magie noire. Le propriétaire ne semblait pas vouloir les mettre en avant, peut-être en avait-il tout de même un peu honte.

Jean s'étant déjà fait sa propre opinion sur la bête il se contenta de survoler les titres et les couvertures. Un gros volume permettait aussi au visiteur de donner leur avis sur la visite et surtout sur l'origine de la Bête. Après un instant d'hésitation il y nota juste que la bête était un prédateur, tout comme lui et il ne signa pas.

Sans un mot et sans saluer l'homme à l'entrée il quitta les lieux. Il avait bien fait de suivre le conseil de son père sur ce coup-là, la visite s'était révélée bien plus intéressante qu'escomptée. Il se sentait aussi éreinté, plus par le déferlement d'émotions ressenties que par la durée de la visite. Avant de reprendre sa voiture il décida de manger un morceau et se dirigea vers ce qui ressemblait à une boulangerie.

Le Tueur du 18-25Where stories live. Discover now